Chapitre XIII. Impuissance des lois japonaises

De LERDA
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Les peines outrées peuvent corrompre le despotisme même. Jetons les yeux sur le Japon.

On y punit de mort presque tous les crimes 1, parce que la désobéissance à un si grand empereur que celui du Japon, est un crime énorme. Il n'est pas question de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées sont tirées de la servitude, et viennent surtout de ce que l'empereur étant propriétaire de tous les biens, presque tous les crimes se font directement contre ses intérêts.

On punit de mort les mensonges qui se font devant les magistrats 2, chose con­traire à la défense naturelle.

Ce qui n'a point l'apparence d'un crime est là sévèrement puni; par exemple, un homme qui hasarde de l'argent au jeu est puni de mort.

Il est vrai que le caractère étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, et qui brave tous les périls et tous les malheurs, semble, à la première vue, absoudre ses législateurs de l'atrocité de leurs lois. Mais, des gens qui naturellement méprisent la mort, et qui s'ouvrent le ventre pour la moindre fantaisie, sont-ils corri­gés ou arrêtés par la vue continuelle des supplices? Et ne s'y familiarisent-ils pas?

Les relations nous disent, au sujet de l'éducation des Japonais, qu'il faut traiter les enfants avec douceur, parce qu'ils s'obstinent contre les peines; que les esclaves ne doivent point être trop rudement traités, parce qu'ils se mettent d'abord en défense. Par l'esprit qui doit régner dans le gouvernement domestique, n'aurait-on pas pu juger de celui qu'on devait porter dans le gouvernement politique et civil?

Un législateur sage aurait cherché à ramener les esprits par un juste tempérament des peines et des récompenses; par des maximes de philosophie, de morale et de religion, assorties à ces caractères; par la juste application des règles de l'honneur; par le supplice de la honte; par la jouissance d'un bonheur constant et d'une douce tran­quillité ; et, s'il avait craint que les esprits, accoutumés à n'être arrêtés que par une peine cruelle, ne pussent plus l'être par une plus douce, il aurait agi 3 d'une manière sourde et insensible; il aurait, dans les cas particuliers les plus graciables, modéré la peine du crime, jusqu'à ce qu'il eût pu parvenir à la modifier dans tous les cas.

Mais le despotisme ne connaît point ces ressorts; il ne mène pas par ces voies. Il peut abuser de lui, mais c'est tout ce qu'il peut faire. Au Japon, il a fait un effort, il est devenu plus cruel que lui-même.

Des âmes par-tout effarouchées et rendues plus atroces, n'ont pu être conduites que par une atrocité plus grande.

Voilà l'origine, voilà l'esprit des lois du Japon. Mais elles ont eu plus de fureur que de force. Elles ont réussi à détruire le christianisme : mais des efforts si inouïs sont une preuve de leur impuissance. Elles ont voulu établir une bonne police, et leur faiblesse a paru encore mieux.

Il faut lire la relation de l'entrevue de l'empereur et du deyro à Méaco 4. Le nom­bre de ceux qui y furent étouffés, ou tués par des garnements, fut incroyable; on enleva les jeunes filles et les garçons; on les retrouvait tous les jours exposés dans des lieux publics, à des heures indues, tout nus, cousus dans des sacs de toile, afin qu'ils ne connussent pas les lieux par où ils avaient passé; on vola tout ce qu'on voulut; on fendit le ventre à des chevaux pour faire tomber ceux qui les montaient; on renversa des voitures pour dépouiller les dames. Les Hollandais, à qui l'on dit qu'ils ne pouvaient passer la nuit sur des échafauds sans être assassinés, en descendirent, etc.

Je passerai vite sur un autre trait. L'empereur, adonné à des plaisirs infâmes, ne se mariait point: il courait risque de mourir sans successeur. Le deyro lui envoya deux filles très belles: il en épousa une par respect, mais il n'eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de l'empire, tout était inutile. La fille d'un armurier étonna son goût 5 ; il se détermina, il en eut un fils. Les dames de la cour, indignées de ce qu'il leur avait préféré une personne d'une si basse naissance, étouffèrent l'enfant. Ce crime fut caché à l'empereur; il aurait versé un torrent de sang. L'atrocité des lois en empêche donc l'exécution. Lorsque la peine est sans mesu­re, on est souvent obligé de préférer l'impunité.