Chapitre XI. De l'excellence du gouvernement monarchique

De LERDA
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Le gouvernement monarchique à un grand avantage sur le despotique. Comme il est de sa nature qu'il y ait sous le prince plusieurs ordres qui tiennent à la constitution, l'État est plus fixe, la constitution plus inébranlable, la personne de ceux qui gouver­nent plus assurée.

Cicéron 1 croit que l'établissement des tribuns de Rome fut le salut de la répu­blique. « En effet, dit-il, la force du peuple qui n'a point de chef est plus terrible. Un chef sent que l'affaire roule sur lui, il y pense; mais le peuple, dans son impétuosité, ne connaît point le péril où il se jette. » On peut appliquer cette réflexion à un État des­potique, qui est un peuple sans tribuns; et à une monarchie, où le peuple a, en quelque façon, des tribuns.

En effet, on voit partout que, dans les mouvements du gouvernement despotique, le peuple, mené par lui-même, porte toujours les choses aussi loin qu'elles peuvent aller; tous les désordres qu'il commet sont extrêmes; au lieu que, dans les monarchies, les choses sont très rarement portées à l'excès. Les chefs craignent pour eux-mêmes; ils ont peur d'être abandonnés; les puissances intermédiaires dépendantes 2 ne veulent pas que le peuple prenne trop le dessus. Il est rare que les ordres de l'État soient entiè­re­ment corrompus. Le prince tient à ces ordres: et les séditieux, qui n'ont ni la volonté ni l'espérance de renverser l'État, ne peuvent ni ne veulent renverser le prince.

Dans ces circonstances, les gens qui ont de la sagesse et de l'autorité s'entre­met­tent; on prend des tempéraments, on s'arrange, on se corrige; les lois reprennent leur vigueur et se font écouter.

Aussi toutes nos histoires sont-elles pleines de guerres civiles sans révolutions; celles des États despotiques sont pleines de révolutions sans guerres civiles.

Ceux qui ont écrit l'histoire des guerres civiles de quelques États, ceux mêmes qui les ont fomentées, prouvent assez combien l'autorité que les princes laissent à de certains ordres pour leur service, leur doit être peu suspecte; puisque, dans l'égare­ment même, ils ne soupiraient qu'après les lois et leur devoir, et retardaient la fougue et l'impétuosité des factieux plus qu'ils ne pouvaient la servir 3.

Le cardinal de Richelieu, pensant peut-être qu'il avait trop avili les ordres de l'État, a recours, pour le soutenir, aux vertus du prince et de ses ministres 4 ; et il exige d'eux tant de choses, qu'en vérité il n'y a qu'un ange qui puisse avoir tant d'attention, tant de lumières, tant de fermeté, tant de connaissances; et on peut à peine se flatter que, d'ici à la dissolution des monarchies, il puisse y avoir un prince et des ministres pareils.

Comme les peuples qui vivent sous une bonne police sont plus heureux que ceux qui, sans règle et sans chefs, errent dans les forêts; aussi les monarques qui vivent sous les lois fondamentales de leur État, sont-ils plus heureux que les princes despo­tiques, qui n'ont rien qui puisse régler le cœur de leurs peuples, ni le leur.