Chapitre XVI. De la juste proportion des peines avec le crime

De LERDA
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Il est essentiel que les peines aient de l'harmonie entre elles, parce qu'il est essen­tiel que l'on évite plutôt un grand crime qu'un moindre, ce qui attaque plus la société, que ce qui la choque moins.

« Un imposteur 1, qui se disait Constantin Ducas, suscita un grand soulèvement à Constantinople. Il fut pris et condamné au fouet; mais, ayant accusé des personnes considérables, il fut condamné, comme calomniateur, à être brûlé. » Il est singulier qu'on eût ainsi proportionné les peines entre le crime de lèse-majesté et celui de calomnie.

Cela fait souvenir d'un mot de Charles II, roi d'Angleterre. Il vit, en passant, un homme au pilori; il demanda pourquoi il était là. « Sire, lui dit-on, c'est parce qu'il a fait des libelles contre vos ministres. - Le grand sot! dit le roi: que ne les écrivait-il contre moi? on ne lui aurait rien fait. »

« Soixante-dix personnes conspirèrent contre l'empereur Basile 2 ; il les fit fusti­ger; on leur brûla les cheveux et le poil. Un cerf l'ayant pris avec son bois par la ceinture, quelqu'un de sa suite tira son épée, coupa sa ceinture et le délivra: il lui fit trancher la tête, parce qu'il avait, disait-il, tiré l'épée contre lui. » Qui pourrait penser que, sous le même prince, on eût rendu ces deux jugements?

C'est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine. Il est visible que, pour la sûreté publique, il faudrait mettre quelque différence dans la peine.

À la Chine, les voleurs cruels sont coupés en morceaux 3, les autres non: cette différence fait que l'on y vole, mais qu'on n'y assassine pas.

En Moscovie, où la peine des voleurs et celle des assassins sont les mêmes, on assassine 4 toujours. Les morts, y dit-on, ne racontent rien.

Quand il n'y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l'espérance de la grâce. En Angleterre, on n'assassine point, parce que les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, non pas les assassins.

C'est un grand ressort des gouvernements modérés que les lettres de grâce. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d'admirables effets. Le principe du gouvernement despotique, qui ne pardonne pas, et à qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages.