Chapitre VII. Autres moyens de favoriser le principe de la démocratie

De LERDA
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On ne peut pas établir un partage égal des terres dans toutes les démocraties. Il y a des circonstances où un tel arrangement serait impraticable, dangereux, et choquerait même la constitution. On n'est pas toujours obligé de prendre les voies extrêmes. Si l'on voit, dans une démocratie, que ce partage, qui doit maintenir les mœurs, n'y con­vienne pas, il faut avoir recours à d'autres moyens.

Si l'on établit un corps fixé qui soit par lui-même la règle des mœurs, un sénat où l'âge, la vertu, la gravité, les services donnent entrée, les sénateurs, exposés à la vue du peuple comme les simulacres des dieux, inspireront des sentiments qui seront por­tés dans le sein de toutes les familles.

Il faut surtout que ce sénat s'attache aux institutions anciennes, et fasse en sorte que le peuple et les magistrats ne s'en départent jamais.

Il y a beaucoup à gagner, en fait de mœurs, à garder les coutumes anciennes. Com­­me les peuples corrompus font rarement de grandes choses, qu'ils n'ont guère établi de sociétés, fondé de villes, donné de lois; et qu'au contraire ceux qui avaient des mœurs simples et austères ont fait la plupart des établissements; rappeler les hommes aux maximes anciennes, c'est ordinairement les ramener à la vertu.

De plus, s'il y a eu quelque révolution, et que l'on ait donné à l'État une forme nou­velle, cela n'a guère pu se faire qu'avec des peines et des travaux infinis, et rarement avec l'oisiveté et des mœurs corrompues. Ceux mêmes qui ont fait la révo­lution ont voulu la faire goûter, et ils n'ont guère pu y réussir que par de bonnes lois. Les institutions anciennes sont donc ordinairement des corrections, et les nouvelles, des abus. Dans le cours d'un long gouvernement, on va au mal par une pente insen­sible, et on ne remonte au bien que par un effort.

On a douté si les membres du sénat dont nous parlons, doivent être à vie, ou choi­sis pour un temps. Sans doute qu'ils doivent être choisis pour la vie, comme cela se pratiquait à Rome 1, à Lacédémone 2, et à Athènes même. Car il ne faut pas confondre ce qu'on appelait le sénat à Athènes, qui était un corps qui changeait tous les trois mois, avec l'Aréopage, dont les membres étaient établis pour la vie, comme des modèles perpétuels.

Maxime générale: dans un sénat fait pour être la règle, et, pour ainsi dire, le dépôt des mœurs, les sénateurs doivent être élus pour la vie; dans un sénat fait pour prépa­rer les affaires, les sénateurs peuvent changer.

L'esprit, dit Aristote, vieillit comme le corps. Cette réflexion n'est bonne qu'à l'égard d'un magistrat unique, et ne peut être appliquée à une assemblée de sénateurs.

Outre l'Aréopage, il y avait à Athènes des gardiens des mœurs et des gardiens des lois 3. À Lacédémone, tous les vieillards étaient censeurs. À Rome, deux magistrats particuliers avaient la censure. Comme le sénat veille sur le peuple, il faut que des censeurs aient les yeux sur le peuple et sur le sénat. Il faut qu'ils rétablissent dans la république tout ce qui a été corrompu, qu'ils notent la tiédeur, jugent les négligences, et corrigent les fautes, comme les lois punissent les crimes.

La loi romaine qui voulait que l'accusation de l'adultère fût publique, était admira­ble pour maintenir la pureté des mœurs; elle intimidait les femmes, elle intimidait aussi ceux qui devaient veiller sur elles.

Rien ne maintient plus les mœurs qu'une extrême subordination des jeunes gens envers les vieillards. Les uns et les autres seront contenus, ceux-là par le respect qu'ils auront pour les vieillards, et ceux-ci par le respect qu'ils auront pour eux-mêmes.

Rien ne donne plus de force aux lois, que la subordination extrême des citoyens aux magistrats. « La grande différence que Lycurgue a mise entre Lacédémone et les autres cités, dit Xénophon 4, consiste en ce qu'il a surtout fait que les citoyens obéis­sent aux lois; ils courent lorsque le magistrat les appelle. Mais, à Athènes, un homme riche serait au désespoir que l'on crût qu'il dépendît du magistrat. »

L'autorité paternelle est encore très utile pour maintenir les mœurs. Nous avons déjà dit que, dans une république, il n'y a pas une force si réprimante que dans les autres gouvernements. Il faut donc que les lois cherchent à y suppléer: elles le font par l'autorité paternelle.

À Rome, les pères avaient droit de vie et de mort sur leurs enfants 5. À Lacédé­mone, chaque père avait droit de corriger l'enfant d'un autre.

La puissance paternelle se perdit à Rome avec la république. Dans les monarchies, où l'on n'a que faire de mœurs si pures, on veut que chacun vive sous la puissance des magistrats.

Les lois de Rome, qui avaient accoutumé les jeunes gens à la dépendance, établi­rent une longue minorité. Peut-être avons-nous eu tort de prendre cet usage: dans une monarchie on n'a pas besoin de tant de contrainte.

Cette même subordination dans la république y pourrait demander que le père restât, pendant sa vie, le maître des biens de ses enfants, comme il fut réglé à Rome. Mais cela n'est pas de l'esprit de la monarchie.