Chapitre VI. De quelques institutions des Grecs

De LERDA
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Les anciens Grecs, pénétrés de la nécessité que les peuples qui vivaient sous un gouvernement populaire fussent élevés à la vertu, firent, pour l'inspirer, des insti­tu­tions singulières. Quand vous voyez, dans la Vie de Lycurgue, les lois qu'il donna aux Lacédémoniens vous croyez lire l’Histoire des Sévarambes. Les lois de Crète étaient l'original de celles de Lacédémone; et celles de Platon en étaient la correction.

Je prie qu'on fasse un peu d'attention à l'étendue de génie qu'il fallut à ces légis­la­teurs pour voir qu'en choquant tous les usages reçus, en confondant toutes les vertus, ils montreraient à l'univers leur sagesse. Lycurgue, mêlant le larcin avec l'esprit de jus­tice, le plus dur esclavage avec l'extrême liberté les sentiments les plus atroces avec la plus grande modération, donna de la stabilité à sa ville. Il sembla lui ôter tou­tes les ressources, les arts, le commerce, l'argent, les murailles: on y a de l'ambition, sans espérance d'être mieux: on y a les sentiments naturels, et on n'y est ni enfant, ni mari, ni père : la pudeur même est ôtée à la chasteté. C'est par ces chemins que Sparte est menée à la grandeur et à la gloire; mais avec une telle infaillibilité de ses institu­tions, qu'on n'obtenait rien contre elle en gagnant des batailles, si on ne parvenait à lui ôter sa police 1.

La Crète et la Laconie furent gouvernées par ces lois. Lacédémone céda la der­nière aux Macédoniens, et la Crète 2 fut la dernière proie des Romains. Les Sam­nites eurent ces mêmes institutions, et elles furent pour ces Romains le sujet de vingt-quatre triomphes 3.

Cet extraordinaire que l'on voyait dans les institutions de la Grèce, nous l'avons vu dans la lie et la corruption de nos temps modernes 4. Un législateur honnête hom­me a formé un peuple, où la probité paraît aussi naturelle que la bravoure chez les Spartiates. M. Penn est un véritable Lycurgue; et, quoique le premier ait eu la paix pour objet, comme l'autre a eu la guerre, ils se ressemblent dans la vole singulière où ils ont mis leur peuple, dans l'ascendant qu'ils ont eu sur des hommes libres, dans les préjugés qu'ils ont vaincus, dans les passions qu'ils ont soumises.

Le Paraguay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu en faire un crime à la Société, qui regarde le plaisir de commander comme le seul bien de la vie; mais il sera toujours beau de gouverner les hommes en les rendant plus heureux 5.

Il est glorieux pour elle d'avoir été la première qui ait montré dans ces contrées l'idée de la religion jointe à celle de l'humanité. En réparant les dévastations des Espagnols, elle -a commencé à guérir une des grandes plaies qu'ait encore reçues le genre humain.

Un sentiment exquis qu'a cette Société pour tout ce qu'elle appelle honneur, son zèle pour une religion qui humilie bien plus ceux qui l'écoutent que ceux qui la prê­chent, lui ont fait entreprendre de grandes choses; et elle y a réussi. Elle a retiré des bois des peuples dispersés; elle leur a donné une subsistance assurée; elle les a vêtus; et, quand elle n'aurait fait par là qu'augmenter l'industrie parmi les hommes, elle aurait beaucoup fait.

Ceux qui voudront faire des institutions pareilles établiront la communauté de biens de la République de Platon, ce respect qu'il demandait pour les dieux, cette sé­pa­­­ra­­­tion d'avec les étrangers pour la conservation des mœurs, et la cité faisant le com­merce, et non pas les citoyens ; ils donneront nos arts sans notre luxe, et nos besoins sans nos désirs.

Ils proscriront l'argent, dont l'effet est de grossir la fortune des hommes au-delà des bornes que la nature y avait mises, d'apprendre à conserver inutilement ce qu'on avait amassé de même, de multiplier à l'infini les désirs, et de suppléer à la nature, qui nous avait donné des moyens très bornés d'irriter nos passions, et de nous corrompre les uns les autres.

« Les Épidamniens 6, sentant leurs mœurs se corrompre par leur communication avec les Barbares, élurent un magistrat pour faire tous les marchés au nom de la cité et pour la cité. » Pour lors, le commerce ne corrompt pas la constitution, et la consti­tu­tion ne prive pas la société des avantages du commerce.