Chapitre XV. Continuation du même sujet

De LERDA
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Dans les climats chauds, où règne ordinairement le despotisme, les passions se font plus tôt sentir, et elles sont aussi plus tôt amorties 1 ; l'esprit y est plus avancé; les périls de la dissipation des biens y sont moins grands; il y a moins de facilité de se distinguer, moins de commerce entre les jeunes gens renfermés dans la maison; on s'y marie de meilleure heure: on y peut donc être majeur plus tôt que dans nos climats d'Europe. En Turquie, la majorité commence à quinze ans 2.

La cession des biens n'y peut avoir lieu. Dans un gouvernement où personne n'a de fortune assurée, on prête plus à la personne qu'aux biens.

Elle entre naturellement dans les gouvernements modérés 3, et surtout dans les républiques, à cause de la plus grande confiance que l'on doit avoir dans la probité des citoyens, et de la douceur que doit inspirer une for-me de gouvernement que chacun semble s'être donnée lui-même.

Si dans la république romaine les législateurs avaient établi la cession de biens 4, on ne serait pas tombé dans tant de séditions et de discordes civiles, et on n'aurait point essuyé les dangers des maux, ni les périls des remèdes.

La pauvreté et l'incertitude des fortunes, dans les États despotiques, y naturalisent l'usure; chacun augmentant le prix de son argent à proportion du péril qu'il y a à le prêter. La misère vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux; tout y est ôté, jusqu'à la ressource des emprunts.

Il arrive de là qu'un marchand n'y saurait faire un grand commerce; il vit au jour la journée: s'il se chargeait de beaucoup de marchandises, il perdrait plus par les intérêts qu'il donnerait pour les payer, qu'il ne gagnerait sur les marchandises. Aussi les lois sur le commerce n'y ont-elles guère de lieu; elles se réduisent à la simple police.

Le gouvernement ne saurait être injuste sans avoir des mains qui exercent ses injustices: or il est impossible que ces mains ne s'emploient pour elles-mêmes. Le pé­cu­lat est donc naturel dans les États despotiques.

Ce crime y étant le crime ordinaire, les confiscations y sont utiles. Par là on con­sole le peuple; l'argent qu'on en tire est un tribut considérable que le prince lèverait difficilement sur des sujets abîmés: il n'y a même dans ce pays aucune famille qu'on veuille conserver.

Dans les États modérés, c'est tout autre chose. Les confiscations rendraient la propriété des biens incertaine; elles dépouilleraient des enfants innocents; elles dé­trui­raient une famille, lorsqu'il ne s'agirait que de punir un coupable. Dans les répu­bliques, elles feraient le mal d'ôter l'égalité qui en fait l'âme, en privant un citoyen de son nécessaire physique 5.

Une loi romaine 6 veut qu'on ne confisque que dans le cas du crime de lèse-ma­jesté au premier chef. Il serait souvent très sage de suivre l'esprit de cette loi, et de borner les confiscations à de certains crimes. Dans les pays où une coutume locale a disposé des propres, Bodin 7 dit très bien qu'il ne faudrait confisquer que les acquêts.