Chapitre XVII. Des présents

De LERDA
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C'est un usage, dans les pays despotiques, que l'on n'aborde qui que ce soit au-dessus de soi, sans lui faire un présent, pas même les rois. L'empereur du Mogol 1 ne reçoit point les requêtes de ses sujets, qu'il n'en ait reçu quelque chose. Ces princes vont jusqu'à corrompre leurs propres grâces.

Cela doit être ainsi dans un gouvernement où personne n'est citoyen; dans un gouvernement où l'on est plein de l'idée que le supérieur ne doit rien à l'inférieur; dans un gouvernement où les hommes ne se croient liés que par les châtiments que les uns exercent sur les autres; dans un gouvernement où il y a peu d'affaires, et où il est rare que l'on ait besoin de se présenter devant un grand, de lui faire des demandes, et encore moins des plaintes.

Dans une république, les présents sont une chose odieuse, parce que la vertu n'en a pas besoin. Dans une monarchie, l'honneur est un motif plus fort que les présents. Mais, dans l'État despotique, où il n'y a ni honneur ni vertu, on ne peut être déterminé à agir que par l'espérance des commodités de la vie.

C'est dans les idées de la république que Platon 2 voulait que ceux qui reçoivent des présents pour faire leur devoir, fussent punis de mort: Il n'en faut prendre, disait-il, ni pour les choses bonnes, ni pour les mauvaises.

C'était une mauvaise loi que cette loi romaine 3 qui permettait aux magistrats de prendre de petits présents 4, pourvu qu'ils ne passassent pas cent écus dans toute l'année. Ceux à qui on ne donne rien, ne désirent rien; ceux à qui on donne un peu, désirent bientôt un peu plus, et ensuite beaucoup. D'ailleurs, il est plus aisé de con­vaincre celui qui, ne devant rien prendre, prend quelque chose, que celui qui prend plus, lorsqu'il devrait prendre moins, et qui trouve toujours, pour cela, des prétextes, des excuses, des causes et des raisons plausibles.