Fides et Ratio

De LERDA
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Sommaire

IOANNIS PAULI PP. II
SUMMI PONTIFICIS
LITTERAE ENCYCLICAE
FIDES ET RATIO
CUNCTIS CATHOLICAE ECCLESIAE EPISCOPIS DE NECESSITUDINIS NATURA
INTER UTRAMQUE

LETTRE ENCYCLIQUE
FIDES ET RATIO
DU SOUVERAIN PONTIFE
JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE
SUR LES RAPPORTS
ENTRE LA FOI ET LA RAISON

Benedictio

Bénédiction

Venerabiles in Episcopatu Fratres,
salutem et Apostolicam Benedictionem!

Vénérés Frères dans l'épiscopat,
salut et Bénédiction apostolique!

FIDES ET RATIO binae quasi pennae videntur quibus veritatis ad contemplationem hominis attollitur animus. Deus autem ipse est qui veritatis cognoscendae studium hominum mentibus insevit, suique tandem etiam cognoscendi ut, cognoscentes Eum diligentesque, ad plenam pariter de se ipsis pertingere possint veritatem (cfr Ex 33,18; Ps 27[26],8-9; 63[62],2-3; Io 14,8; 1 Io 3,2).|

LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. C'est Dieu qui a mis au cœur de l'homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L'aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même (cf. Ex 33, 18; Ps 27 [26], 8-9; 63 [62], 2-3; Jn 14, 8; 1 Jn 3, 2).


PROOEMIUM - « Nosce te ipsum »



INTRODUCTION - « CONNAIS-TOI TOI-MÊME »


1. Fieri quidem potest ut, tam in Orientis orbe quam in Occidentis solis plaga, iter quoddam dignoscatur quod, progredientibus saeculis eo usque hominum genus perduxerit ut cum veritate paulatim congrediatur seque cum illa componat. Hoc quidem iter sic explicatum est — neque aliter accidere potuit — intra prospectum quendam singularis hominum conscientiae: quo namque plenius res orbemque cognovit homo, eo magis ipsemet cognoscit se unica in sua natura, eodemque tempore instans fit interrogatio de significatione rerum suaeque ipsius exsistentiae. Quidquid se nobis obicit veluti cognitionis nostrae argumentum, hanc ipsam ob causam evadit vitae nostrae elementum. Admonitio illa Gnwqi seauton in superliminari inscripta erat Delphis in templo, principalem ut veritatem testificaretur quae minima omni homini sumenda erat regula quicumque inter res creatas se extollere cupiebat veluti « hominem » scilicet « sui ipsius cognitorem ».|

1. En Orient comme en Occident, on peut discerner un parcours qui, au long des siècles, a amené l'humanité à s'approcher progressivement de la vérité et à s'y confronter. C'est un parcours qui s'est déroulé — il ne pouvait en être autrement — dans le champ de la conscience personnelle de soi: plus l'homme connaît la réalité et le monde, plus il se connaît lui-même dans son unicité, tandis que devient toujours plus pressante pour lui la question du sens des choses et de son existence même. Ce qui se présente comme objet de notre connaissance fait par là-même partie de notre vie. Le conseil Connais-toi toi-même était sculpté sur l'architrave du temple de Delphes, pour témoigner d'une vérité fondamentale qui doit être prise comme règle minimum par tout homme désireux de se distinguer, au sein de la création, en se qualifiant comme « homme » précisément parce qu'il « se connaît lui-même ».

Candidus intuitus veteres in annales luculenter aliunde demonstrat, variis in orbis regionibus multiplici humano distinctis cultu, exsistere eodem tempore principales illas interrogationes quibus vita designatur hominum: Quis egomet sum? Unde venio? Quoque vado? Cur mala adsunt? Quid nos manet hanc post vitam? Haec quaesita reperiuntur in sacris Israelis scriptionibus, at insunt etiam scriptis Veda necnon Avesta; detegimus ea in operibus Confutii atque Lao-Tze, quemadmodum in praedicatione virorum Tirthankara ipsiusque Buddhae; exsistunt similiter ex Homeri carminibus ac tragoediis Euripidis et Sophoclis, perinde ac philosophicis in Platonis et Aristotelis tractatibus. Hae nempe interrogationes sunt quae ex illa communi profluunt inquisitione de sensu ipso quo numquam non hominis animus inquietatur: ex responsione vero, quae talibus redditur rogationibus, directio pendet quae vitae humanae est imprimenda.|

Un simple regard sur l'histoire ancienne montre d'ailleurs clairement qu'en diverses parties de la terre, marquées par des cultures différentes, naissent en même temps les questions de fond qui caractérisent le parcours de l'existence humaine: Qui suis-je? D'où viens-je et où vais-je? Pourquoi la présence du mal? Qu'y aura-t-il après cette vie? Ces interrogations sont présentes dans les écrits sacrés d'Israël, mais elles apparaissent également dans les Védas ainsi que dans l'Avesta; nous les trouvons dans les écrits de Confucius et de Lao Tseu, comme aussi dans la prédication des Tirthankaras et de Bouddha; ce sont encore elles que l'on peut reconnaître dans les poèmes d'Homère et dans les tragédies d'Euripide et de Sophocle, de même que dans les traités philosophiques de Platon et d'Aristote. Ces questions ont une source commune: la quête de sens qui depuis toujours est pressante dans le cœur de l'homme, car de la réponse à ces questions dépend l'orientation à donner à l'existence.

2. Aliena sane non est Ecclesia, neque esse potest, hoc ab inquirendi opere. Ab eo enim tempore, cum intra Paschale Mysterium postremam accepit de hominis vita veritatem uti donum, facta est illa vicissim peregrina per semitas orbis ut Christum Iesum esse praedicet "viam veritatem et vitam" (cfr Io 14,6). Diversa inter officia, quae hominibus ea offerat oportet, unum illud nimirum esse intellegit sibi plane proprium: Veritatis diaconiam.1 Hoc officium, una ex parte, facit ut credens ipsa communitas particeps evadat communis illius operae qua homines attingere student veritatem; 2 altera vero ex parte, obstringitur communitas illa officio ut nuntia fiat rerum certarum quas cognovit, licet sibi conscia sit omnem veritatem captam unam dumtaxat stationem esse plenam ad illam veritatem quae ultima in Dei revelatione ostendetur: « Videmus enim nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem; nunc cognosco ex parte, tunc autem cognoscam, sicut et cognitus sum » (1 Cor 13,12).|

2. L'Eglise n'est pas étrangère à ce parcours de recherche, et elle ne peut l'être. Depuis que, dans le Mystère pascal, elle a reçu le don de la vérité ultime sur la vie de l'homme, elle est partie en pèlerinage sur les routes du monde pour annoncer que Jésus Christ est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). Parmi les divers services qu'elle doit offrir à l'humanité, il y en a un qui engage sa responsabilité d'une manière tout à fait particulière: c'est la diaconie de la vérité.1 D'une part, cette mission fait participer la communauté des croyants à l'effort commun que l'humanité accomplit pour atteindre la vérité 2 et, d'autre part, elle l'oblige à prendre en charge l'annonce des certitudes acquises, tout en sachant que toute vérité atteinte n'est jamais qu'une étape vers la pleine vérité qui se manifestera dans la révélation ultime de Dieu: « Nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu » (1 Co 13, 12).

3. Multiplices sunt facultates quibus uti potest homo ut veritatum cognoscendarum foveat progressionem, unde exsistentiam suam humaniorem reddat. Inter has philosophia eminet, quae recta adiuvat ut et interrogatio ponatur de vitae sensu et ei responsio iam adumbretur: quapropter unum ipsa reperitur nobiliorum hominis munerum. « Philosophiae » vox Graecam ad originem « sapientiae amorem » designat. Etenim nata philosophia est atque eo tempore enucleata quo coepit se ipsum homo interrogare de rerum causis finibusque. Diversis quidem formis modisque demonstrat philosophia ad ipsam hominis naturam pertinere veritatis cupiditatem. Innata est eius menti illa proprietas ut de rerum percontetur causis etiamsi responsiones paulatim inde redditae in formam quandam ingrediuntur quae diversas cultus humani species inter se complere manifesto ostendit.|

3. L'homme possède de multiples ressources pour stimuler le progrès dans la connaissance de la vérité, de façon à rendre son existence toujours plus humaine. Parmi elles ressort la philosophie, qui contribue directement à poser la question du sens de la vie et à en ébaucher la réponse; elle apparaît donc comme l'une des tâches les plus nobles de l'humanité. Le mot philosophie, selon l'étymologie grecque, signifie « amour de la sagesse ». En effet, la philosophie est née et s'est développée au moment où l'homme a commencé à s'interroger sur le pourquoi des choses et sur leur fin. Sous des modes et des formes différentes, elle montre que le désir de vérité fait partie de la nature même de l'homme. C'est une propriété innée de sa raison que de s'interroger sur le pourquoi des choses, même si les réponses données peu à peu s'inscrivent dans une perspective qui met en évidence la complémentarité des différentes cultures dans lesquelles vit l'homme.

Impulsio vehemens illa, quam ad efformationem progressionemque culturae in orbe Occidentali adhibuit philosophia, facere haud debet ut obliviscamur quatenus ipsa quoque pervaserit vias etiam humanae vitae concipiendae ex quibus Orientalis etiam vivit orbis. Cuique enim populo nativa est atque pristina sapientia quae, tamquam verus animi culturarum thesaurus, eo tendit ut exprimatur et rationibus potissimum philosophicis maturetur. Quam sit hoc verum inde etiam comprobatur quod principalis quaedam philosophicae scientiae figura, nostris etiam temporibus, deprehendi potest in iis postulatis quibus leges Nationum et civitatum informantur ad socialem vitam moderandam.|

La forte incidence qu'a eue la philosophie dans la formation et dans le développement des cultures en Occident ne doit pas nous faire oublier l'influence qu'elle a exercée aussi dans les manières de concevoir l'existence dont vit l'Orient. Tout peuple possède en effet sa propre sagesse autochtone et originelle qui, en tant que richesse culturelle authentique, tend à s'exprimer et à mûrir également sous des formes typiquement philosophiques. Que cela soit vrai, on en a pour preuve le fait qu'une forme fondamentale de savoir philosophique, présente jusqu'à nos jours, peut être identifiée jusque dans les postulats dont s'inspirent les diverses législations nationales et internationales pour établir les règles de la vie sociale.

4. Quidquid autem id est, notetur oportet sub uno nomine diversas latere significationes. Praevia igitur explicatio necessaria evadit. Concupiscens extremam vitae veritatem homo adipisci, illas universales studet comparare cognitiones quae ei facultatem dant melius se comprehendendi ulteriusque progrediendi ad se perficiendum. Fundamentales hae notiones illa ex admiratione emanant quam rerum creatarum contemplatio in eo excitat: rapitur enim homo stupens quod se in rerum universitatem videt insertum cum aliis sui similibus consociatum quibuscum etiam communicat sortem. Iter hinc incipit quod illum pervehet ad novos usque cognitionis orbes detegendos. Nisi obstupescens miraretur homo, in repetitionem quandam sterilem recideret ac, paulatim, facultatem amitteret vitae reapse personalis ducendae.|

4. Il faut en tout cas observer que derrière un mot unique se cachent des sens différents. Une explicitation préliminaire est donc nécessaire. Poussé par le désir de découvrir la vérité dernière de l'existence, l'homme cherche à acquérir les connaissances universelles qui lui permettent de mieux se comprendre et de progresser dans la réalisation de lui-même. Les connaissances fondamentales découlent de l'émerveillement suscité en lui par la contemplation de la création: l'être humain est frappé d'admiration en découvrant qu'il est inséré dans le monde, en relation avec d'autres êtres semblables à lui dont il partage la destinée. Là commence le parcours qui le conduira ensuite à la découverte d'horizons toujours nouveaux de connaissance. Sans émerveillement, l'homme tomberait dans la répétitivité et, peu à peu, il deviendrait incapable d'une existence vraiment personnelle.

Speculandi potestas, quae humani propria est intellectus, adiuvat ut, philosophicam per industriam, figura enucleetur exactae cogitationis sicque ordinata exstruatur disciplina logico affirmationum consensu atque solido doctrinarum contextu distincta. Hanc propter rationem, variis in cultus humani formis diversisque pariter aetatibus, fructus percepti sunt qui elaborandis veris cogitationum modis profuerunt. Ad historiae fidem factum est ut istud induceret ad unam dumtaxat philosophiae viam confundendam cum tota philosophica disciplina. Constat vero, his in casibus, certam quandam exsistere « superbiam philosophicam » quae suos attollere audeat oculos longe prospicientes at imperfectos ad interpretationem aliquam universalem. Re vera quodque philosophiae corpus, quantumvis reverendum sua in summa et amplitudine sine ullis abusibus, agnoscere debet principatum philosophicae cogitationis, ex qua et suam ducit originem et cui congruenter serviat necesse est.|

La capacité spéculative, qui est propre à l'intelligence humaine, conduit à élaborer, par l'activité philosophique, une forme de pensée rigoureuse et à construire ainsi, avec la cohérence logique des affirmations et le caractère organique du contenu, un savoir systématique. Grâce à ce processus, on a atteint, dans des contextes culturels différents et à des époques diverses, des résultats qui ont conduit à l'élaboration de vrais systèmes de pensée. Historiquement, cela a souvent exposé à la tentation de considérer un seul courant comme la totalité de la pensée philosophique. Il est cependant évident qu'entre en jeu, dans ces cas, une certaine « superbe philosophique » qui prétend ériger sa propre perspective imparfaite en lecture universelle. En réalité, tout système philosophique, même toujours respecté dans son intégralité sans aucune sorte d'instrumentalisation, doit reconnaître la priorité de la pensée philosophique d'où il tire son origine et qu'il doit servir d'une manière cohérente.

Hoc modo, quamquam mutantur tempora cognitionesque progrediuntur, agnosci licet quasi nucleum quendam philosophicarum notionum, quae nonnumquam adsunt in hominum cogitantium historia. Cogitentur verbi gratia, principia non contradictionis, finalitatis ac causalitatis nec non cogitatum personae veluti subiecti liberi et intellegentis eiusque facultas Deum veritatem bonumque cognoscendi; cogitentur pariter nonnullae normae morales praecipuae quae omnium item sunt communes. Haec aliaque argumenta demonstrant, variis doctrinarum praetermissis scholis, corpus exsistere cognitionum in quibus introspici potest genus quoddam spiritalis hominum patrimonii. Ita fit ut ante oculos quasi philosophiam implicitam reperiamus cuius principia quisque homo se possidere sentiat, tametsi sub forma omnino universali neque conscia. Quoniam communicantur hae notiones quadamtenus ab omnibus, ipsae efficere debent medium quoddam punctum quo diversae philosophicae scholae confluunt. Quotiens ratio percipere valet atque exprimere prima et universalia vitae principia indeque recte consectaria propria deducere ordinis logici et deontologici, totiens appellari potest ratio recta sive, quemadmodum antiqui loquebantur, orqoV logoV.|

En ce sens, il est possible de reconnaître, malgré les changements au cours des temps et les progrès du savoir, un noyau de notions philosophiques dont la présence est constante dans l'histoire de la pensée. Que l'on songe, à seul titre d'exemple, aux principes de non-contradiction, de finalité, de causalité, et de même à la conception de la personne comme sujet libre et intelligent, et à sa capacité de connaître Dieu, la vérité, le bien; que l'on songe également à certaines normes morales fondamentales qui s'avèrent communément partagées. Ces thèmes et d'autres encore montrent que, indépendamment des courants de pensée, il existe un ensemble de notions où l'on peut reconnaître une sorte de patrimoine spirituel de l'humanité. C'est comme si nous nous trouvions devant une philosophie implicite qui fait que chacun se sent possesseur de ces principes, fût-ce de façon générale et non réfléchie. Ces notions, précisément parce qu'elles sont partagées dans une certaine mesure par tous, devraient constituer des références pour les diverses écoles philosophiques. Quand la raison réussit à saisir et à formuler les principes premiers et universels de l'être et à faire correctement découler d'eux des conclusions cohérentes d'ordre logique et moral, on peut alors parler d'une raison droite ou, comme l'appelaient les anciens, de orthòs logos, recta ratio.

5. Sua ex parte facere non potest Ecclesia quin magni officium rationis aestimet ad proposita illa consequenda unde ipsa hominum vita dignior reddatur. Etenim in philosophia viam ipsa conspicatur cognoscendi principales veritates hominum vitam tangentes. Eodem tempore, philosophiam iudicat instrumentum pernecessarium ut fidei intellectus altius inquiratur atque Evangelii veritas iis impertiatur qui eam nondum cognoverunt.|

5. L'Eglise, pour sa part, ne peut qu'apprécier les efforts de la raison pour atteindre des objectifs qui rendent l'existence personnelle toujours plus digne. Elle voit en effet dans la philosophie le moyen de connaître des vérités fondamentales concernant l'existence de l'homme. En même temps, elle considère la philosophie comme une aide indispensable pour approfondir l'intelligence de la foi et pour communiquer la vérité de l'Évangile à ceux qui ne la connaissent pas encore.

Similia igitur Decessorum Nostrorum coepta prosecuti, cupimus etiam Nos ad hoc peculiare rationis humanae opus convertere oculos. Eo praesertim impellimur quod novimus his maxime temporibus veritatis ultimae inquisitionem saepius obscuratam videri. Haud dubitatur quin philosophiae recentiori laudi tribuatur quod mentes iam in hominem ipsum intenduntur. Hinc initio facto, quaedam ratio interrogationum plena ulterius propulit hominis cupiditatem plus plusque cognoscendi atque singula multo altius. Ita doctrinarum formae implexae exstructae sunt quae suos variis in cognitionis provinciis protulerunt fructus, progressui nempe faventes tum culturae tum historiae. Anthropologia, logica disciplina, scientiae naturales, historia et sermo..., immo quodam modo universitas cognitionis humanae est assumpta. Effectus re percepti suadere aliunde non debent ut obscuretur quod ipsa ratio, ad investigandum uno solo ex latere hominem uti subiectum intenta, videtur esse omnino oblita eundem hominem semper invitari ut ad veritatem se transcendentem progrediatur. Deficiente habitudine ad illam, quisque homo exponitur arbitrio soli suo atque ipsius velut personae condicio in eo est ut regulis unis pragmaticis aestimetur quae suapte natura experimentis innituntur, cum perperam credatur technicam artem necessario debere reliquis rebus dominari. Sic sane accidit ut, cum melius hanc intentionem ad veritatem exprimere deberet, gravata contra onere tot notitiarum ratio humana in se replicaretur atque de die in diem minus intuitum suum attollere in altiora posset ut veritatem exsistentiae consequi auderet. Recentior philosophia, omittens suas perquisitiones in ipsum « esse » dirigere, opus suum in cognitionibus hominum collocavit. Non ergo extulit facultatem quae homini data est veritatis cognoscendae, sed extollere eius limites maluit et condiciones.|

Faisant donc suite à des initiatives analogues de mes prédécesseurs, je désire moi aussi porter mon regard vers cette activité particulière de la raison. J'y suis incité par le fait que, de nos jours surtout, la recherche de la vérité ultime apparaît souvent occultée. Sans aucun doute, la philosophie moderne a le grand mérite d'avoir concentré son attention sur l'homme. A partir de là, une raison chargée d'interrogations a développé davantage son désir d'avoir une connaissance toujours plus étendue et toujours plus profonde. Ainsi ont été bâtis des systèmes de pensée complexes, qui ont donné des fruits dans les divers ordres du savoir, favorisant le développement de la culture et de l'histoire. L'anthropologie, la logique, les sciences de la nature, l'histoire, le langage..., d'une certaine manière, c'est l'univers entier du savoir qui a été embrassé. Les résultats positifs qui ont été atteints ne doivent toutefois pas amener à négliger le fait que cette même raison, occupée à enquêter d'une façon unilatérale sur l'homme comme sujet, semble avoir oublié que celui-ci est également toujours appelé à se tourner vers une vérité qui le transcende. Sans référence à cette dernière, chacun reste à la merci de l'arbitraire, et sa condition de personne finit par être évaluée selon des critères pragmatiques fondés essentiellement sur le donné expérimental, dans la conviction erronée que tout doit être dominé par la technique. Il est ainsi arrivé que, au lieu d'exprimer au mieux la tension vers la vérité, la raison, sous le poids de tant de savoir, s'est repliée sur elle-même, devenant, jour après jour, incapable d'élever son regard vers le haut pour oser atteindre la vérité de l'être. La philosophie moderne, oubliant d'orienter son enquête vers l'être, a concentré sa recherche sur la connaissance humaine. Au lieu de s'appuyer sur la capacité de l'homme de connaître la vérité, elle a préféré souligner ses limites et ses conditionnements.

Multiplices hinc enatae sunt agnosticismi et relativismi formae quibus eo usque provecta est philosophica investigatio ut iam in mobili veluti scepticismi universalis tellure pererraret. Recentius praeterea variae invaluerunt doctrinae illuc tendentes ut etiam illae veritates imminuantur quas homo se iam adeptum esse putaverat. Licita sententiarum varietas iam indistincto concessit pluralismo, principio niso omnes opinationes idem prorsus valere: unum hoc est signorum latissime disseminatorum illius diffidentiae de veritate, quam hodiernis in adiunctis deprehendi passim licet. In idem diffidens iudicium incidunt etiam quaedam vitae notiones ex Oriente profectae; in iis, enim, veritati negatur propria eius indoles, cum pro concesso sumatur pari modo veritatem diversis indicari in doctrinis, vel inter se contradicentibus. Hoc in rerum prospectu cuncta ad opinationem quandam rediguntur. Percipitur quasi motus quidam fluctuans: cum hinc philosophica investigatio iam in illam viam se inserere potuit, quae propiorem eam reddit ad hominum vitam eiusque formas expressas, illinc tamen eadem inquisitio explicare iam vult deliberationes exsistentiales, hermeneuticas vel linguisticas quae alienae sunt a fundamentali hac quaestione de veritate cuiusque hominis vitae, exsistentiae atque Dei ipsius. Quapropter in homine nostrae aetatis, neque tantummodo quosdam apud philosophos, iam emerserunt affectus alicuius diffidentiae passim disseminatae nulliusque fiduciae de permagnis hominum cognoscendi facultatibus. Falso cum pudore quis contentus fit veritatibus ex parte et ad tempus, quin interrogationes radicales ponere iam contendat de sensu extremoque vitae humanae fundamento, in singulis hominibus et in ipsa societate. Brevi: spes iam interiit fieri posse ut talibus interrogationibus decretoriae responsiones reddantur.|

Il en est résulté diverses formes d'agnosticisme et de relativisme qui ont conduit la recherche philosophique à s'égarer dans les sables mouvants d'un scepticisme général. Puis, récemment, ont pris de l'importance certaines doctrines qui tendent à dévaloriser même les vérités que l'homme était certain d'avoir atteintes. La pluralité légitime des positions a cédé le pas à un pluralisme indifférencié, fondé sur l'affirmation que toutes les positions se valent: c'est là un des symptômes les plus répandus de la défiance à l'égard de la vérité que l'on peut observer dans le contexte actuel. Certaines conceptions de la vie qui viennent de l'Orient n'échappent pas, elles non plus, à cette réserve; selon elles, en effet, on refuse à la vérité son caractère exclusif, en partant du présupposé qu'elle se manifeste d'une manière égale dans des doctrines différentes, voire contradictoires entre elles. Dans cette perspective, tout devient simple opinion. On a l'impression d'être devant un mouvement ondulatoire: tandis que, d'une part, la réflexion philosophique a réussi à s'engager sur la voie qui la rapproche toujours plus de l'existence humaine et de ses diverses expressions, elle tend d'autre part à développer des considérations existentielles, herméneutiques ou linguistiques qui passent sous silence la question radicale concernant la vérité de la vie personnelle, de l'être et de Dieu. En conséquence, on a vu apparaître chez l'homme contemporain, et pas seulement chez quelques philosophes, des attitudes de défiance assez répandues à l'égard des grandes ressources cognitives de l'être humain. Par fausse modestie, on se contente de vérités partielles et provisoires, sans plus chercher à poser des questions radicales sur le sens et sur le fondement ultime de la vie humaine, personnelle et sociale. En somme, on a perdu l'espérance de pouvoir recevoir de la philosophie des réponses définitives à ces questions.

6. Ecclesia vigens auctoritate illa, quae ei obtingit quod Revelationis Iesu Christi est custos, confirmare cupit huius meditationis necessitatem super veritate. Hanc ipsam ob causam in animum induximus appellare tum vos Veneratos in Episcopatu Fratres quibuscum annuntiandi communicamus munus « in manifestatione veritatis » (2 Cor 4,2) tum etiam philosophos atque theologos quorum est diversos veritatis perscrutari aspectus, tum etiam homines omnes adhuc quaerentes, ut nonnullas participemus cogitationes de itinere quod conducit ad veram sapientiam, ut quicumque in pectore amorem ipsius habeat, rectam ingredi valeat viam ut eam consequatur, in eaque quietem reperiat suis a laboribus spiritalemque laetitiam.|

6. Forte de la compétence qui lui vient du fait qu'elle est dépositaire de la Révélation de Jésus Christ, l'Eglise entend réaffirmer la nécessité de la réflexion sur la vérité. C'est pour cette raison que j'ai décidé de m'adresser à vous, vénérés Frères dans l'épiscopat avec lesquels je partage la mission de « manifester la vérité » (2 Co 4, 2), ainsi qu'aux théologiens et aux philosophes, auxquels revient le devoir de s'enquérir des différents aspects de la vérité, et aussi aux personnes qui sont en recherche, pour faire part de quelques réflexions sur la voie qui conduit à la vraie sagesse, afin que tous ceux qui ont au cœur l'amour de la sagesse puissent s'engager sur la bonne route qui permet de l'atteindre et trouver en elle la récompense de sa peine et la joie spirituelle.

Ad hoc inceptum Nos adducit conscientia in primis quae verbis Concilii Vaticani II significatur cum Episcopos esse adfirmat « divinae et catholicae veritatis testes ».3 Testificandae igitur veritatis officium est concreditum nobis Episcopis, quod deponere haud possumus quin simul ministerium acceptum deseramus. Fidei veritatem confirmantes, nostrae aetatis hominibus reddere possumus veram fiduciam de propriis cognoscendi facultatibus ipsique philosophicae disciplinae praebere provocationem ut suam plenam recuperare valeat explicareque dignitatem.|

Ce qui me porte à cette initiative, c'est tout d'abord la conscience de ce qu'exprime le Concile Vatican II, quand il affirme que les évêques sont des « témoins de la vérité divine et catholique ».3 Témoigner de la vérité est donc une tâche qui nous a été confiée, à nous évêques; nous ne pouvons y renoncer sans manquer au ministère que nous avons reçu. En réaffirmant la vérité de la foi, nous pouvons redonner à l'homme de notre époque une authentique confiance en ses capacités cognitives et lancer à la philosophie le défi de retrouver et de développer sa pleine dignité.

Alia Nos quoque permovet causa ut has perscribamus deliberationes. Litteris in Encyclicis Veritatis splendor inscriptis animorum intentionem direximus ad quasdam « doctrinae catholicae fundamentales veritates quae in periculo versantur deformationis vel negationis ob rerum adiuncta aetatis nostrae ».4 His Litteris pergere cupimus easdem meditationes ulterius persequi, mente videlicet conversa ad argumentum ipsius veritatis eiusque fundamentum quod spectat ad fidem. Etenim negari non potest hoc celerium et implicatarum mutationum tempore iuniores praesertim, ad quos pertinet ventura aetas et de quibus ea pendet, illi exponi sensui sive persuasioni se certis privari fundamentalibus principiis ad quae referantur. Necessitas alicuius solidi firmamenti, in quo vita singulorum hominum societatisque exstruatur, vehementius persentitur praesertim quotiens necesse est comprobare partialem naturam propositorum quae res transeuntes ad gradum alicuius ponderis tollunt, dum decipiunt potestatem ipsam assequendi verum vitae sensum. Ita profecto evenit ut multi suam vitam ad ipsum praecipitii marginem producant, nescientes interea quid ultra maneat. Inde hoc nempe accidit quod nonnumquam ii, quos munus fere proprium obstringebat ut culturae formis fructus proferrent suarum deliberationum, oculos a veritate abstraherent, cum laboris successum subitum praeferrent patientis inquisitionis labori earum rerum quae vivendo sunt experiendae. Strenue igitur pristinam suam vocationem recuperare debet philosophia cuius grave est officium cogitationem humanam informare nec non humanum ipsum cultum, perpetuo revocando homines ad veritatis perquisitionem. Hac omnino de causa non solam necessitatem sensimus, verum etiam morale officium ut de hoc argumento eloqueremur, ut hominum genus, limen tertii millenni christiani aetatis supergressurum, magis conscium sibi facultatum magnarum reddatur quae illi sunt concessae seque renovato animi fervore dedat salutis explendo consilio in quod ipsius est inserta historia.|

Un autre motif m'incite à écrire ces réflexions. Dans l'encyclique Veritatis splendor, j'ai attiré l'attention sur « quelques vérités fondamentales de la doctrine catholique, qui risquent d'être déformées ou rejetées dans le contexte actuel ».4 Par la présente Encyclique, je voudrais continuer cette réflexion et concentrer l'attention sur le thème même de la vérité et sur son fondement par rapport à la foi. On ne peut nier en effet que cette période de changements rapides et complexes expose surtout les jeunes générations, auxquelles appartient l'avenir et dont il dépend, à éprouver le sentiment d'être privées d'authentiques points de repères. L'exigence d'un fondement pour y édifier l'existence personnelle et sociale se fait sentir de manière pressante, surtout quand on est contraint de constater le caractère fragmentaire de propositions qui élèvent l'éphémère au rang de valeur, dans l'illusion qu'il sera possible d'atteindre le vrai sens de l'existence. Il arrive ainsi que beaucoup traînent leur vie presque jusqu'au bord de l'abîme sans savoir vers quoi ils se dirigent. Cela dépend aussi du fait que ceux qui étaient appelés par vocation à exprimer dans des formes culturelles le fruit de leur spéculation ont parfois détourné leur regard de la vérité, préférant le succès immédiat à la peine d'une recherche patiente de ce qui mérite d'être vécu. La philosophie, qui a la grande responsabilité de former la pensée et la culture par l'appel permanent à la recherche du vrai, doit retrouver vigoureusement sa vocation originelle. C'est pourquoi j'ai ressenti non seulement l'exigence mais aussi le devoir d'intervenir sur ce thème, pour que l'humanité, au seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne, prenne plus clairement conscience des grandes ressources qui lui ont été accordées et s'engage avec un courage renouvelé dans la réalisation du plan de salut dans lequel s'inscrit son histoire.


CAPUT I - SAPIENTIAE DIVINAE PATEFACTIO


CHAPITRE I - LA RÉVÉLATION DE LA SAGESSE DE DIEU



Iesus Patris Revelator


Jésus révèle le Père


7. Omni meditationi quam perficit Ecclesia subiacet conscientia apud ipsam nuntium depositum esse qui suam trahat originem ex Deo ipso (cfr 2 Cor 4,1-2). Haud ex propria consideratione provenit haec conscientia etiam profundissima quam hominibus ea praebet, verum ex verbi Dei in fide receptione (cfr 1 Thess 2,13). Ad vitae nostrae uti credentium originem congressio quaedam, sui generis unica, invenitur quae mysterii a saeculis absconditi designat illuminationem (cfr 1 Cor 2,7; Rom 16,25-26), quod autem nunc aperitur: « Placuit Deo in sua bonitate et sapientia seipsum revelare et notum facere sacramentum voluntatis suae (cfr Eph 1,9), quo homines per Christum, Verbum carnem factum, in Spiritu Sancto accessum habent ad Patrem et divinae naturae consortes efficiuntur ».5 Hoc est plane gratuitum opus quod a Deo proficiscitur et ad homines pervenit ut illi salvi fiant. Tamquam amoris fons Deus se cupit cognosci atque cognitio quam illius habet homo omnem perficit aliam notitiam quam mens eius assequi potest de propriae exsistentiae sensu.|

7. Au point de départ de toute réflexion que l'Eglise entreprend, il y a la conscience d'être dépositaire d'un message qui a son origine en Dieu même (cf. 2 Co 4, 1-2). La connaissance qu'elle propose à l'homme ne lui vient pas de sa propre spéculation, fût-ce la plus élevée, mais du fait d'avoir accueilli la parole de Dieu dans la foi (cf. 1 Th 2, 13). A l'origine de notre être de croyants se trouve une rencontre, unique en son genre, qui a fait s'entrouvrir un mystère caché depuis les siècles (cf. 1 Co 2, 7; Rm 16, 25-26), mais maintenant révélé: « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1, 9), par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, Verbe fait chair, dans l'Esprit Saint, et sont rendus participants de la nature divine ».5 C'est là une initiative pleinement gratuite, qui part de Dieu pour rejoindre l'humanité et la sauver. En tant que source d'amour, Dieu désire se faire connaître, et la connaissance que l'homme a de Lui porte à son accomplissement toute autre vraie connaissance que son esprit est en mesure d'atteindre sur le sens de son existence.

8. Doctrinam fere verbatim repetens, quam Concilii Vaticani I Constitutio Dei Filius exhibet, rationemque ducens principiorum in Concilio Tridentino propositorum Constitutio Concilii Vaticani II Dei Verbum ulterius produxit saeculare iter intellectus fidei, Revelationem ad doctrinae biblicae institutionisque totius patristicae lucem ponderando. Concilii Vaticani I participes supernaturalem revelationis divinae extulerunt indolem. Negabat censura rationalistica, quae eo ipso tempore adversus fidem movebatur secundum falsas lateque disseminatas opinationes, omnem cognitionem quae rationis naturalium potestatum non esset consecutio. Hoc quidem Concilium induxit ut vehementer inculcaret ultra omnem rationis humanae cognitionem, quae suapte natura ad Conditorem usque agnoscendum progredi valeret, cognitionem etiam reperiri quae fidei propria esset. Haec cognitio veritatem exprimit quae fundamentum invenit in Deo sese revelante quaeque veritas est certissima quandoquidem Deus nec fallit nec fallere cupit.6|

8. Reprenant presque littéralement l'enseignement donné par la Constitution Dei Filius du Concile Vatican I et tenant compte des principes proposés par le Concile de Trente, la Constitution Dei Verbum de Vatican II a continué le processus séculaire d'intelligence de la foi et a réfléchi sur la Révélation à la lumière de l'enseignement biblique et de l'ensemble de la tradition patristique. Au premier Concile du Vatican, les Pères avaient souligné le caractère surnaturel de la révélation de Dieu. La critique rationaliste, qui s'attaquait alors à la foi en partant de thèses erronées et très répandues, portait sur la négation de toute connaissance qui ne serait pas le fruit des capacités naturelles de la raison. Ce fait avait obligé le Concile à réaffirmer avec force que, outre la connaissance propre de la raison humaine, capable par nature d'arriver jusqu'au Créateur, il existe une connaissance qui est propre à la foi. Cette connaissance exprime une vérité fondée sur le fait même que Dieu se révèle, et c'est une vérité très certaine car Dieu ne trompe pas et ne veut pas tromper.6

9. Docet itaque Concilium Vaticanum I veritatem ex philosophica deliberatione perceptam atque Revelationis veritatem non confundi neutramque earum alteram reddere supervacaneam: « Duplicem esse ordinem cognitionis non solum principio, sed obiecto etiam distinctum: principio quidem, quia in altero naturali ratione, in altero fide divina cognoscimus; obiecto autem, quia praeter ea, ad quae naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur mysteria in Deo abscondita, quae, nisi revelata divinitus, innotescere non possunt ».7 Quae Dei testimonio innititur fides atque supernaturali gratiae utitur adiumento, re vera ad alium pertinet ordinem ac philosophicae cognitionis. Sensuum enim haec perceptioni adnititur nec non experientiae ac se sub intellectus solius lumine movet. Philosophia atque scientiae in naturalis rationis versantur ordine, dum contra a Spiritu illuminata et gubernata fides agnoscit in ipso salutis nuntio « gratiae et veritatis plenitudinem » (cfr Io 1,14) quam per historiam patefacere decrevit Deus semelque in sempiternum per Filium suum Iesum Christum (cfr 1 Io 5,9; Io 5,31-32).|

9. Le Concile Vatican I enseigne donc que la vérité atteinte par la voie de la réflexion philosophique et la vérité de la Révélation ne se confondent pas, et que l'une ne rend pas l'autre superflue: « Il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l'un c'est par la raison naturelle et dans l'autre par la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s'ils ne sont divinement révélés ».7 La foi, qui est fondée sur le témoignage de Dieu et bénéficie de l'aide surnaturelle de la grâce, est effectivement d'un ordre différent de celui de la connaissance philosophique. Celle-ci, en effet, s'appuie sur la perception des sens, sur l'expérience, et elle se développe à la lumière de la seule intelligence. La philosophie et les sciences évoluent dans l'ordre de la raison naturelle, tandis que la foi, éclairée et guidée par l'Esprit, reconnaît dans le message du salut la « plénitude de grâce et de vérité » (cf. Jn 1, 14) que Dieu a voulu révéler dans l'histoire et de manière définitive par son Fils Jésus Christ (cf. 1 Jn 5, 9; Jn 5, 31-32).

10. In Concilio Vaticano II Patres intendentes in Iesum Revelatorem mentes, voluerunt naturam revelationis Dei salutiferam collustrare in historia, cuius hoc modo proprietatem ita significaverunt: « Hac itaque revelatione Deus invisibilis (cfr Col 1,15; 1 Tim 1,17) ex abundantia caritatis suae homines tamquam amicos alloquitur (cfr Ex 33,11; Io 15,14-15) et cum eis conversatur (cfr Bar 3,38), ut eos ad societatem secum invitet in eamque suscipiat. Haec Revelationis oeconomia fit gestis verbisque intrinsece inter se connexis, ita ut opera, in historia salutis a Deo patrata, doctrinam et res verbis significatas manifestent ac corroborent, verba autem opera proclament et mysterium in eis contentum elucident. Intima autem per hanc Revelationem tam de Deo quam de hominis salute veritas nobis in Christo illucescit, qui mediator simul et plenitudo totius revelationis exsistit ».8|

10. Les Pères du Concile Vatican II, fixant leur regard sur Jésus qui révèle, ont mis en lumière le caractère salvifique de la révélation de Dieu dans l'histoire et ils en ont exprimé la nature dans les termes suivants: « Par cette révélation, le Dieu invisible (cf. Col 1, 15; 1 Tm 1, 17), dans son amour surabondant, s'adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33, 11; Jn 15, 14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3, 38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, si bien que les œuvres, accomplies par Dieu dans l'histoire du salut, manifestent et corroborent la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, et que les paroles, de leur côté, proclament les œuvres et élucident le mystère qui y est contenu. Par cette révélation, la vérité profonde sur Dieu aussi bien que sur le salut de l'homme se met à briller pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ».8

11. In tempus propterea inque historiae annales se interserit Dei revelatio. Immo evenit Iesu Christi incarnatio « in plenitudine temporis » (cfr Gal 4,4). Duobus ideo milibus annorum post illum eventum necesse esse rursus adseverare istud arbitramur: « Christiana in fide praecipuum habet pondus tempus ».9 Intra tempus namque profertur in lucem totum creationis ac salutis opus at in primis elucet per Filii Dei incarnationem vivere nos et iam nunc id antecapere quod ipsius temporis erit complementum (cfr Heb 1,2).|

11. La révélation de Dieu s'inscrit donc dans le temps et dans l'histoire. Et même l'incarnation de Jésus Christ advient à la « plénitude du temps » (Ga 4, 4). Deux mille ans après cet événement, j'éprouve le besoin de réaffirmer avec force que, « dans le christianisme, le temps a une importance fondamentale ».9 En lui, en effet, vient à la lumière toute l'œuvre de la création et du salut et surtout est manifesté le fait que, par l'incarnation du Fils de Dieu, nous vivons et nous anticipons dès maintenant ce qui sera l'accomplissement du temps (cf. He 1, 2).

Quam veritatem homini Deus concredidit de eo ipso eiusque vita in tempus itaque se introducit nec non in historiam. Semel quidem in perpetuum enuntiata est in mysterio Iesu Nazareni. Hoc eloquentibus quidem verbis edicit Constitutio Dei Verbum: « Postquam vero multifariam multisque modis Deus locutus est in Prophetis, "novissime diebus istis locutus est nobis in Filio" (Heb 1,1-2). Misit enim Filium suum, aeternum scilicet Verbum, qui omnes homines illuminat, ut inter homines habitaret iisque intima Dei enarraret (cfr Io 1,1-18). Iesus Christus [...], Verbum caro factum, "homo ad homines" missus, "verba Dei loquitur" (Io 3,34), et opus salutare consummat quod dedit ei Pater faciendum (cfr Io 5,36; 17,4). Quapropter Ipse, quem qui videt, videt et Patrem (cfr Io 14,9), tota sui ipsius praesentia ac manifestatione, verbis et operibus, signis et miraculis, praesertim autem morte sua et gloriosa ex mortuis resurrectione, misso tandem Spiritu veritatis, Revelationem complendo perficit ».10|

La vérité que Dieu a confiée à l'homme sur lui-même et sur sa vie s'inscrit donc dans le temps et dans l'histoire. Il est certain qu'elle a été prononcée une fois pour toutes dans le mystère de Jésus de Nazareth. La Constitution Dei Verbum le dit clairement: « Après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, "en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils" (He 1, 1-2). Il a, en effet, envoyé son Fils, à savoir le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu'il habitât parmi les hommes et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1, 1-18). Jésus Christ donc, Verbe fait chair, envoyé "comme homme vers les hommes", "prononce les paroles de Dieu" (Jn 3, 34) et achève l'œuvre de salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn 5, 36; 17, 4). C'est pourquoi lui-même — qui le voit, voit aussi le Père (cf. Jn 14, 9) —, par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d'entre les morts, enfin par l'envoi de l'Esprit de vérité, achève la Révélation en l'accomplissant ».10

Efficit itaque populo Dei historia haec iter quoddam ex toto percurrendum, ita ut revelata veritas omnem suam plene aperiat continentiam ob Spiritus Sancti continuam actionem (cfr Io 16,13). Id rursus Constitutio Dei Verbum docet cum adfirmat: « Ecclesia, volventibus saeculis, ad plenitudinem divinae veritatis iugiter tendit, donec in ipsa consummentur verba Dei ».11|

L'histoire constitue pour le peuple de Dieu un chemin à parcourir entièrement, de façon que la vérité révélée exprime en plénitude son contenu grâce à l'action constante de l'Esprit Saint (cf. Jn 16, 13). C'est encore une fois ce que dit la Constitution Dei Verbum quand elle affirme que « l'Eglise, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu ».11

12. Locus ita evadit historia ubi comprobare possumus Dei acta pro hominibus. Nos enim attingit ille in iis quae nobis maxime sunt familiaria et ad demonstrandum facilia, quia cotidiana nostra constituunt adiuncta, quibus submotis haud possemus nosmet ipsos intellegere.|

12. L'histoire devient donc le lieu où nous pouvons constater l'action de Dieu en faveur de l'humanité. Il nous rejoint en ce qui pour nous est le plus familier et le plus facile à vérifier parce que cela constitue notre cadre quotidien, sans lequel nous ne pourrions nous comprendre.

Permittit Dei Filii incarnatio ut perennis ac postrema summa videatur completa quam ex se profecta hominum mens numquam fingere sibi valuisset: Aeternum ingreditur tempus, Quod est Omne absconditur in parte, Deus hominis suscipit vultum. Christi in Revelatione igitur expressa veritas iam nullis circumscribitur artis locorum et culturarum finibus, verum cuivis viro et feminae aperitur quae eam complecti voluerit veluti sermonem penitus validum qui vitae tribuat sensum. In Christo omnes homines iam accessum habent ad Patrem; sua namque morte ac resurrectione Ipse vitam aeternam dono dedit quam primus respuerat Adamus (cfr Rom 5,12-15). Hanc per Revelationem ultima exhibetur homini de propria vita veritas deque historiae sorte: « Reapse nonnisi in mysterio Verbi incarnati mysterium hominis vere clarescit » adseverat Constitutio Gaudium et spes.12 Extra hunc rerum conspectum mysterium vitae singulorum hominum manet aenigma insolubile. Ubi reperire valet homo responsiones illis permoventibus interrogationibus, verbi gratia de dolore atque innocentis cruciatu ac de morte, nisi illo sub lumine quod ex mysterio passionis mortis resurrectionis Christi profluit?|

L'incarnation du Fils de Dieu permet de voir se réaliser la synthèse définitive que l'esprit humain, à partir de lui-même, n'aurait même pas pu imaginer: l'Eternel entre dans le temps, le Tout se cache dans le fragment, Dieu prend le visage de l'homme. La vérité exprimée dans la révélation du Christ n'est donc plus enfermée dans un cadre territorial et culturel restreint, mais elle s'ouvre à quiconque, homme ou femme, veut bien l'accueillir comme parole de valeur définitive pour donner un sens à l'existence. Or tous ont dans le Christ accès au Père; en effet, par sa mort et sa résurrection, le Christ a donné la vie divine que le premier Adam avait refusée (cf. Rm 5, 12-15). Par cette Révélation est offerte à l'homme la vérité ultime sur sa vie et sur le destin de l'histoire: « En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné », affirme la Constitution Gaudium et spes.12 En dehors de cette perspective, le mystère de l'existence personnelle reste une énigme insoluble. Où l'homme pourrait-il chercher la réponse à des questions dramatiques comme celles de la souffrance, de la souffrance de l'innocent et de la mort, sinon dans la lumière qui vient du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ?


Coram arcano - ratio


La raison devant le mystère


13. Non tamen oblivisci licebit Revelationem mysteriis abundare. Sane quidem cuncta sua ex vita Iesus vultum Patris revelat utpote qui venerit ut intima Dei enarraret; 13 verumtamen quam habemus talis vultus cognitio semper designatur incompleta quadam ratione atque etiam nostrae comprehensionis finibus. Sinit una fides nos in mysterium ingredi intimum, cuius congruentem fovet intellectum.|

13. Il ne faudra pas oublier en tout cas que la Révélation demeure empreinte de mystère. Certes, par toute sa vie, Jésus révèle le visage du Père, puisqu'il est venu pour faire connaître les profondeurs de Dieu;13 et pourtant la connaissance que nous avons de ce visage est toujours marquée par un caractère fragmentaire et par les limites de notre intelligence. Seule la foi permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension cohérente.

Docet Concilium quod « Deo revelanti praestanda est "oboeditio fidei" ».14 Perbrevi hac sed densa affirmatione principalis quaedam fidei christianae declaratur veritas. Dicitur, in primis, fidem esse oboedientiae responsionem Deo. Id poscit ut Ille sua agnoscatur in divinitate, sua in transcendentia supremaque libertate. Deus qui facit ut ipse cognoscatur ob suae absolutae transcendentiae auctoritatem, secum etiam adfert credibilitatem eorum quae revelat. Sua fide adsensum suum huiusmodi testificationi divinae tribuit homo. Hoc significat eum plene integreque agnoscere rerum revelatarum veritatem, quoniam ipse se pignus illarum exhibet Deus. Veritas haec, quae homini conceditur neque ab eo exigi potest, in contextum se introducit cuiusdam communicationis singularis inter personas rationemque ipsam humanam impellit ut ei se aperiat eiusque altam percipiat significationem. Hanc ob causam actus ille, quo nos Deo committimus, semper ab Ecclesia tamquam tempus habitus est cuiusdam electionis fundamentalis, qua tota involvitur persona. Usque ad extremum intellectus ac voluntas exercent spiritalem suam naturam ut subiecto humano permittatur actum perficere quo uniuscuiusque libertas pleno modo vivatur.15 In fide proinde non adest dumtaxat praesens libertas: etiam postulatur. Immo, ipsa fides unicuique facultatem dat suam enuntiandi meliore ratione libertatem. Aliis verbis: libertas non in electionibus contra Deum impletur. Quomodo enim verus libertatis usus iudicari posset nulla sese aperiendi voluntas ad id quod sinit homines se totos explicare? Credendo namque persona humana actum suae vitae significantissimum complet; hic enim veritatis certitudinem adsequitur veritas in eaque vivere decernit.|

Le Concile déclare qu'« à Dieu qui révèle il faut apporter l'obéissance de la foi ».14 Par cette affirmation brève mais dense, est exprimée une vérité fondamentale du christianisme. On dit tout d'abord que la foi est une réponse d'obéissance à Dieu. Cela implique qu'Il soit reconnu dans sa divinité, dans sa transcendance et dans sa liberté suprême. Le Dieu qui se fait connaître dans l'autorité de sa transcendance absolue apporte aussi des motifs pour la crédibilité de ce qu'il révèle. Par la foi, l'homme donne son assentiment à ce témoignage divin. Cela signifie qu'il reconnaît pleinement et intégralement la vérité de ce qui est révélé parce que c'est Dieu lui-même qui s'en porte garant. Cette vérité, donnée à l'homme et que celui-ci ne pourrait exiger, s'inscrit dans le cadre de la communication interpersonnelle et incite la raison à s'ouvrir à elle et à en accueillir le sens profond. C'est pour cela que l'acte par lequel l'homme s'offre à Dieu a toujours été considéré par l'Eglise comme un moment de choix fondamental où toute la personne est impliquée. L'intelligence et la volonté s'exercent au maximum de leur nature spirituelle pour permettre au sujet d'accomplir un acte dans lequel la liberté personnelle est pleinement vécue.15 Dans la foi, la liberté n'est donc pas seulement présente, elle est exigée. Et c'est même la foi qui permet à chacun d'exprimer au mieux sa liberté. Autrement dit, la liberté ne se réalise pas dans les choix qui sont contre Dieu. Comment, en effet, le refus de s'ouvrir vers ce qui permet la réalisation de soi-même pourrait-il être considéré comme un usage authentique de la liberté? C'est lorsqu'elle croit que la personne pose l'acte le plus significatif de son existence; car ici la liberté rejoint la certitude de la vérité et décide de vivre en elle.

In rationis adiumentum, quae mysterii quaerit intellectum, etiam signa praesentia in Revelatione occurrunt. Adiuvant ea ut altius perquiratur veritas utque mentem ex sese intra mysterium scrutari valeat. Quidquid id est, signa haec, si altera ex parte maiorem tribuunt rationi humanae vim quia sinunt eam propriis viribus, quarum ipsa est invidiosa custos, intra mysterium investigare, ex altera vero parte eam incitant ut eorum veluti signorum naturam transgrediatur ut ulteriorem percipiat significationem eorum quae in se continent. In iis ideoque iam abscondita subiacet veritas, ad quam dirigitur mens et a qua seiungi non potest quin simul signum ipsum illi praebitum deleatur.|

Les signes présents dans la Révélation viennent aussi en aide à la raison qui cherche l'intelligence du mystère. Ils servent à effectuer plus profondément la recherche de la vérité et à permettre que l'esprit, de façon autonome, scrute l'intérieur même du mystère. En tout cas, si, d'un côté, ces signes donnent plus de force à la raison parce qu'ils lui permettent de mener sa recherche à l'intérieur du mystère par ses propres moyens, dont elle est jalouse à juste titre, d'un autre côté ils l'invitent à transcender leur réalité de signes pour en recevoir la signification ultérieure dont ils sont porteurs. En eux est donc déjà présente une vérité cachée à laquelle l'esprit est renvoyé et qu'il ne peut ignorer sans détruire le signe même qui lui est proposé.

Quadamtenus revertimur ad sacramentalem Revelationis rationem atque, nominatim, ad eucharisticum signum ubi individua unitas inter rem ipsam eiusque significationem permittit ut mysterii capiatur altitudo. In Eucharistia revera praesens adest ac vivus Christus, suo cum Spiritu operatur, sed, quemadmodum praeclare sanctus Thomas edixit, « Quod non capis, quod non vides, animosa firmat fides, praeter rerum ordinem. Sub diversis speciebus, signis tantum, et non rebus, latent res eximiae ».16 Refert idem philosophus Blasius Pascal: « Sicut Christus Iesus ignotus inter homines fuit, ita manet veritas eius, communes inter opinationes, sine ulla exteriore distinctione. Sic etiam Eucharistia restat inter panem communem ».17|

On est renvoyé là, d'une certaine façon, à la perspective sacramentelle de la Révélation et, en particulier, au signe eucharistique dans lequel l'unité indivisible entre la réalité et sa signification permet de saisir la profondeur du mystère. Dans l'Eucharistie, le Christ est véritablement présent et vivant, il agit par son Esprit, mais, comme l'avait bien dit saint Thomas, « tu ne le comprends ni ne le vois; mais la foi vive, elle, l'affirme, en dépassant la nature. Par-dessous la double apparence, signe elle-même d'autre chose, vit la réalité sainte ».16 Le philosophe Pascal lui fait écho: « Comme Jésus Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi sa vérité demeure parmi les opinions communes, sans différence à l'extérieur. Ainsi l'Eucharistie parmi le pain commun ».17

Fidei cognitio, demum, mysterium non exstinguit; illud evidentius dumtaxat reddit demonstratque veluti necessarium vitae hominis elementum: Christus Dominus « in ipsa Revelatione mysterii Patris Eiusque amoris, hominem ipsi homini plene manifestat eique altissimam eius vocationem patefacit »,18 quae nempe ea est ut vitae trinitariae Dei particeps fiat.19|

En somme, la connaissance de foi n'annule pas le mystère; elle ne fait que le rendre plus évident et le manifester comme un fait essentiel pour la vie de l'homme: le Christ Seigneur, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui dévoile sa plus haute vocation »,18 qui est de participer au mystère de la vie trinitaire de Dieu.19

14. Verum novitatis prospectum recludunt ipsi scientiae philosophicae doctrinae binorum Conciliorum Vaticanorum. In hominum historiam inducit Revelatio necessitudinis punctum quoddam quo carere non potest homo, si ad suae vitae comprehendendum mysterium pervenire voluerit; aliunde vero haec cognitio continenter ad Dei refertur mysterium quod plane exhaurire mens non valet, sed dumtaxat percipere et in fide complecti. Intra haec duo tempora peculiare habet ratio humana spatium suum unde investigare ei licet atque comprehendere, quin tamen nulla alia re circumscribatur nisi finita natura suae indolis coram Dei infinito mysterio.|

14. L'enseignement des deux Conciles du Vatican ouvre également une véritable perspective de nouveautés pour le savoir philosophique. La Révélation introduit dans l'histoire un point de repère que l'homme ne peut ignorer s'il veut arriver à comprendre le mystère de son existence; mais, d'autre part, cette connaissance renvoie constamment au mystère de Dieu que l'esprit ne peut explorer à fond mais seulement recevoir et accueillir dans la foi. À l'intérieur de ces deux moments, la raison dispose d'un espace particulier qui lui permet de chercher et de comprendre, sans être limitée par rien d'autre que par sa finitude face au mystère infini de Dieu.

Quapropter in historiam nostram Revelatio infert aliquam veritatem, universalem atque ultimam, quae hominis mentem incitat ne umquam consistat; immo vero, eam impellit ut suae cognitionis fines perpetuo dilatet, donec ea omnia se perfecisse intellegat quae in ipsius erant potestate, nulla praetermissa parte. Ad hanc autem deliberationem adiuvare nos festinat unum ex fecundissimis ingeniis maximeque significantibus in generis hominum historia, ad quem virum honorifice se convertunt tam philosophia quam theologia: sanctus Anselmus. Ille Cantuariensis Archiepiscopus sic sententiam suo in Proslogion eloquitur: « Ad quod cum saepe studioseque cogitationem converterem atque aliquando mihi videretur iam capi posse quod quaerebam, aliquando mentis aciem omnino fugeret, tandem desperans volui cessare, velut ab inquisitione rei, quam inveniri esset impossibile. Sed cum illam cogitationem, ne mentem meam frustra occupando, ab aliis, in quibus proficere possem, impediret, penitus a me vellem excludere, tunc magis ac magis, nolenti et defendenti se coepit cum importunitate quadam ingerere. [...] Sed heu! me miserum, unum de aliis miseris filiis Evae, elongatis a Deo! Quid incoepi? Quid effeci? Quo tendebam? Quo deveni? Ad quid aspirabam? In quibus suspiro? [...] Ergo, Domine, non solum es id quo maius cogitari nequit, sed es quiddam maius quam cogitari possit. Quoniam namque valet cogitari esse aliquid huiusmodi; si tu non es hoc ipsum, potest cogitari aliquid maius te: quod fieri nequit ».20|

La Révélation fait donc entrer dans notre histoire une vérité universelle et ultime, qui incite l'esprit de l'homme à ne jamais s'arrêter; et même elle le pousse à élargir continuellement les champs de son savoir tant qu'il n'a pas conscience d'avoir accompli tout ce qui était en son pouvoir, sans rien négliger. Pour cette réflexion, nous sommes aidés par l'une des intelligences les plus fécondes et les plus significatives de l'histoire de l'humanité, à laquelle la philosophie aussi bien que la théologie se font un devoir de se référer: saint Anselme. Dans son Proslogion, l'archevêque de Cantorbéry s'exprime ainsi: « Comme souvent, avec ardeur, je tournais ma pensée sur ce point, ce que je cherchais parfois me semblait pouvoir être déjà saisi, et parfois fuyait tout à fait le regard de mon esprit; désespérant à la fin, je voulus cesser comme s'il s'agissait de rechercher chose impossible à trouver. Mais, alors que je voulais absolument exclure de moi cette pensée, de peur qu'en occupant vainement mon esprit elle n'empêchât d'autres occupations où je pusse progresser, voilà qu'elle commença, d'une importunité certaine, à s'imposer de plus en plus à moi, malgré mon refus et ma défense. [...] Mais hélas, malheureux, un des autres malheureux fils d'Ève éloignés de Dieu que je suis, qu'ai-je entrepris, qu'ai-je achevé? Où tendais-je, où en suis-je venu? A quoi aspirais-je, en quoi soupiré-je? [...] Par suite, Seigneur, tu n'es pas seulement tel que plus grand ne peut être pensé, (non solum es quo maius cogitari nequit), mais tu es quelque chose de plus grand qu'il ne se puisse penser (quiddam maius quam cogitari possit). [...]. Si tu n'es pas cela même, il est possible de penser quelque chose de plus grand que toi, ce qui ne peut se faire ».20

15. Revelationis christianae veritas, quae cum Iesu Nazareno congreditur, quemlibet hominem percipere sinit propriae vitae « mysterium ». Dum perinde ac suprema ipsa veritas observat illa autonomiam creaturae libertatemque eius illam etiam obstringit ut ad transcendentiam sese aperiat. Haec coniunctio libertatis ac veritatis maxima evadit planeque Domini intellegitur sermo: « Cognoscetis veritatem, et veritas liberabit vos » (Io 8,32).|

15. La vérité de la Révélation chrétienne, que l'on trouve en Jésus de Nazareth, permet à quiconque de recevoir le « mystère » de sa vie. Comme vérité suprême, tout en respectant l'autonomie de la créature et sa liberté, elle l'engage à s'ouvrir à la transcendance. Ici, le rapport entre la liberté et la vérité devient suprême, et l'on comprend pleinement la parole du Seigneur: « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8, 32).

Verum veluti astrum conductorium christiana Revelatio fit homini qui inter condiciones progreditur mentis cuiusdam immanentisticae nec non logicae technocraticae angustias; extrema est facultas quae a Deo praebetur ut pristinum amoris consilium, creatione ipsa inchoatum, denuo plene reperiatur. Hominibus verum cognoscere cupientibus, si ultra se adhuc prospicere valent et intuitum suum extra propria proposita attollere, potestas tribuitur veram necessitudinem cum sua vita recuperandi, viam persequendo veritatis. Ad hunc rerum statum bene dicta libri Deuteronomii adhiberi licet: « Mandatum hoc, quod ego praecipio tibi hodie, non supra te est neque procul positum nec in caelo situm, ut possis dicere: "Quis nobis ad caelum valet ascendere, ut deferat illud ad nos, et audiamus atque opere compleamus?". Neque trans mare positum, ut causeris dicas: "Quis nobis transfretare poterit mare et illud ad nos usque deferre, ut possimus audire et facere quod praeceptum est?". Sed iuxta te est sermo valde in ore tuo et in corde tuo, ut facias illum » (30,11-14). Quam notionem quasi vocis celebris imagine refert sententia sancti philosophi et theologi Augustini: « Noli foras ire, in te ipsum redi. In interiore homine habitat veritas ».21|

La Révélation chrétienne est la vraie étoile sur laquelle s'oriente l'homme qui avance parmi les conditionnements de la mentalité immanentiste et les impasses d'une logique technocratique; elle est l'ultime possibilité offerte par Dieu pour retrouver en plénitude le projet originel d'amour commencé à la création. A l'homme qui désire connaître le vrai, s'il est encore capable de regarder au-delà de lui-même et de lever son regard au-delà de ses projets, est donnée la possibilité de retrouver un rapport authentique avec sa vie, en suivant la voie de la vérité. Les paroles du Deutéronome peuvent bien s'appliquer à cette situation: « Cette loi que je te prescris aujourd'hui n'est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte. Elle n'est pas dans les cieux, qu'il te faille dire: "Qui montera pour nous aux cieux nous la chercher, que nous l'entendions pour la mettre en pratique?" Elle n'est pas au-delà des mers, qu'il te faille dire: "Qui ira pour nous au-delà des mers nous la chercher, que nous l'entendions pour la mettre en pratique?" Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique » (30, 11-14). A ce texte fait écho la célèbre pensée du saint philosophe et théologien Augustin: « Noli foras ire, in te ipsum redi. In interiore homine habitat veritas » — « Ne va pas au dehors, rentre en toi-même. C'est dans l'homme intérieur qu'habite la vérité ».21

His praelucentibus deliberationibus prima iam imponitur conclusio: quam nobis Revelatio cognoscere permittit veritas non fructus est maturus neque summus alicuius cogitationis apex ratione humana enucleatae. Illa contra cum proprietatibus se exhibet gratuiti muneris, gignit notiones poscitque ut amoris tamquam declaratio suscipiatur. Haec veritas revelata locus iam anticipatus in hominum historia est illius postremae ac decretoriae Dei visionis, quae iis destinatur quotquot credunt eumque animo conquirunt sincero. Ultimus propterea singulorum hominum vitae finis tum philosophiae studium exstat tum etiam theologiae. Utraque, licet instrumentis diversis ac doctrinis, hanc "viam vitae" (cfr Ps 16 [15],11) respicit quae, perinde ac praecipit nobis fides, novissimum repperit suum egressum plena in laetitia ac perpetua ex Dei Unius ac Trini contemplatione.|

A la lumière de ces considérations, une première conclusion s'impose: la vérité que la Révélation nous fait connaître n'est pas le fruit mûr ou le point culminant d'une pensée élaborée par la raison. Elle se présente au contraire avec la caractéristique de la gratuité, elle engendre une réflexion et elle demande à être accueillie comme expression d'amour. Cette vérité révélée est une anticipation, située dans notre histoire, de la vision dernière et définitive de Dieu qui est réservée à ceux qui croient en lui et qui le cherchent d'un cœur sincère. La fin ultime de l'existence personnelle est donc un objet d'étude aussi bien pour la philosophie que pour la théologie. Toutes les deux, bien qu'avec des moyens et des contenus différents, prospectent ce « chemin de la vie » (Ps 16 [15], 11) qui, comme nous le dit la foi, débouche finalement sur la joie pleine et durable de la contemplation de Dieu Un et Trine.


CAPUT II - CREDO UT INTELLEGAM


CHAPITRE II - CREDO UT INTELLEGAM



Sapientia scit omnia et intellegit (cfr Sap 9,11)


« La Sagesse sait et comprend tout » (Sg 9, 11)


16. Quam sit inter fidei cognitionem ac scientiam rationis alta iunctura iam Sacris in Litteris significatur mirabilibus quibusdam perspicuitatis affirmationibus. Hoc comprobant Libri Sapientiales potissimum. Hoc quidem ferit oculos in hac lectione sine praeiudicatis opinationibus facta harum Scripturae paginarum, quod his in locis non sola Israelis concluditur fides, verum etiam thesaurus societatum et culturarum interea exstinctarum. Veluti ex peculiari quodam consilio Aegyptus et Mesopotamia faciunt ut sua iterum audiatur vox ac communes quaedam proprietates culturarum antiqui Orientis in his paginis revocentur ad vitam, quae nempe conceptionibus insigniter altis abundant.|

16. La profondeur du lien entre la connaissance par la foi et la connaissance par la raison est déjà exprimée dans la Sainte Écriture en des termes d'une clarté étonnante. Le problème est abordé surtout dans les Livres sapientiaux. Ce qui frappe dans la lecture faite sans préjugés de ces pages de l'Ecriture est le fait que dans ces textes se trouvent contenus non seulement la foi d'Israël, mais aussi le trésor de civilisations et de cultures maintenant disparues. Pour ainsi dire, dans un dessein déterminé, l'Egypte et la Mésopotamie font entendre de nouveau leur voix et font revivre certains traits communs des cultures de l'Orient ancien dans ces pages riches d'intuitions particulièrement profondes.

Non fortuito fit ut, cum hominem describere sapientem vult auctor sacer, eum depingat ut diligentem quaerentemque veritatem: « Beatus vir, qui in sapientia morabitur et qui in iustitia sua meditabitur et in sensu cogitabit circumspectionem Dei; qui excogitat vias illius in corde suo et in absconditis suis intellegens, vadens post illam quasi investigator et in viis illius consistens; qui respicit per fenestras illius et in ianuis illius audiens; qui requiescit iuxta domum illius et in parietibus illius figens palum, statuet casulam suam ad manus illius et requiescet in deversorio bonorum per aevum. Statuet filios suos sub tegmine illius et sub ramis eius morabitur; protegetur sub tegmine illius a fervore et in gloria eius requiescet » (Eccli 14,22-27).|

Ce n'est pas un hasard si, au moment où l'auteur sacré veut décrire l'homme sage, il le dépeint comme celui qui aime et recherche la vérité: « Heureux l'homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets. Il la poursuit comme le chasseur, il est aux aguets sur sa piste; il se penche à ses fenêtres et écoute à ses portes; il se poste tout près de sa demeure et fixe un pieu dans ses murailles; il dresse sa tente à proximité et s'établit dans une retraite de bonheur; il place ses enfants sous sa protection et sous ses rameaux il trouve un abri; sous son ombre il est protégé de la chaleur et il s'établit dans sa gloire » (Si 14, 20-27).

Uti patet, scriptori inspirato praebetur cognoscendi cupiditas tamquam proprietas simul omnium hominum communis. Propter intellectum cunctis, tum credentibus tum etiam non credentibus, facultas tribuitur « aquam profundam » cognitionis exhauriendi (cfr Prv 20,5). Procul dubio, apud antiquum Israelem orbis eiusque ostenta cognoscebantur non abstracta a rebus cogitatione, quemadmodum philosopho accidebat Ionico vel sapienti Aegyptio; tanto minus comprehendebat bonus tunc Israelita cognitionem humanam iis ipsis modis qui recentioris proprii sunt aetatis, cum magis ad scientiae partitionem tenditur. Nihilo tamen minus in latissimam provinciam totius cognoscendi rationis fecit orbis biblicus ut peculiares suae confluerent partes.|

Pour l'auteur inspiré, comme on le voit, le désir de connaître est une caractéristique commune à tous les hommes. Grâce à l'intelligence, la possibilité de « puiser l'eau profonde » de la connaissance (cf. Pr 20, 5) est donnée à tous, croyants comme non-croyants. Dans l'ancien Israël, la connaissance du monde et de ses phénomènes ne se faisait certes pas abstraitement, comme pour le philosophe ionien ou le sage égyptien. Le bon israélite appréhendait encore moins la connaissance selon les paramètres de l'époque moderne, qui est davantage portée à la division du savoir. Malgré cela, le monde biblique a fait converger son apport original vers l'océan de la théorie de la connaissance.

Quales denique? Proprietas ea, qua textus biblicus signatur, in eo consistit quod persuadetur altam et continuam exsistere coniunctionem inter rationis cognitionem atque fidei. Mundus eaque omnia quae in illo contingunt, perinde ac historia variique populi eventus, res quidem sunt respiciendae explorandae et iudicandae propriis rationis instrumentis, fide tamen ab hoc processu haudquaquam subtracta. Ipsa non ideo intercedit ut autonomiam rationis deiciat aut eius actionis regionem deminuat, sed tantummodo ut homini explicet his in eventibus visibilem fieri agereque Deum Israelis. Fieri itaque non potest ut funditus mundus percipiatur eventaque historiae, nisi simul fides in Deum proferatur qui in illis operatur. Acuit interiorem intuitum fides dum mentem ipsam recludit ad operantem detegendam Providentiae praesentiam in progredientibus eventis. Libri Proverbiorum enuntiatio multum hac in re significat: « Cor hominis disponit viam suam, sed Domini est dirigere gressus eius » (16,9). Quod est: homo rationis lumine collustratus suam novit repperire viam, eam vero percurrere facile valet expediteque sine obicibus usque ad extremum, si recto animo inquisitionem suam in fidei inseruerit prospectum. Quam ob rem segregari ratio ac fides non possunt quin simul homini ipsa facultas deficiat mundum Deumque et seipsum congruo modo cognoscendi.|

Quel est cet apport? La particularité qui distingue le texte biblique consiste dans la conviction qu'il existe une profonde et indissoluble unité entre la connaissance de la raison et celle de la foi. Le monde et ce qui s'y passe, de même que l'histoire et les vicissitudes du peuple, sont des réalités regardées, analysées et jugées par les moyens propres de la raison, mais sans que la foi demeure étrangère à ce processus. La foi n'intervient pas pour amoindrir l'autonomie de la raison ou pour réduire son domaine d'action, mais seulement pour faire comprendre à l'homme que le Dieu d'Israël se rend visible et agit dans ces événements. Par conséquent, connaître à fond le monde et les événements de l'histoire n'est pas possible sans professer en même temps la foi en Dieu qui y opère. La foi affine le regard intérieur et permet à l'esprit de découvrir, dans le déroulement des événements, la présence agissante de la Providence. Une expression du livre des Proverbes est significative à ce propos: « Le cœur de l'homme délibère sur sa voie, mais c'est le Seigneur qui affermit ses pas » (16, 9). Autrement dit, l'homme sait reconnaître sa route à la lumière de la raison, mais il peut la parcourir rapidement, sans obstacle et jusqu'à la fin, si, avec rectitude, il situe sa recherche dans la perspective de la foi. La raison et la foi ne peuvent donc être séparées sans que l'homme perde la possibilité de se connaître lui-même, de connaître le monde et Dieu de façon adéquate.

17. Nihil igitur causae est cur inter se ratio ac fides aemulentur: in altera enim altera invenitur et proprium utraque habet spatium sui explicandi. Proverbiorum rursus liber in hanc nos dirigit partem cum exclamat: « Gloria Dei est celare verbum, est gloria regum investigare sermonem » (25,2). Collocantur suo quisque in orbe Deus et homo quasi unica in necessitudine. Omnium rerum origo reponitur in Deo in Eoque mysterii colligitur plenitudo: quod ipsius efficit gloriam; ad hominem officium pertinet veritatem sua ratione pervestigandi, quod eius profecto constituit nobilitatem. Alia hoc ad musivum opus additur tessella a Psalmista cum precatur « mihi autem nimis pretiosae cogitationes tuae, Deus; nimis gravis summa earum. Si denumerabo eas, super arenam multiplicabuntur; si ad finem pervenerim, adhuc sum tecum (139[138],17-18). Cognoscendi cupiditas ita magna est secumque talem infert dynamicam vim ut hominis animus, licet terminum experiatur quem praetergredi par non est, ad infinitam tamen adspiret ubertatem quae ultra iacet, quoniam in ea iam percipit responsionem custodiri consentaneam cuilibet quaestioni cui adhuc non est responsum.|

17. Il ne peut donc exister aucune compétitivité entre la raison et la foi: l'une s'intègre à l'autre, et chacune a son propre champ d'action. C'est encore le livre des Proverbes qui oriente dans cette direction quand il s'exclame: « C'est la gloire de Dieu de celer une chose, c'est la gloire des rois de la scruter » (25, 2). Dans leurs mondes respectifs, Dieu et l'homme sont placés dans une relation unique. En Dieu réside l'origine de toutes choses, en Lui se trouve la plénitude du mystère, et cela constitue sa gloire; à l'homme revient le devoir de rechercher la vérité par sa raison, et en cela consiste sa noblesse. Un autre élément est ajouté à cette mosaïque par le Psalmiste quand il prie en disant: « Pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante! Je les compte, il en est plus que sable; ai-je fini, je suis encore avec toi » (139 [138], 17-18). Le désir de connaître est si grand et comporte un tel dynamisme que le cœur de l'homme, même dans l'expérience de ses limites infranchissables, soupire vers l'infinie richesse qui est au-delà, parce qu'il a l'intuition qu'en elle se trouve la réponse satisfaisante à toutes les questions non encore résolues.

18. Quocirca adfirmari licet sua meditatione scivisse Israelem suae rationi viam ad mysterium pandere. In Dei Revelatione potuit altitudinem pertemptare, quousque ratione sua pertingere studebat non autem eo perveniens. Ex hac altiore cognitionis forma profectus, intellexit populus ille electus rationem quasdam observare oportere regulas praecipuas in quibus propriam naturam melius declararet. Prima in eo consistit regula ut ratio habeatur huius veritatis: in itinere constitutum esse hominem quod interrumpi non possit; secunda, ex conscientia nascitur neminem hanc in viam introire superbo animo eius qui omnia propriarum virium effecta esse arbitretur; consistit tertia in « timore Dei », cuius supremam agnoscere debet ratio transcendentiam simulque providum in gubernandis rebus amorem.|

18. Nous pouvons donc dire que, par sa réflexion, Israël a su ouvrir à la raison la voie vers le mystère. Dans la révélation de Dieu, il a pu sonder en profondeur tout ce qu'il cherchait à atteindre par la raison, sans y réussir. A partir de cette forme plus profonde de connaissance, le peuple élu a compris que la raison doit respecter certaines règles fondamentales pour pouvoir exprimer au mieux sa nature. Une première règle consiste à tenir compte du fait que la connaissance de l'homme est un chemin qui n'a aucun répit; la deuxième naît de la conscience que l'on ne peut s'engager sur une telle route avec l'orgueil de celui qui pense que tout est le fruit d'une conquête personnelle; une troisième règle est fondée sur la « crainte de Dieu », dont la raison doit reconnaître la souveraine transcendance et en même temps l'amour prévoyant dans le gouvernement du monde.

Quotiens ab hisce receditur regulis, periculo obicitur homo ne deficiat deveniatque in « stulti condicionem ». Ad Bibliae sententiam huic stultitiae inest minatio vitae. Se enim decipit stultus plura cognoscere, verum non potest reapse animum in res necessarias intendere. Hoc etiam eum impedit quominus suam recte ordinet mentem (cfr Prv 1,7) rectumque affectum sumat de se deque rebus circumsistentibus. Cum adseverat deinde « non est Deus » (cfr Ps 14[13],1) clarissime in posterum demonstrat quatenus sua cognitio desit et quam procul ipse a veritate rerum plena absit de rebus, de earum origine atque sorte.|

Quand il s'éloigne de ces règles, l'homme s'expose au risque de l'échec et finit par se trouver dans la condition de l'« insensé ». Dans la Bible, cette stupidité comporte une menace pour la vie; l'insensé en effet s'imagine connaître beaucoup de choses, mais en réalité il n'est pas capable de fixer son regard sur ce qui est essentiel. Cela l'empêche de mettre de l'ordre dans son esprit (cf. Pr 1, 7) et de prendre l'attitude qui convient face à lui-même et à son environnement. Et quand il en arrive à affirmer « Dieu n'existe pas » (cf. Ps 14 [13], 1), il montre en toute clarté que sa connaissance est déficiente et combien elle est loin de la pleine vérité sur les choses, sur leur origine et sur leur destinée.

19. Magni momenti loci qui plus hoc super argumentum lucis effundunt in libro Sapientiae inveniuntur. Inibi loquitur sacer auctor de Deo qui per ipsam rerum naturam sese demonstrat. Penes antiquos naturalium scientiarum studium maxima ex parte cum philosophica cognitione consonabat. Postquam asseveravit sacer textus hominem sui intellectus virtute scire posse « dispositionem orbis terrarum et virtutes elementorum, [...] anni cursus et stellarum dispositiones, naturas animalium et iras bestiarum » (Sap 7,17.19-20), paucis verbis, philosophari eum valere, ulterius gressum facit et quidem praecipuum: repetens philosophiae Graecae notionem, ad quam hoc loco res referri videtur, affirmat auctor hominem omnino super natura ratiocinantem posse ad Deum ascendere: « A magnitudine enim et pulchritudine creaturarum cognoscibiliter potest Creator horum videri » (Sap 13,5). Primum ideo agnoscitur divinae Revelationis stadium quod mirabilis constituit « liber naturae », quo perlegendo homo rationis suae instrumentis ad Creatoris pertingere potest cognitionem. Si porro intellectu suo non eo usque advenit homo ut Deum omnium Conditorem cognoscat, hoc non tam deficienti instrumento est tribuendum, quantum potius impedimento libera ipsius voluntate ac peccatis propriis interiecto.|

19. Le Livre de la Sagesse comporte des textes importants qui projettent une autre lumière sur ce sujet. L'auteur sacré y parle de Dieu qui se fait connaître aussi à travers la nature. Pour les anciens, l'étude des sciences naturelles correspondait en grande partie au savoir philosophique. Après avoir affirmé que par son intelligence l'homme est en mesure de « connaître la structure du monde et l'activité des éléments [...], les cycles de l'année et les positions des astres, la nature des animaux et les instincts des bêtes sauvages » (Sg 7, 17.19-20), en un mot, qu'il est capable de philosopher, le texte sacré accomplit un pas en avant de grande importance. Retrouvant la pensée de la philosophie grecque, à laquelle il semble se référer dans ce contexte, l'auteur affirme qu'en raisonnant sur la nature, on peut remonter au Créateur: « La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur » (Sg 13, 5). Un premier stade de la Révélation divine, constitué du merveilleux « livre de la nature », est donc reconnu; en le lisant avec les instruments de la raison humaine, on peut arriver à la connaissance du Créateur. Si l'homme ne parvient pas, par son intelligence, à reconnaître Dieu créateur de toute chose, cela est dû non pas tant au manque de moyen adéquat, qu'aux obstacles mis par sa libre volonté et par son péché.

20. Hoc sub prospectu bene aestimatur ratio, sed nimium non existimatur. Quidquid assequitur illa verum esse potest, at plenam suam consequitur significationem tum solum cum notiones ampliorem in rerum prospectum proiciuntur, nempe ipsius fidei: « A Domino diriguntur gressus viri; quis autem hominum intellegere potest viam suam? » (Prv 20,24). Apud Vetus itaque Testamentum rationem fides liberat quatenus ei congruenter attingere permittit proprium cognitionis obiectum idque in supremo reponere ordine ubi omnia suum habent sensum. Brevi: veritatem ratione consequitur homo, quoniam fide collustratus altum rerum omnium detegit sensum ac nominatim suae exsistentiae. Iure igitur ac merito auctor sacer verae cognitionis initium plane collocat in Dei timore: « Timor Domini principium scientiae » (Prv 1,7; cfr Eccli 1,14).|

20. De ce point de vue, la raison est valorisée, mais non surestimée. Tout ce qu'elle atteint, en effet, peut être vrai, mais elle n'acquiert une pleine signification que si son contenu est placé dans une perspective plus vaste, celle de la foi: « Le Seigneur dirige les pas de l'homme: comment l'homme comprendrait-il son chemin? » (Pr 20, 24). Pour l'Ancien Testament la foi libère donc la raison en ce qu'elle lui permet d'atteindre d'une manière cohérente son objet de connaissance et de le situer dans l'ordre suprême où tout prend son sens. En un mot, l'homme atteint la vérité par la raison, parce que, éclairé par la foi, il découvre le sens profond de toute chose, en particulier de sa propre existence. L'auteur sacré met donc très justement le commencement de la vraie connaissance dans la crainte de Dieu: « La crainte du Seigneur est le principe du savoir » (Pr 1, 7; cf. Si 1, 14).


Posside sapientiam, posside prudentiam (Prv 4, 5)


« Acquiers la sagesse, acquiers l'intelligence » (Pr 4,5)


21. Non conditur, pro Veteris Testamenti hominibus, cognitio in observatione dumtaxat hominis et orbis et historiae, verum insolubilem poscit etiam coniunctionem cum fide cumque Revelationis doctrinis. Hic inveniuntur illae provocationes quibus occurrere populus electus debuit reddereque responsum. Hanc suam perpendens condicionem homo biblicus perspexit se intellegere non posse nisi « coniunctum » secum et cum populo, cum reliquo orbe ac cum Deo ipso. Haec ad mysterium patefactio, quae ex Revelatione ipsi contingebat, tandem fons illi verae cognitionis exstitit quae permisit rationi eius ut se in infinita spatia propelleret et sic comprehendere posset modis antehac omnino insperatis.|

21. La connaissance, pour l'Ancien Testament, ne se fonde pas seulement sur une observation attentive de l'homme, du monde et de l'histoire. Elle suppose nécessairement un rapport avec la foi et avec le contenu de la Révélation. On trouve ici les défis que le peuple élu a dû affronter et auxquels il a répondu. En réfléchissant sur sa condition, l'homme biblique a découvert qu'il ne pouvait pas se comprendre sinon comme un « être en relation »: avec lui-même, avec le peuple, avec le monde et avec Dieu. Cette ouverture au mystère, qui lui venait de la Révélation, a finalement été pour lui la source d'une vraie connaissance, qui a permis à sa raison de s'engager dans des domaines infinis, ce qui lui donnait une possibilité de compréhension jusqu'alors inespérée.

Non deerat inquisitionis impetus, pro auctore sacro, ab illo labore qui oriebatur ex conflictione cum rationis humanae limitibus. Animadvertitur illud, verbi gratia, iis in vocibus quibus Proverbiorum liber fatigationem enarrat qua quis intellegere arcana Dei consilia conatur (cfr 30,1-6). Verumtamen, quantumvis opus fatiget, credens manus non dat. Virtus illa, qua iter suum ad veritatem persequi potest, ei ex certa persuasione obtingit: Deum ipsum veluti « exploratorem » (cfr Eccle 1,13) creavisse eiusque munus esse nihil intemptatum relinquere, licet dubia perpetuo ei minitentur. Deo innixus, protenditur semper et ubique ille adversus ea omnia quae pulchra sunt, bona et vera.|

Pour l'auteur sacré, l'effort de la recherche n'était pas exempt de la peine due à l'affrontement aux limites de la raison. On le saisit, par exemple, dans les paroles par lesquelles le Livre des Proverbes révèle la fatigue que l'on éprouve lorsqu'on cherche à comprendre les desseins mystérieux de Dieu (cf. 30, 1-6). Cependant, malgré la peine, le croyant ne cède pas. La force pour continuer son chemin vers la vérité lui vient de la certitude que Dieu l'a créé comme un « explorateur » (cf. Qo 1, 13), dont la mission est de ne renoncer à aucune recherche, malgré la tentation continuelle du doute. En s'appuyant sur Dieu, il reste tourné, toujours et partout, vers ce qui est beau, bon et vrai.

22. Primo in epistulae ad Romanos capite adiuvat nos sanctus Paulus quo melius percipiamus quam sit acuta Librorum Sapientialium deliberatio. Populari sermone argumentationem quandam philosophicam enodans Apostolus altam testificatur veritatem: per creata possunt « oculi mentis » ad Deum cognoscendum advenire. Nam ipse per creaturas facit ut ratio humana « virtutem » suam ac « divinitatem » intueatur (cfr Rom 1,20). Hominis rationi ergo illa adsignatur facultas quae excedere videtur ipsos eius naturae limites: non tantum intra sensuum cognitionem non circumscribitur, quoniam de iis critico iudicio meditari valet, sed de sensuum notitiis ratiocinando causam etiam tangere potest quae omnium rerum sensibilium subiacet origini. Philosophicis vocibus dici licet in pergravi loco illo Paulino potestatem hominis metaphysicam adfirmari.|

22. Saint Paul, dans le premier chapitre de sa Lettre aux Romains, nous aide à mieux apprécier à quel point la réflexion des Livres sapientiaux est pénétrante. Développant une argumentation philosophique dans un langage populaire, l'Apôtre exprime une vérité profonde: à travers le créé, les « yeux de l'esprit » peuvent arriver à connaître Dieu. Celui-ci en effet, par l'intermédiaire des créatures, laisse pressentir sa « puissance » et sa « divinité » à la raison (cf. Rm 1, 20). On reconnaît donc à la raison de l'homme une capacité qui semble presque dépasser ses propres limites naturelles: non seulement elle n'est pas confinée dans la connaissance sensorielle, puisqu'elle peut y réfléchir de manière critique, mais, en argumentant sur les donnés des sens, elle peut aussi atteindre la cause qui est à l'origine de toute réalité sensible. Dans une terminologie philosophique, on pourrait dire que cet important texte paulinien affirme la capacité métaphysique de l'homme.

In prisco creationis proposito, iudicante Apostolo, rationis humanae praevisa erat facultas facile sensuum cognitiones excedendi ut ipsa omnium origo reperiretur: Creator. Propter inoboedientiam, qua maluit homo plena et absoluta libertate sese illi opponere qui eum condiderat, defecit haec potestas ad conditorem Deum revertendi.|

Selon l'Apôtre, dans le projet originel de la création était prévue la capacité de la raison de dépasser facilement le donné sensible, de façon à atteindre l'origine même de toute chose, le Créateur. A la suite de la désobéissance par laquelle l'homme a choisi de se placer lui-même en pleine et absolue autonomie par rapport à Celui qui l'avait créé, la possibilité de remonter facilement à Dieu créateur a disparu.

Figuris vivis describit Liber Genesis hanc hominis condicionem, narrans Deum eum collocavisse in hortis Eden quibus in mediis situm erat lignum « scientiae boni et mali » (cfr 2,17). Luculenta est figura: non valebat homo pervidere ex seque statuere quid bonum esset quidve malum, at superius quoddam ad principium se referre debebat. Superbiae caecitas protoparentes nostros ita fefellit ut se supremos esse crederent suique plane iuris et posse idcirco excludere cognitionem a Deo profectam. Sua prima inoboeditione viros mulieresque omnes illi implicaverunt atque rationi humanae vulnera intulerunt quae progressionem illius ad plenam veritatem erant impeditura. Facultas humana veritatis cognoscendae iam obscurata erat repudiatione Eius qui fons est veritatis atque origo. Iterum Apostolus aperit quantopere cogitationes hominum, propter peccatum, « vanae » factae sint ipsaeque eorum ratiocinationes detortae ad falsumque ordinatae (cfr Rom 1,21-22). Mentis oculi iam non poterant perspicue videre: paulatim facta est ratio humana sui ipsius captiva. Christi dein adventus salutis eventus fuit quo sua ex infirmitate erepta est ratio atque impedimentis liberata quibus ipsa sese omnino incluserat.|

Le Livre de la Genèse décrit de manière très expressive cette condition de l'homme, quand il relate que Dieu le plaça dans le jardin d'Eden, au centre duquel était situé « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (2, 17). Le symbole est clair: l'homme n'était pas en mesure de discerner et de décider par lui-même ce qui était bien et ce qui était mal, mais il devait se référer à un principe supérieur. L'aveuglement de l'orgueil donna à nos premiers parents l'illusion d'être souverains et autonomes, et de pouvoir faire abstraction de la connaissance qui vient de Dieu. Ils entraînèrent tout homme et toute femme dans leur désobéissance originelle, infligeant à la raison des blessures qui allaient alors l'entraver sur le chemin vers la pleine vérité. Désormais, la capacité humaine de connaître la vérité était obscurcie par l'aversion envers Celui qui est la source et l'origine de la vérité. C'est encore l'Apôtre qui révèle combien les pensées des hommes, à cause du péché, devaient devenir « vaines » et les raisonnements déformés et orientés vers ce qui est faux (cf. Rm 1, 21-22). Les yeux de l'esprit n'étaient plus capables de voir avec clarté: progressivement la raison est demeurée prisonnière d'elle-même. La venue du Christ a été l'événement de salut qui a racheté la raison de sa faiblesse, la libérant des chaînes dans lesquelles elle s'était elle-même emprisonnée.

23. Postulat idcirco Christiani habitudo ad philosophiam fundamentale quoddam iudicium. In Novo Testamento, potissimum in sancti Pauli epistulis, illud manifestum elucet: « huius mundi sapientia » sapientiae a Deo in Christo Iesu patefactae opponitur. Revelatae sapientiae altitudo consuetos nostros deliberationum terminos perrumpit, utpote qui consentaneo modo eam exprimere nequeant.|

23. Par conséquent, le rapport du chrétien avec la philosophie demande un discernement radical. Dans le Nouveau Testament, surtout dans les Lettres de saint Paul, un point ressort avec une grande clarté: l'opposition entre « la sagesse de ce monde » et la sagesse de Dieu révélée en Jésus Christ. La profondeur de la sagesse révélée rompt le cercle de nos schémas habituels de réflexion, qui ne sont pas du tout en mesure de l'exprimer de façon appropriée.

Funditus hanc difficultatem imponit initium Primae Epistulae ad Corinthios. Crucifixus Dei Filius ipse historicus est eventus ad quem eliditur omnis mentis conatus exstruendi defensionem de exsistentiae sensu congruam ex humanis dumtaxat ratiocinationibus. Verus enim nodus, quo omnis philosophia lacessitur, est Iesu Christi mors in cruce. Hic namque omne conamen redigendi Patris salutiferum consilium in humanam logicam puram ad interitum destinatur. « Ubi sapiens? ubi scriba? ubi conquisitor huius saeculi? Nonne stultam fecit Deus sapientiam huius mundi? », instanter percontatur Apostolus (1 Cor 1,20). Ad haec quae efficere cogitat Deus non amplius sola hominis sufficit prudentis sapientia, verum gressus decretorius quidam efflagitatur ad rem prorsus complectendam novam: « Quae stulta sunt mundi, elegit Deus, ut confundat sapientes [...] ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, quae non sunt, ut ea quae sunt, destrueret » (1 Cor 1,27-28). Renuit hominis sapientia contueri sua in infirmitate fundamentum suae fortitudinis; at sanctus Paulus affirmare non haesitat: « Cum enim infirmor, tunc potens sum » (2 Cor 12,10). Non valet percipere homo quo pacto vitae fons amorisque mors esse possit, verumtamen ut sui salutis perficiendae consilii mysterium aperiret instituit Deus id quod humana ratio « stultitiam » et « scandalum » appellat. Sermone philosophorum suorum aequalium usus, sanctus Paulus attingit culmen magisterii sui atque illius paradoxi quod enuntiare cupit: « Elegit Deus, quae non sunt ut ea, quae sunt, destrueret » (1 Cor 1,28). Amoris demonstrati in cruce Christi gratuitam indolem ut declaret, nihil quidem dubitat Apostolus sermonem multo efficaciorem adhibere quam philosophi usurpabant ipsi suis in disceptationibus de Deo. Vacuefacere non potest ratio humana mysterium amoris quod crux exhibet, cum ex contrario eadem crux praebere potest rationi humanae responsum extremum quod ea conquirit. Non sane verborum sapientiam sed Verbum Sapientiae Paulus recenset veluti veritatis regulam simulque salutis.|

Le commencement de la première Lettre aux Corinthiens pose radicalement ce dilemme. Le Fils de Dieu crucifié est l'événement historique contre lequel se brise toute tentative de l'esprit pour construire sur des argumentations seulement humaines une justification suffisante du sens de l'existence. Le vrai point central, qui défie toute philosophie, est la mort en croix de Jésus Christ. Ici, en effet, toute tentative de réduire le plan salvifique du Père à une pure logique humaine est vouée à l'échec. « Où est-il, le sage? Où est-il, l'homme cultivé? Où est-il, le raisonneur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde? » (1 Co 1, 20), se demande l'Apôtre avec emphase. Pour ce que Dieu veut réaliser, la seule sagesse de l'homme sage n'est plus suffisante; c'est un passage décisif vers l'accueil d'une nouveauté radicale qui est demandé: « Ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages; [...] ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi; ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est » (1 Co 1, 27-28). La sagesse de l'homme refuse de voir dans sa faiblesse la condition de sa force; mais saint Paul n'hésite pas à affirmer: « Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » (2 Co 12, 10). L'homme ne réussit pas à comprendre comment la mort peut être source de vie et d'amour, mais, pour révéler le mystère de son dessein de salut, Dieu a choisi justement ce que la raison considère comme « folie » et « scandale ». Paul, parlant le langage des philosophes ses contemporains, atteint le sommet de son enseignement ainsi que du paradoxe qu'il veut exprimer: Dieu a choisi dans le monde ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est (cf. 1 Co 1, 28). Pour exprimer la nature de la gratuité de l'amour révélé dans la Croix du Christ, l'Apôtre n'a pas peur d'utiliser le langage plus radical que les philosophes employaient dans leurs réflexions sur Dieu. La raison ne peut pas vider le mystère d'amour que la Croix représente, tandis que la Croix peut donner à la raison la réponse ultime qu'elle cherche. Ce n'est pas la sagesse des paroles, mais la Parole de la Sagesse que saint Paul donne comme critère de Vérité et, en même temps, de salut.

Crucis sapientia igitur omnem culturae limitem transgreditur quem ei aliunde imponere nitantur atque imperat ut quisque se aperiat universali veritatis naturae quam in se ipsa gerit. Qualis rationi nostrae obicitur provocatio, qualemve inde percipit utilitatem si se dederit! Philosophia, quae iam ex se agnoscere potest perpetuum hominis ascensum adversus veritatem, adiuvante fide potest se recludere ad recipiendum in « stultitia » Crucis criticum iudicium eorum qui falso arbitrantur se veritatem possidere, dum eam angustiis sui philosophici instituti involvunt. Inter fidem et philosophiam necessitudo in Christi crucifixi ac resuscitati praedicatione scopulum offendit ad quem naufragium facere potest, sed ultra quem patescere potest infinitum veritatis spatium. Hic liquido indicatur inter rationem ac fidem limes; at locus similiter clarus elucescit ubi ambae ipsae congredi possunt.|

La sagesse de la Croix dépasse donc toutes les limites culturelles que l'on veut lui imposer et nous oblige à nous ouvrir à l'universalité de la vérité dont elle est porteuse. Quel défi est ainsi posé à notre raison et quel profit elle en retire si elle l'accepte! La philosophie, qui déjà par elle-même est en mesure de reconnaître le continuel dépassement de l'homme vers la vérité, peut, avec l'aide de la foi, s'ouvrir pour accueillir dans la « folie » de la Croix la critique authentique faite à tous ceux qui croient posséder la vérité, alors qu'ils l'étouffent dans l'impasse de leur système. Le rapport entre la foi et la philosophie trouve dans la prédication du Christ crucifié et ressuscité l'écueil contre lequel il peut faire naufrage, mais au-delà duquel il peut se jeter dans l'océan infini de la vérité. Ici se manifeste avec évidence la frontière entre la raison et la foi, mais on voit bien aussi l'espace dans lequel les deux peuvent se rencontrer.


CAPUT III - INTELLEGO UT CREDAM


CHAPITRE III - INTELLEGO UT CREDAM



In via veritatem ad inquirendam


Avancer dans la recherche de la vérité


24. Lucas Evangelista in Actibus Apostolorum narrat Paulum, varia inter missionis itinera, Athenas pervenisse. Urbs illa, philosophorum sedes, simulacris affluebat, quae diversa idola ostentabant. In altare quoddam repente mentem intendit quare cito exordium sumpsit ad statuendum elementum commune unde nuntium kerigmaticum iniret: « Viri Athenienses, — ait — per omnia quasi superstitiosiores vos video; praeteriens enim et videns simulacra vestra inveni et aram, in qua scriptum erat: "Ignoto Deo". Quod ergo ignorantes colitis, hoc ego annuntio vobis » (Act 17, 22-23). Inde exorsus Paulus de Deo loquitur tamquam Creatore, de Eo nempe qui omnia superat et omnia vivificat. Sermonem dein ita prosequitur: « Fecitque ex uno omne genus hominum inhabitare super universam faciem terrae, definiens statuta tempora et terminos habitationis eorum, quaerere Deum si forte attrectent eum et inveniant, quamvis non longe sit ab unoquoque nostrum » (Act 17, 26-27).|

24. L'évangéliste Luc rapporte dans les Actes des Apôtres que, durant ses voyages missionnaires, Paul arriva à Athènes. La cité des philosophes était remplie de statues représentant différentes idoles. Un autel frappa son attention et, saisissant aussitôt cette occasion, il définit un point de départ commun pour lancer l'annonce du kérygme: « Athéniens — dit-il —, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription: "Au dieu inconnu". Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer » (Ac 17, 22-23). A partir de là, saint Paul parle de Dieu comme créateur, comme de Celui qui transcende toute chose et qui donne la vie à tout. Il continue ensuite son discours ainsi: « Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre, s'il a fixé des temps déterminés et les limites de l'habitat des hommes, c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous » (Ac 17, 26-27).

Apostolus in luce collocat veritatem quam Ecclesia uti thesaurum habere consuevit; in latebris cordis hominis flagrans Dei desiderium est seminatum. Quod vehementer recolit liturgia Feriae VI in Parasceve, cum, in precibus pro non credentibus, nos invitat ad orandum: « Omnipotens sempiterne Deus, qui cunctos homines condidisti, ut te semper desiderando quaererent et inveniendo quiescerent... ».22 Iter igitur quoddam exstat quod homo sua ex voluntate emetiri potest: quod quidem initium sumit cum ratio facultate ditatur sese ultra res contingentes extollendi ut in infinitum peregrinetur.|

L'Apôtre met en lumière une vérité dont l'Eglise a toujours fait son profit: au plus profond du cœur de l'homme sont semés le désir et la nostalgie de Dieu. La liturgie du Vendredi saint le rappelle aussi avec force quand, invitant à prier pour ceux qui ne croient pas, elle nous fait dire: « Dieu éternel et tout-puissant, toi qui as créé les hommes pour qu'ils te cherchent de tout leur cœur et que leur cœur s'apaise en te trouvant ».22 Il y a donc un chemin que l'homme peut parcourir s'il le veut; il part de la capacité de la raison de s'élever au-dessus de ce qui est contingent pour s'élancer vers l'infini.

Diversa ratione ac diversa quoque aetate homo penitum hoc desiderium exprimere scivit. Litterae, ars musica, pictura, sculptura, architectura aliique fructus eius fecundae mentis instrumenta facta sunt quibus significatur desiderium investigandi. Philosophia hunc motum peculiarem in modum in se collegit et, per sua instrumenta et secundum proprios usus scientificos, enuntiavit hoc universale hominis desiderium.|

De plusieurs façons et en des temps différents, l'homme a montré qu'il sait exprimer cet intime désir. La littérature, la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture et tous les autres produits de son intelligence créatrice sont devenus des canaux par lesquels il exprime les aspirations de sa recherche. La philosophie, de façon particulière, a épousé ce mouvement et a exprimé, avec ses moyens et selon les modalités scientifiques qui lui sont propres, ce désir universel de l'homme.

25. « Omnes homines scire volunt » 23 et huius desiderii obiectum veritas est. Ipsa vita cotidiana ostendit quantum studium inducat unumquemque nostrum ut, praeter ea quae tantum ex auditu percipiuntur, cognoscere valeat quomodo res vere se habeant. Homo solus est in universo visibili qui non solum facultate pollet sciendi, verum novit etiam se scire, atque hac de causa intendit animum authenticae veritati rerum quae illi obversantur. Nemo indifferens manere potest coram suae scientiae veritate. Si quid falsum homo invenit, eo ipso id respuit; si vero veritatem detegere potest, satiatum se sentit. Hanc doctrinam profitetur sanctus Augustinus scribens: « Multos expertus sum, qui vellent fallere, qui autem falli, neminem ».24 Persona merito dicitur adultam aetatem attigisse tantum cum, pro viribus, vera a falsis diiudicare potest, constituens ita proprium iudicium de authentica rerum veritate. In hoc consistit tot vestigationum causa, praesertim in ambitu scientiarum, quae novissimis saeculis tantos obtinuerunt exitus, ut authenticae progressioni totius humanae societatis faverent.|

25. « Tous les hommes aspirent à la connaissance »,23 et l'objet de cette aspiration est la vérité. La vie quotidienne elle-même montre que chacun éprouve de l'intérêt pour découvrir, au-delà du simple ouï-dire, comment sont vraiment les choses. L'homme est l'unique être dans toute la création visible qui, non seulement est capable de savoir, mais qui sait aussi connaître et, pour cela, il s'intéresse à la vérité réelle de ce qui lui apparaît. Personne ne peut être sincèrement indifférent à la vérité de son savoir. S'il découvre qu'il est faux, il le rejette; s'il peut, au contraire, en vérifier la vérité, il se sent satisfait. C'est la leçon de saint Augustin quand il écrit: « J'ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient tromper, mais personne qui voulait se faire tromper ».24 On pense à juste titre qu'une personne a atteint l'âge adulte quand elle peut discerner, par ses propres moyens, ce qui est vrai de ce qui est faux, en se formant un jugement sur la réalité objective des choses. C'est là l'objet de nombreuses recherches, en particulier dans le domaine des sciences, qui ont conduit au cours des derniers siècles à des résultats très significatifs, favorisant un authentique progrès de l'humanité tout entière.

Non minus ponderis quam theoretica habet investigatio practica: dicimus veritatis investigationem ad bonum implendum intentam. Persona quidem, ethico more se gerens, si secundum liberum et rectum arbitrium operatur, viam beatitudinis ingreditur atque ad perfectionem intendit. Hoc quoque in casu agitur de veritate. Hanc sententiam confirmavimus in Litteris Encyclicis Veritatis splendor: « ...sine libertate non datur moralitas... Si ius datur ut quisque observetur in itinere ad inquirendam veritatem, est tamen antea unicuique perquirendae veritatis gravis moralis obligatio eidemque cognitae adhaerescendi ».25|

La recherche réalisée dans le domaine pratique est aussi importante que celle qui est faite dans le domaine théorique : je veux parler de la recherche de la vérité sur le bien à accomplir. Par son agir éthique, en effet, la personne qui suit son libre et juste vouloir s'engage sur le chemin du bonheur et tend vers la perfection. Dans ce cas, il s'agit aussi de vérité. J'ai déjà exprimé cette conviction dans l'encyclique Veritatis splendor: « Il n'y a pas de morale sans liberté. [...] S'il existe un droit à être respecté dans son propre itinéraire de recherche de la vérité, il existe encore antérieurement l'obligation morale grave pour tous de chercher la vérité et, une fois qu'elle est connue, d'y adhérer ».25

Valores igitur, selecti et propriis viribus comparati, veri sint oportet, quandoquidem dumtaxat valores veri perficere possunt personam eiusque naturam ad effectum deducere. Hanc valorum veritatem homo invenit non in se ipse se recludens sed sese aperiens ad eam accipiendam etiam in modis humanam naturam excedentibus. Haec necessaria est condicio ut quisquis ipse sit et adolescat uti adultam et sapientem decet personam.|

Il est donc nécessaire que les valeurs choisies et poursuivies dans la vie soient vraies, parce que seules des valeurs vraies peuvent perfectionner la personne en accomplissant sa nature. Cette vérité des valeurs, l'homme la trouve non pas en se renfermant sur lui-même mais en s'ouvrant pour l'accueillir également dans les dimensions qui le dépassent. C'est là une condition nécessaire pour que chacun devienne lui-même et grandisse comme personne adulte et mûre.

26. Veritas ab exordiis instar interrogationis homini proponitur: habetne vita sensum? quo illa cursum suum tendit? Prima inspectione, exsistentia personalis ostendi posset sensu radicitus destituta. Necesse non est philosophos adire qui absurdum profitentur nec confugere ad provocatorias quaestiones quae inveniuntur in Libro Iob ut dubitetur de vitae sensu. Cotidiana doloris experientia, sive propria sive aliorum, nec non cognitio tot casuum qui sub lumine rationis inexplicabiles videntur, sufficiunt ut quaestio adeo dramatica de sensu vitae vitari nequeat.26 Huc addendum est quod prima veritas absolute certa nostrae exsistentiae, praeter quam quod iam exsistimus, est inevitabilis mortis nostrae condicio. Hac obstupescenti re praehabita, exhaustum responsum quaeratur oportet. Unusquisque optat — immo tenetur — cognoscere veritatem de proprio fine. Scire vult utrum mors sit definitiva conclusio eius exsistentiae an sit aliquid quod mortem praetergrediatur; utrum liceat illi in vita ulteriore spem reponere necne. Non absque re mens philosophica cursum decretorium recepit inde ab obitu Socratis quo plusquam duo millennia sic est insignita. Nec casu fit ut philosophi, ob mortis eventum, hanc quaestionem simul cum quaestione de vita deque immortalitate iterum atque iterum sibi proponant.|

26. La vérité se présente initialement à l'homme sous une forme interrogative: la vie a-t-elle un sens? quel est son but? A première vue, l'existence personnelle pourrait se présenter comme radicalement privée de sens. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux philosophes de l'absurde ni aux questions provocatrices qui se trouvent dans le livre de Job pour douter du sens de la vie. L'expérience quotidienne de la souffrance, la sienne propre et celle d'autrui, la vue de tant de faits qui à la lumière de la raison apparaissent inexplicables, suffisent à rendre inéluctable une question aussi dramatique que celle du sens.26 Il faut ajouter à cela que la première vérité absolument certaine de notre existence, outre le fait que nous existons, est l'inéluctabilité de notre mort. Face à cette donnée troublante s'impose la recherche d'une réponse complète. Chacun veut — et doit — connaître la vérité sur sa fin. Il veut savoir si la mort sera le terme définitif de son existence ou s'il y a quelque chose qui dépasse la mort; s'il lui est permis d'espérer une vie ultérieure ou non. Il n'est pas sans signification que la pensée philosophique ait reçu de la mort de Socrate une orientation décisive et qu'elle en soit demeurée marquée depuis plus de deux millénaires. Il n'est donc pas du tout fortuit que, devant le fait de la mort, les philosophes se soient sans cesse reposé ce problème en même temps que celui du sens de la vie et de l'immortalité.

27. Has interrogationes nemo fugere potest, nec philosophus nec homo plebeius. Ex responsis quae iisdem dantur suprema pendet investigationis pars: utrum fieri possit ut perveniatur necne ad veritatem universalem et absolutam. Ex se, quaevis veritas, etsi non integra, si est authentica, universalis exhibetur et absoluta. Quod verum est, pro omnibus et semper verum esse debet. Hanc praeter universalitatem, tamen, homo quaerit aliquid absolutum quod responsum ferre possit et sensum ad omnia quae vestigantur: ens quoddam supremum quod fundamentum exstet cuiusque rei. Ut aliis utamur verbis, homo quaerit definitivam dilucidationem, valorem quendam supremum, ultra quem nec sint nec esse possint interrogationes aut ulteriora addenda. Opiniones animos allicere possunt, non vero illis satisfacere. Momentum adventat pro omnibus, quo, sive admittitur sive non, necesse est ut propria exsistentia sustentetur veritate absoluta, quae certitudinem pariat nec amplius dubio subiciatur.|

27. Personne ne peut échapper à ces questions, ni le philosophe ni l'homme ordinaire. De la réponse qui leur est donnée dépend une étape décisive de la recherche: est-il possible ou non d'atteindre une vérité universelle et absolue? En soi, toute vérité, même partielle, si elle est réellement une vérité, se présente comme universelle. Ce qui est vrai doit être vrai pour tous et pour toujours. En plus de cette universalité, cependant, l'homme cherche un absolu qui soit capable de donner réponse et sens à toute sa recherche: quelque chose d'ultime, qui se place comme fondement de toute chose. En d'autres termes, il cherche une explication définitive, une valeur suprême, au-delà de laquelle il n'y a pas, et il ne peut y avoir, de questions ou de renvois ultérieurs. Les hypothèses peuvent fasciner, mais elles ne satisfont pas. Pour tous vient le moment où, qu'on l'admette ou non, il faut ancrer son existence à une vérité reconnue comme définitive, qui donne une certitude qui ne soit plus soumise au doute.

Similem veritatem, per saeculorum decursum, philosophi detegere et exprimere curarunt, quandam condendo doctrinam seu scholam philosophicam. Praeter doctrinas philosophicas, tamen, sunt aliae expressiones quibus homo intendit suam « philosophiam » constituere: agitur de suasionibus vel experientiis privatis, de familiae culturaeque traditionibus vel de viis exsistentiae propriis, in quibus quisque alicuius magistri auctoritati se committit. In singulis his indiciis semper flagrans permanet studium assequendi certitudinem veritatis eiusque absoluti valoris.|

Au cours des siècles, les philosophes ont cherché à découvrir et à exprimer une vérité de cet ordre, en donnant naissance à un système ou à une école de pensée. Toutefois, au-delà des systèmes philosophiques, il y a d'autres expressions dans lesquelles l'homme cherche à donner forme à sa propre « philosophie »: il s'agit de convictions ou d'expériences personnelles, de traditions familiales et culturelles ou d'itinéraires existentiels dans lesquels on s'appuie sur l'autorité d'un maître. En chacune de ces manifestations, ce qui demeure toujours vif est le désir de rejoindre la certitude de la vérité et de sa valeur absolue.


Diversae de homine veritatis facies


Les différents visages de la vérité de l'homme


28. Veritatis investigatio non semper — quod nobis est agnoscendum! — simili ostenditur perspicuitate et congruentia. Naturalis limitatio rationis et animi iactatio investigationem cuiusque hominis obumbrant saepeque avertunt. Aliae personales diversae indolis utilitates obruere possunt veritatem. Fieri quoque potest ut homo vitet eam statim ut incipit illam cognoscere, quia eius postulationes metuit. Quo non obstante, etiam cum eam fugit, ipsa illius exsistentiam permovet. Numquam enim ille propriam vitam dubio, incertitudine vel mendacio fulcire posset; eiusmodi exsistentia metu et anxietate infestaretur. Homo igitur definiri potest ille qui veritatem quaeritat.|

28. Il faut reconnaître que la recherche de la vérité ne se présente pas toujours avec une telle transparence et une telle cohérence. La nature limitée de la raison et l'inconstance du cœur obscurcissent et dévient souvent la recherche personnelle. D'autres intérêts d'ordres divers peuvent étouffer la vérité. Il arrive aussi que l'homme l'évite absolument, dès qu'il commence à l'entrevoir, parce qu'il en craint les exigences. Malgré cela, même quand il l'évite, c'est toujours la vérité qui influence son existence. Jamais, en effet, il ne pourrait fonder sa vie sur le doute, sur l'incertitude ou sur le mensonge; une telle existence serait constamment menacée par la peur et par l'angoisse. On peut donc définir l'homme comme celui qui cherche la vérité.

29. Cogitari nequit investigationem, tam radicitus in hominis natura confirmatam, prorsus inutilem et inanem evadere. Ipsa quaerendi veritatem facultas et interrogandi, ex se, primum iam constituit responsum. Homo quaerere non inciperet quod prorsus ignoraret aut impervium duceret. Tantummodo spes perveniendi ad quoddam responsum potest eum perducere ad primum ferendum gradum. Hoc quidem re accidit in scientifica pervestigatione: cum doctus vir, perspicientia eius quadam praehabita, cuiusdam phaenomeni explicationem logicam et probabilem quaerit, iam ab initio firmam nutrit spem responsum inveniendi, neque animo frangitur prae rebus male gestis. Inanem non considerat originalem intuitum tantummodo ex eo quod scopum non attigit; merito potius dicere poterit se aequum responsum nondum invenisse.|

29. Il n'est pas pensable qu'une recherche aussi profondément enracinée dans la nature humaine puisse être complètement inutile et vaine. La capacité même de chercher la vérité et de poser des questions implique déjà une première réponse. L'homme ne commencerait pas à chercher ce qu'il ignorerait complètement ou ce qu'il estimerait impossible à atteindre. Seule la perspective de pouvoir arriver à une réponse peut le pousser à faire le premier pas. De fait, c'est bien ce qui arrive normalement dans la recherche scientifique. Quand un savant, à la suite d'une intuition, se met à la recherche de l'explication logique et vérifiable d'un phénomène déterminé, il est convaincu dès le commencement qu'il trouvera une réponse et il ne cède pas devant les insuccès. Il ne juge pas inutile son intuition première seulement parce qu'il n'a pas atteint l'objectif; avec raison il dira plutôt qu'il n'a pas encore trouvé la réponse adéquate.

Idem dicendum est de perquisitione veritatis in novissimarum quaestionum contextu. Veritatis sitis ita cordi hominis est insita ut, necessitas quaedam eam praetermittendi, propriam exsistentiam in discrimen adducat. Sufficit ut inquiratur in vitam cotidianam ut probetur quo modo demum unusquisque in seipso patiatur illam sollicitudinem quae fluit de quibusdam essentialibus quaesitis et simul quo modo in mente adumbrationem servet saltem illarum responsionum. Agitur de responsionibus, de quarum veritate conscii sumus, quoniam patet eas quoad substantiam non differre a responsionibus ad quas alii plures pervenerunt. Haud dubie quidem non quaelibet veritas quae acquiritur eodem fruitur pondere. Ex latis attamen exitibus simul sumptis confirmatur hominis facultas perveniendi, in universum, ad veritatem.|

La même chose doit valoir aussi pour la recherche de la vérité dans le domaine des questions ultimes. La soif de vérité est tellement enracinée dans le cœur de l'homme que la laisser de côté mettrait l'existence en crise. En somme, il suffit d'observer la vie de tous les jours pour constater que chacun de nous porte en lui la hantise de quelques questions essentielles et en même temps garde dans son esprit au moins l'ébauche de leurs réponses. Ce sont des réponses dont on est convaincu de la vérité, notamment parce que l'on constate qu'en substance elles ne diffèrent pas des réponses auxquelles sont arrivés beaucoup d'autres. Certes, toute vérité acquise ne possède pas la même valeur. Cependant, la capacité que l'être humain a de parvenir, en principe, à la vérité est confirmée par l'ensemble des résultats atteints.

30. Nunc expedit ut hae diversae veritatum formae properato percurrantur. Numerosiores quidem sunt veritates quae immediata nituntur evidentia vel experimento confirmantur; hae veritates cotidianam vitam scientificamque pervestigationem respiciunt. Alio sub gradu inveniuntur veritates indolis philosophicae, quas homo per speculativam intellectus facultatem attingit. Sunt denique veritates religiosae, quarum fundamenta quodammodo etiam in philosophia ponuntur. Hae continentur in responsionibus, quas diversae religiones, suas secundum cuiusque traditiones, novissimis offerunt interrogationibus.27|

30. Il peut être utile, maintenant, de faire une brève allusion aux diverses formes de vérité. Les plus nombreuses sont celles qui reposent sur des évidences immédiates ou qui sont confirmées par l'expérience. C'est là l'ordre de vérité de la vie quotidienne et de la recherche scientifique. À un autre niveau se trouvent les vérités de caractère philosophique, que l'homme atteint grâce à la capacité spéculative de son intelligence. Enfin, il y a les vérités religieuses, qui en quelque mesure s'enracinent aussi dans la philosophie. Elles sont contenues dans les réponses que les différentes religions offrent aux questions ultimes selon leurs traditions.27

Quod ad philosophicas attinet veritates, notandum est eas non circumscribi solis doctrinis, interdum evanidis, eorum qui philosophiam profitentur. Omnis homo, ut dictum est, quodam sub modo philosophus est et suas possidet philosophicas notiones, quibus vitam gubernat suam: aliter atque aliter universum quisque sibi efformat conspectum responsumque de propriae exsistentiae sensu: hoc sub lumine rem personalem interpretatur atque sese gerendi modum gubernat. Ibidem interrogandum est de habitudine quae inter veritates philosophico-religiosas intercedit et veritatem in Christo Iesu revelatam. Priusquam huic quaestioni respondeatur, ulterior philosophiae cognitio perpendatur oportet.|

Quant aux vérités philosophiques, il faut préciser qu'elles ne se limitent pas aux seules doctrines, parfois éphémères, des philosophes de profession. Tout homme, comme je l'ai déjà dit, est, d'une certaine manière, un philosophe et possède ses conceptions philosophiques avec les quelles il oriente sa vie. D'une façon ou d'une autre, il se constitue une vision globale et une réponse sur le sens de son existence: il interprète sa vie personnelle et règle son comportement à cette lumière. C'est là que devrait se poser la question du rapport entre la vérité philosophico-religieuse et la vérité révélée en Jésus Christ. Avant de répondre à ce problème, il est opportun de tenir compte d'un donné ultérieur de la philosophie.

31. Homo creatus non est ut vitam degat solus. Ipse nascitur et crescit in familiae sinu, atque annorum decursu industria sua in societatem cooptatur. Itaque ab incunabulis variis inseritur traditionibus, ex quibus non tantum loquelam et culturae institutionem accipit, verum etiam plurimas veritates, quibus, quasi innata ratione, credit. Nihilominus adulescentia et personae maturatio efficiunt ut hae veritates in dubio collocentur et expurgentur per singularem criticam intellectus actionem. Quod non impedit quominus, post hunc transitum, hae eaedem veritates « recuperentur », sive per experientiam ex iisdem factam, sive per subsequentem ratiocinationem. Attamen, in vita hominis veritates simpliciter creditae numerosiores exstant quam illae quas ille obtinet per personalem recognitionem. Quisnam vero stricte cribrare potest innumeros scientiarum exitus, quibus hodierna nititur vita? Quis sua sponte inspicere potest cumulum notitiarum quas ex diversis orbis regionibus cotidie accepimus et quae, generaliter, uti verae habentur? Quis tandem potest iterum terere experientiae et cogitationis vias, per quas tot thesauri sapientiae et religiosi sensus humanae societatis sunt coacervati? Homo, ille nempe qui quaerit, est igitur etiam ille qui vivit alteri fidens.|

31. L'homme n'est pas fait pour vivre seul. Il naît et grandit dans une famille, pour s'introduire plus tard par son travail dans la société. Dès la naissance, il se trouve donc intégré dans différentes traditions, dont il reçoit non seulement son langage et sa formation culturelle, mais aussi de multiples vérités auxquelles il croit presque instinctivement. En tout cas, la croissance et la maturation personnelles impliquent que ces vérités elles-mêmes puissent être mises en doute et soumises à l'activité critique de la pensée. Cela n'empêche pas que, après ce passage, ces mêmes vérités soient « retrouvées » sur la base de l'expérience qui en est faite ou, par la suite, en vertu du raisonnement. Malgré cela, dans la vie d'un homme, les vérités simplement crues demeurent beaucoup plus nombreuses que celles qu'il acquiert par sa vérification personnelle. Qui, en effet, serait en mesure de soumettre à la critique les innombrables résultats des sciences sur lesquels se fonde la vie moderne? Qui pourrait contrôler pour son compte le flux des informations qui jour après jour parviennent de toutes les parties du monde et que l'on tient généralement pour vraies? Qui, enfin, pourrait reparcourir les chemins d'expérience et de pensée par lesquels se sont accumulés les trésors de sagesse et de religiosité de l'humanité? L'homme, être qui cherche la vérité, est donc aussi celui qui vit de croyance.

32. Unusquisque, in credendo, fidem ponit in cognitionibus quas aliae personae sunt adeptae. Hac in re agnoscenda est quaedam significans intentio: una ex parte, cognitio ex fiducia videtur imperfecta cognitionis forma, quae paulatim per evidentiam singillatim comparatam perfici debet; alia ex parte, fiducia divitior saepe exstat quam simplex evidentia, quoniam secum fert necessitudinem interpersonalem atque in discrimen committit non tantum personales intellectus facultates, verum etiam penitiorem facultatem sese aliis personis confidendi, validiorem et intimiorem cum illis necessitudinem statuendo.|

32. Dans son acte de croire, chacun se fie aux connaissances acquises par d'autres personnes. On peut observer là une tension significative: d'une part, la connaissance par croyance apparaît comme une forme imparfaite de connaissance, qui doit se perfectionner progressivement grâce à l'évidence atteinte personnellement; d'autre part, la croyance se révèle souvent humainement plus riche que la simple évidence, car elle inclut un rapport interpersonnel et met en jeu non seulement les capacités cognitives personnelles, mais encore la capacité plus radicale de se fier à d'autres personnes, et d'entrer dans un rapport plus stable et plus intime avec elles.

Expedit ut in luce ponatur veritates in hac interpersonali relatione adeptas ad rerum gestarum vel philosophiae ordinem non attinere. Quod potius petitur est ipsa personae veritas: nempe id quod ipsa est et quidquid intimae suae condicionis ostendit. Hominis enim perfectio non ponitur tantum in sola comparanda cognitione abstracta veritatis, verum stat etiam in vivificanti consuetudine deditionis et fidelitatis erga alterum. Hac in fidelitate, cuius vi homo se dedere novit, plenam invenit certitudinem et animi firmitatem. Eodem tamen tempore, cognitio per fiduciam, quae existimatione interpersonali nititur, non datur quin ad veritatem referatur: homo, credendo, veritati quam alter ostendit committitur.|

Il est bon de souligner que les vérités recherchées dans cette relation interpersonnelle ne sont pas en premier lieu d'ordre factuel ou d'ordre philosophique. Ce qui est plutôt demandé, c'est la vérité même de la personne: ce qu'elle est et ce qu'elle exprime de son être profond. La perfection de l'homme, en effet, ne se trouve pas dans la seule acquisition de la connaissance abstraite de la vérité, mais elle consiste aussi dans un rapport vivant de donation et de fidélité envers l'autre. Dans cette fidélité qui sait se donner, l'homme trouve pleine certitude et pleine sécurité. En même temps, cependant, la connaissance par croyance, qui se fonde sur la confiance interpersonnelle, n'est pas sans référence à la vérité: en croyant, l'homme s'en remet à la vérité que l'autre lui manifeste.

Quot exempla proferri possunt ad illustranda quae diximus! Cogitatio autem Nostra statim vertitur ad martyrum testimonium. Martyr, enim, integerrimus testis est veritatis de exsistentia. Bene novit ille se invenisse, coram Christo Iesu, veritatem de sua vita, quam certitudinem nemo ab eo abstrahere potest. Nec dolor nec saeva mors eum seiungere poterunt a veritate quam detegit cum obviam Christo occurrit. En ratio cur martyrum testimonium ad hodiernum diem admirationem moveat, auditionem inveniat et uti exemplum sumatur. Haec est causa cur eorum verbo confidatur: in illis invenitur evidentia illius amoris qui diuturnis colloquiis non indiget ad persuadendum, eo quod unicuique nostrum de eo quod penitus percepit uti verum et iam diu quaesitum loquitur. Martyr denique, altam in nobis excitat fiduciam, quoniam declarat quidquid nos percepimus et evidens reddit quod nos quoque aequa vi exprimere velimus.|

Que d'exemples on pourrait apporter pour illustrer ces données! Mais ma pensée se tourne d'emblée vers le témoignage des martyrs. Le martyr, en réalité, est le témoin le plus vrai de la vérité de l'existence. Il sait qu'il a trouvé dans la rencontre avec Jésus Christ la vérité sur sa vie, et rien ni personne ne pourra jamais lui arracher cette certitude. Ni la souffrance ni la mort violente ne pourront le faire revenir sur l'adhésion à la vérité qu'il a découverte dans la rencontre avec le Christ. Voilà pourquoi jusqu'à ce jour le témoignage des martyrs fascine, suscite l'approbation, rencontre l'écoute et est suivi. C'est la raison pour laquelle on se fie à leur parole; on découvre en eux l'évidence d'un amour qui n'a pas besoin de longues argumentations pour être convaincant, du moment qu'il parle à chacun de ce que, au plus profond de lui-même, il perçoit déjà comme vrai et qu'il recherche depuis longtemps. En somme, le martyr suscite en nous une profonde confiance, parce qu'il dit ce que nous sentons déjà et qu'il rend évident ce que nous voudrions nous aussi trouver la force d'exprimer.

33. Ita intellegere possumus diversas huius quaestionis partes paulatim perfici. Homo ex natura sua veritatem perscrutatur. Haec perscrutatio non tantum destinatur acquisitioni veritatum quarundem partium quae ex eventibus pendent vel scientiis; homo non quaerit tamtummodo verum bonum pro singulis suis consiliis. Eius perscrutatio in ulteriorem intenditur veritatem quae sensum vitae dilucidare possit; quapropter de illa agitur perscrutatione, quae exitum invenire potest tantum in absoluto.28 Per facultates in mente insitas, homo similem veritatem et invenire et perspicere potest. Quatenus haec veritas vitalis est et essentialis ad eius exsistentiam, attingitur non tantum per viam rationis, sed etiam per fidentem relictionem in manibus eorum, qui certitudinem et authenticitatem eiusdem veritatis in tuto collocare possint. Facultas et selectio committendi semet ipsos propriamque vitam aliis constituunt sane, secundum anthropologiam, actum significantiorem et expressiorem inter plurimos.|

33. On peut voir ainsi que les termes de la question se complètent progressivement. L'homme, par nature, recherche la vérité. Cette recherche n'est pas destinée seulement à la conquête de vérités partielles, observables, ou scientifiques; l'homme ne cherche pas seulement le vrai bien pour chacune de ses décisions. Sa recherche tend vers une vérité ultérieure qui soit susceptible d'expliquer le sens de la vie; c'est donc une recherche qui ne peut aboutir que dans l'absolu.28 Grâce aux capacités inhérentes à la pensée, l'homme est en mesure de rencontrer et de reconnaître une telle vérité. En tant que vitale et essentielle pour son existence, cette vérité est atteinte non seulement par une voie rationnelle, mais aussi par l'abandon confiant à d'autres personnes, qui peuvent garantir la certitude et l'authenticité de la vérité même. La capacité et le choix de se confier soi-même et sa vie à une autre personne constituent assurément un des actes anthropologiquement les plus significatifs et les plus expressifs.

Meminisse liceat quoque rationem in sua perquisitione fidenti dialogo et authentica amicitia esse sustentandam. Suspicionis et diffidentiae aura, quae aliquando speculativam circumplectitur perquisitionem, facit ut in oblivionem detur doctrina priscorum philosophorum qui tenebant amicitiam esse inter contextus magis idoneos ad recte philosophandum.|

Il ne faut pas oublier que la raison elle-même a besoin d'être soutenue dans sa recherche par un dialogue confiant et par une amitié sincère. Le climat de soupçon et de méfiance, qui parfois entoure la recherche spéculative, oublie l'enseignement des philosophes antiques, qui considéraient l'amitié comme l'un des contextes les plus adéquats pour bien philosopher.

Ex hucusque dictis colligitur hominem quodam in itinere versari perquisitionis, quae humano sensu finiri nequit: est perquisitio veritatis et cuiusdam personae cui se committere possit. Christiana fides obviam venit ut ei offerat concretam facultatem contemplandi huius inquisitionis impletionem. Postquam enim gradus simplicis fidei superatur, haec hominem inserit in ordinem gratiae ut Christi mysterium participare possit, cuius vi vera et cohaerens Dei Unius et Trini cognitio offertur illi. Ita in Christo Iesu, qui est ipsa Veritas, fides agnoscit novissimam vocationem quae vertitur ad humanam societatem, ut implere possit id quod percipit uti flagrans desiderium.|

De ce que j'ai dit jusqu'ici, il résulte que l'homme est engagé sur la voie d'une recherche humainement sans fin: recherche de vérité et recherche d'une personne à qui faire confiance. La foi chrétienne lui vient en aide en lui donnant la possibilité concrète de voir aboutir cette recherche. Dépassant le stade de la simple croyance, en effet, elle introduit l'homme dans l'ordre de la grâce qui lui permet de participer au mystère du Christ, dans lequel lui est offerte la connaissance vraie et cohérente du Dieu Un et Trine. Ainsi, en Jésus Christ, qui est la Vérité, la foi reconnaît l'ultime appel adressé à l'humanité, pour qu'elle puisse accomplir ce qu'elle éprouve comme désir et comme nostalgie.

34. Haec veritas, quam Deus in Christo Iesu nobis revelat, minime opponitur veritatibus quae per philosophiam assumuntur. Immo, duo cognitionis gradus ducunt ad veritatis plenitudinem. Unitas veritatis est iam fundamentalis postulatus humanae rationis, qui principio non-contradictionis exprimitur. Revelatio offert certitudinem huius unitatis, ostendendo Deum Conditorem esse etiam Deum historiae salutis. Ipse idemque Deus, qui condit et vindicat facultatem intellegendi et ratiocinandi naturalem rerum ordinem, quo docti fidenter nituntur, 29 idem est qui revelatur Pater Domini nostri Iesu Christi. Haec unitas veritatis, naturalis et revelatae, viventem et personalem identitatem suam invenit in Christo, uti Apostolus memorat: « Veritas quae est in Iesu » (Eph 4,21; cfr Col 1,15-20). Ille est Verbum aeternum, in quo omnia creata sunt, simulque est Verbum incarnatum, qui in sua integra persona 30 revelat Patrem (cfr Io 1,14.18). Quidquid humana ratio « ignorans » (cfr Act 17,23) perscrutatur, tantummodo per Christum inveniri potest: quod enim in Ipso revelatur est « plenitudo veritatis » (cfr Io 1,14-16) cuiusque creaturae quae in Ipso et per Ipsum creata est, et ita in Ipso constat (cfr Col 1,17).|

34. Cette vérité que Dieu nous révèle en Jésus Christ n'est pas en contradiction avec les vérités que l'on atteint en philosophant. Les deux ordres de connaissance conduisent au contraire à la vérité dans sa plénitude. L'unité de la vérité est déjà un postulat fondamental de la raison humaine, exprimé dans le principe de non contradiction. La Révélation donne la certitude de cette unité, en montrant que le Dieu créateur est aussi le Dieu de l'histoire du salut. Le même et identique Dieu, qui fonde et garantit l'intelligibilité et la justesse de l'ordre naturel des choses sur lesquelles les savants s'appuient en toute confiance,29 est celui-là même qui se révèle Père de notre Seigneur Jésus Christ. Cette unité de la vérité, naturelle et révélée, trouve son identification vivante et personnelle dans le Christ, ainsi que le rappelle l'Apôtre: « La vérité qui est en Jésus » (Ep 4, 21; cf. Col 1, 15-20). Il est la Parole éternelle en laquelle tout a été créé, et il est en même temps la Parole incarnée, que le Père révèle dans toute sa personne (cf. Jn 1, 14.18).30 Ce que la raison humaine cherche « sans le connaître » (cf. Ac 17, 23) ne peut être trouvé qu'à travers le Christ: ce qui se révèle en lui est, en effet, la « pleine vérité » (cf. Jn 1, 14-16) de tout être qui a été créé en lui et par lui et qui ensuite trouve en lui son accomplissement (cf. Col 1, 17).

35. In contextu huius summi prospectus, penitus inspiciatur oportet relatio inter veritatem revelatam et philosophiam. Haec relatio duplicem secumfert animadversionem, eo sensu quod veritas quae a Revelatione fluit, veritas est quae simul sub rationis lumine est intellegenda. Hoc duplici praehabito sensu, aequam necessitudinem revelatae veritatis cum cognitione philosophica definire licebit. Qua de re primum perpendamus relationes per saeculorum decursum habitas inter fidem et philosophiam. Hinc igitur quaedam detegi poterunt principia quae constituunt aspectus ad quos referendum est ut inter hos duos gradus cognitionis recta relatio suscipiatur.|

35. A partir de ces considérations générales, il faut maintenant examiner de façon plus directe le rapport entre la vérité révélée et la philosophie. Ce rapport impose une double considération, du fait que la vérité qui nous provient de la Révélation est en même temps une vérité comprise à la lumière de la raison. En effet, c'est seulement dans cette double acception qu'il est possible de préciser la juste relation de la vérité révélée avec le savoir philosophique. Nous considérerons donc en premier lieu les rapports entre la foi et la philosophie au cours de l'histoire. De là il sera possible de discerner quelques principes qui constituent les points de référence auxquels se rapporter pour établir la relation juste entre les deux ordres de connaissance.


CAPUT IV - DE HABITUDINE INTER FIDEM ET RATIONEM


CHAPITRE IV - LES RAPPORTS ENTRE LA FOI ET LA RAISON



Praecipui gressus in occursu fidei rationisque


Les étapes significatives de la rencontre entre la foi et la raison


36. Ut Actus Apostolorum testantur, nuntius christianus inde ab exordiis cum doctrinis philosophicis illius aetatis est collatus. Idem Liber narrat disceptationem quam Paulus Athenis habuit cum quibusdam philosophis Epicureis et Stoicis (17,18). Exegeticum examen illius sermonis ad Areopagum habiti in luce posuit usitatas mentiones de variis opinionibus populi praesertim ex origine Stoica. Hoc quidem non fortuito factum est. Primi Christiani, ut a paganis recte perciperentur, in suis sermonibus auditores dumtaxat « ad Moysen et prophetas » remittere non poterant; niti quoque tenebantur naturali Dei cognitione et voce conscientiae moralis cuiusque hominis (cfr Rom 1,19-21; 2,14-15; Act 14,16-17). Cum autem haec cognitio naturalis apud paganos in idololatriam prolapsa esset (cfr Rom 1,21-32), Apostolus censuit sapientius esse sermonem coniungere cum doctrina philosophorum qui ab initio fabulis et cultibus mystericis opponebant conceptus divinam transcendentiam magis reverentes.|

36. D'après le témoignage des Actes des Apôtres, le message du christianisme se heurta dès le début aux courants philosophiques de l'époque. Le même livre rapporte la discussion qu'eut saint Paul à Athènes avec « certains philosophes épicuriens et stoïciens » (17, 18). L'analyse exégétique de ce discours à l'Aréopage a mis en évidence de nombreuses allusions à des croyances populaires, d'origine stoïcienne pour la plupart. Ce n'était certainement pas un hasard. Pour se faire comprendre des païens, les premiers chrétiens ne pouvaient se borner à renvoyer dans leurs discours « à Moïse et aux prophètes »; ils devaient aussi faire appel à la connaissance naturelle de Dieu et à la voix de la conscience morale de tout homme (cf. Rm 1, 19-21; 2, 14-15; Ac 14, 16-17). Mais comme, dans la religion païenne, cette connaissance naturelle avait basculé dans l'idolâtrie (cf. Rm 1, 21-32), l'Apôtre estima plus sage de mettre son discours en rapport avec la pensée des philosophes qui, depuis les débuts, avaient opposé aux mythes et aux cultes à mystères des conceptions plus respectueuses de la transcendance divine.

Ex praecipuis propositis quae philosophi doctrinae classicae sunt amplexi, consilium exstitit expurgandi a formis mythologicis notionem quam homines de Deo profitebantur. Ut omnibus patet, etiam religio Graeca, non aliter ac pleraeque religiones cosmicae, polytheismum ita profitebatur, ut vel res et eventus naturae in deorum numerum deferret. Conatus hominis ad cognoscendam deorum originem et in eis universi originem, primam suam significationem invenerunt in arte poetica. Deorum origines primum hactenus habentur testimonium huius humanae investigationis. Munus fuit parentum philosophiae efficere ut vinculum ostenderetur inter rationem et religionem. Illi quidem contuitum dilatantes ad principia usque universalia, non amplius acquieverunt fabulis antiquis, sed voluerunt ut eorum fides de divinitate fundamento rationali sustentaretur. Ita susceptum est iter quod, relictis antiquis traditionibus particularibus, se immisit quandam in progressionem quae congruebat cum postulationibus rationis universalis. Scopus ad quem haec progressio tendebat erat criticum iudicium rerum in quas credebatur. Prima hoc in itinere utilitatem tulit divinitatis notio. Superstitiones uti tales sunt recognitae et religio, saltem partim, per rationalem recognitionem est expurgata. Hoc suffulti fundamento, Patres Ecclesiae fecundum instituerunt colloquium cum antiquis philosophis, iter aperientes ad nuntium et ad cognitionem Dei Christi Iesu.|

L'un des efforts majeurs opérés par les philosophes de la pensée classique fut, en effet, de purifier de ses formes mythologiques la conception que les hommes se faisaient de Dieu. Comme nous le savons, la religion grecque elle aussi, peu différente en cela de la majeure partie des religions cosmiques, était polythéiste, si bien qu'elle divinisait des choses et des phénomènes naturels. Les tentatives faites par l'homme pour comprendre l'origine des dieux et, en eux, celle de l'univers s'exprimèrent d'abord par la poésie. Les théogonies demeurent, aujourd'hui encore, le premier témoignage de cette recherche de l'homme. Il revint aux pères de la philosophie de mettre en évidence le lien qui existe entre la raison et la religion. Portant plus loin le regard, vers les principes universels, ils ne se contentèrent plus des mythes anciens, mais ils voulurent aller jusqu'à donner un fondement rationnel à leur croyance en la divinité. On s'engagea ainsi sur une voie qui, abandonnant les traditions antiques particulières, débouchait sur un développement qui correspondait aux exigences de la raison universelle. La fin vers laquelle tendait ce développement était de faire prendre une conscience critique de ce à quoi l'on croyait. La conception que l'on se faisait de la divinité fut la première à tirer avantage d'un tel itinéraire. Les superstitions furent reconnues comme telles et la religion fut, au moins en partie, purifiée par l'analyse rationnelle. C'est sur cette base que les Pères de l'Eglise entreprirent un dialogue fécond avec les philosophes de l'Antiquité, ouvrant la route à l'annonce et à la compréhension du Dieu de Jésus Christ.

37. Dum mentionem facimus de hoc motu quo Christiani ad philosophiam accesserunt, merito memorari decet statum circumspectionis quem apud Christianos concitabant alia culturae paganae elementa, uti, exempli gratia, doctrina « gnostica ». Philosophia, tamquam sapientia practica et schola vitae, facile misceri poterat cum cognitione indolis superioris, arcanae, paucis perfectis reservatae. Absque dubio Paulus ad hoc genus speculationum arcanarum mentem vertit, cum Colossenses ita admonet: « Videte, ne quis vos depraedetur per philosophiam et inanem fallaciam secundum traditionem hominum, secundum elementa mundi et non secundum Christum » (2,8). Quam huius aetatis propria sunt Apostoli verba, si ea ad diversas arcanae doctrinae formas remittimus, quae hodie etiam mentes pervadunt quorundam fidelium qui debito critico sensu carent. Sancti Pauli vestigia sectantes, alii auctores I saeculi, praesertim s. Irenaeus et Tertullianus, vicissim exceptiones posuerunt circa excogitationem culturalem quae veritatem Revelationis interpretationi philosophorum subicere intendebat.|

37. Lorsqu'on évoque ce mouvement qui rapprocha les chrétiens de la philosophie, il faut également rappeler l'attitude de prudence que suscitaient en eux d'autres éléments du monde culturel païen, comme par exemple la gnose. La philosophie, en tant que sagesse pratique et école de vie, pouvait facilement être confondue avec une connaissance de type supérieur et ésotérique, réservée à un petit nombre d'hommes parfaits. C'est sans aucun doute à ce genre de spéculations ésotériques que pense saint Paul lorsqu'il met en garde les Colossiens: « Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la "philosophie", selon une tradition toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ » (2, 8). Les paroles de l'Apôtre se révèlent particulièrement actuelles si nous les mettons en rapport avec les différentes formes d'ésotérisme qui aujourd'hui se répandent même chez certains croyants dépourvus du sens critique nécessaire. Sur les traces de saint Paul, d'autres écrivains des premiers siècles, notamment saint Irénée et Tertullien, émirent à leur tour des réserves à l'égard d'une attitude culturelle qui prétendait soumettre la vérité de la Révélation à l'interprétation des philosophes.

38. Christianismi igitur cum philosophia conventio nec immediata nec facilis exstitit. Usus philosophiae et frequentatio scholarum primis Christianis conturbatio visa sunt potius quam lucrum. Primum et urgens eorum munus erat nuntius Christi a mortuis exsuscitati, qui singulis proponendus erat hominibus, unde illi ad mentis conversionem et ad Baptismi petitionem conducerentur. Quod tamen non significat eos munus ignoravisse perspiciendi cognitionem fidei eiusque causarum. Prorsus aliter! Iniqua ergo et simulata evadit exprobratio Celsi qui Christianum « imperitissimum quemque et rusticissimum » 31 accusare ausus est. Causa huius contemptionis initialis aliunde est perquirenda. Revera, lectio Evangelii responsum ferebat tam satisfaciens quaestioni de vitae sensu, illactenus nondum solutae, ut philosophorum frequentatio res praeterita videretur et, quodammodo, superata.|

38. La rencontre du christianisme avec la philosophie ne fut donc ni immédiate ni facile. La pratique de la philosophie et la fréquentation des écoles furent considérées par les premiers chrétiens comme une source de trouble plus que comme une chance. Pour eux, le devoir premier et pressant était l'annonce du Christ ressuscité, à proposer dans une rencontre personnelle capable de conduire l'interlocuteur à la conversion du cœur et à la demande du Baptême. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils aient ignoré le devoir d'approfondir l'intelligence de la foi et de ses motivations, bien au contraire. La critique de Celse, qui accuse les chrétiens d'être une population « illettrée et fruste »,31 s'avère donc injuste et sans fondement. L'explication de leur désintérêt initial doit être recherchée ailleurs. En fait, la rencontre avec l'Évangile offrait une réponse si satisfaisante à la question du sens de la vie, demeurée jusqu'alors sans réponse, que la fréquentation des philosophes leur apparaissait comme une chose lointaine et, dans une certaine mesure, dépassée.

Quod quidem hodie clarius videtur, si ratio habeatur de contributione Christianismi vindicantis ius universale accedendi ad veritatem. Deiectis repagulis stirpis, ordinis socialis et sexus, Christianismus inde ab exordiis nuntiavit aequalitatem omnium hominum coram Deo. Primum huius conceptus consectarium respexit argumentum de veritate. Ita aperte superata est notio altioris societatis, cui apud antiquos perquisitio veritatis erat reservata. Quandoquidem accessus ad veritatem bonum est quod ducit ad Deum, omnibus patere debuit haec via percurrenda. Viae quae ducunt ad veritatem multiplices perstant; attamen, eo quod christiana veritas vim salvificam possidet, unaquaeque harum viarum percurri potest ea tamen condicione ut ad extremam metam conducant, videlicet ad Iesu Christi revelationem.|

Cela apparaît aujourd'hui encore plus clairement si l'on pense à l'apport du christianisme qui consiste à affirmer le droit universel d'accès à la vérité. Ayant abattu les barrières raciales, sociales ou sexuelles, le christianisme avait, depuis ses débuts, proclamé l'égalité de tous les hommes devant Dieu. La première conséquence de cette conception concernait le thème de la vérité. On dépassait définitivement le caractère élitiste que sa recherche avait pris chez les Anciens: dès lors que l'accès à la vérité est un bien qui permet de parvenir à Dieu, tous doivent être aptes à parcourir cette route. Les voies d'accès à la vérité restent multiples; toutefois, la vérité chrétienne ayant une valeur salvifique, chacune de ces voies peut être empruntée, du moment qu'elle conduit au but final, la révélation de Jésus Christ.

Inter principes viros qui positivum nexum cum doctrina philosophica fovent, etsi cauta discretio sit habenda, memorandus est sanctus Iustinus: qui, licet summam professus est existimationem erga Graecam philosophiam, vehementer ac dilucide asseruit se in Christianismo « solam certam et frugiferam philosophiam » 32 invenisse. Pariter Clemens Alexandrinus Evangelium appellavit « veram philosophiam », 33 et philosophiam interpretatus est finitimam Legi Moysis instar praeviae institutionis ad fidem christianam 34 et praeparationis ad Evangelium.35 Quoniam « philosophia illam appetit sapientiam quae est in probitate animae et verbi atque in integritate vitae, bene praeparatur ad sapientiam et omni ope annititur ad eam assequendam. Apud nos philosophi dicuntur ii qui diligunt illam sapientiam quae omnia condit et docet, id est, cognitionem Filii Dei ».36 Primum philosophiae Graecae propositum, secundum auctorem Alexandrinum, non est perficere vel confirmare veritatem christianam; potius munus eius est fidem tueri: « Est quidem per se perfecta et nullius indiga Servatoris doctrina, cum sit Dei virtus et sapientia. Accedens autem Graeca philosophia veritatem non facit potentiorem; sed cum debiles efficiat sophistarum adversus eam argumentationes, et propulset dolosas adversus veritatem insidias, dicta est vineae apta sepes et vallus ».37|

Parmi les pionniers d'une rencontre fructueuse avec la pensée philosophique, même marquée par un discernement prudent, il faut mentionner saint Justin: tout en conservant, même après sa conversion, une grande estime pour la philosophie grecque, il affirmait avec force et clarté qu'il avait trouvé dans le christianisme « la seule philosophie sûre et profitable ».32 De même, Clément d'Alexandrie appelait l'Evangile « la vraie philosophie »,33 et il comprenait la philosophie par analogie à la loi mosaïque comme un enseignement préparatoire à la foi chrétienne 34 et une propédeutique à l'Evangile.35 Puisque « la philosophie désire la sagesse qui consiste dans la droiture de l'âme et de la parole et dans la pureté de la vie, elle a des dispositions d'amour et d'amitié pour la sagesse et elle fait tout pour l'atteindre. Chez nous, on appelle philosophes ceux qui sont épris de la Sagesse créatrice et éducatrice de l'univers, c'est-à-dire épris de la connaissance du Fils de Dieu ».36 Pour l'Alexandrin, la philosophie grecque n'a pas pour but premier de compléter ou de renforcer la vérité chrétienne; sa mission est plutôt la défense de la foi: « L'enseignement du Sauveur se suffit à lui-même et n'a besoin de rien d'autre, puisqu'il est "force et sagesse de Dieu". Lorsqu'elle survient, la philosophie grecque ne rend pas la vérité plus puissante, mais, rendant impuissante l'attaque de la sophistique contre elle et déjouant les pièges contre la vérité, elle est appelée à bon droit la haie et le mur de la vigne ».37

39. Hac currente progressione, inspicere licet disputatores christianos cogitationem philosophicam stricto sensu sumpsisse. Prima inter exempla quae inveniri possunt, certe significantius exstat illud Origenis. Adversus impugnationes philosophi Celsi, Origenes ad argumenta responsaque eidem ferenda Platonica usus est philosophia. Memorans haud pauca doctrinae Platonicae elementa, rudimenta theologiae christianae excogitare coepit. Ipsum quidem nomen, una cum theologiae notione tamquam rationalis sermonis de Deo, ad illud tempus origini Graecae colligabatur. Verbi gratia, secundum Aristotelis philosophiam, nomen nobiliorem partem et verum culmen sermonis philosophici significabat. Sub lumine christianae Revelationis vero, id quod prius doctrinam generatim de deorum natura significabat, sensum prorsus novum assumpsit, eo quod descripsit considerationem quam fidelis faciebat ad veram de Deo doctrinam exhibendam. Haec nova christiana notio, quae iam diffundebatur, philosophia nitebatur, eodemque tamen tempore paulatim curabat ut sese ab illa secerneret. Historia docet eandem Platonicam doctrinam in theologia assumptam profundas subiisse mutationes, praesertim quod attinet ad notiones de immortalitate animae, de deificatione hominis et origine mali.|

39. Dans l'histoire de ce développement, il est toujours possible de constater que les penseurs chrétiens ont repris la pensée philosophique de manière critique. Parmi les premiers exemples que l'on peut trouver, celui d'Origène est certainement significatif. Contre les attaques portées par le philosophe Celse, Origène prend la philosophie platonicienne pour argumenter et lui répondre. En se référant à un grand nombre d'éléments de la pensée platonicienne, il commence à élaborer une première forme de théologie chrétienne. Le mot même et le concept de théologie comme discours rationnel sur Dieu étaient liés jusqu'alors à leur origine grecque. Dans la philosophie aristotélicienne, par exemple, ce mot désignait la partie la plus noble et le véritable sommet du discours philosophique. A la lumière de la Révélation chrétienne, au contraire, ce qui indiquait d'abord une doctrine générale sur la divinité en vint à prendre un sens entièrement nouveau, dans la mesure où cela définissait la réflexion accomplie par le croyant pour exprimer la véritable doctrine sur Dieu. Cette nouvelle pensée chrétienne en développement se servait de la philosophie, mais elle tendait en même temps à s'en distinguer nettement. L'histoire montre que la pensée platonicienne elle-même, utilisée par la théologie, a subi de profondes transformations, en particulier dans le domaine de concepts comme l'immortalité de l'âme, la divinisation de l'homme et l'origine du mal.

40. Hoc in processu quo doctrina Platonica et Neoplatonica paulatim christianae redduntur, peculiarem in modum memoria digni sunt Patres Cappadoces, Dionysius dictus Areopagita ac maxime sanctus Augustinus. Magnus Doctor occidentalis colloquia instituere valuit cum diversis scholis philosophicis, a quibus tamen omni spe est destitutus. Cum vero christianae fidei veritas apparuit illi, tunc fortitudine roboratus est ad absolutam explendam conversionem, ad quam philosophi, crebro ab ipso frequentati, eum inducere nequiverant. Cuius causam ipsemet narrat: « Ex hoc tamen quoque iam praeponens doctrinam catholicam, modestius ibi minimeque fallaciter sentiebam iuberi ut crederetur quod non demonstrabatur (sive esset quid, sed cui forte non esset; sive nec quid esset), quam illic temeraria pollicitatione scientiae credulitatem irrideri; et postea tam multa fabulosissima et absurdissima, quia demonstrari non poterant, credenda imperari ».38 Augustinus ipsos Platonicos, de quibus praecipuo iure mentionem facere consueverat, exprobravit, qui, quamvis scirent terminum ad quem tendere tenebantur, ignoraverant tamen viam illuc ducentem, nempe Verbum incarnatum.39 Episcopus Hipponensis edere potuit primam summam synthesim doctrinae philosophicae et theologicae, in quam conflueverant opiniones doctrinae Graecae et Latinae. In Ipso quoque summa scientiae unitas, quae biblica doctrina fulciebatur, summitate doctrinae speculativae confirmari et sustentari potuit. Synthesis quam sanctus Augustinus ad rem perduxit, per saecula habita est altissima speculationis philosophicae et theologicae methodus apud mundum Occidentalem. Propriis vitae gestis firmatus sanctimoniaeque spiritu suffultus, inserere etiam potuit in scripta sua innumera argumenta, quae, experientiae respectu habito, futuram quarundam doctrinarum philosophicarum progressionem portendebant.|

40. Dans cette œuvre de christianisation de la pensée platonicienne et néo-platonicienne, il faut mentionner particulièrement les Pères Cappadociens, Denys dit l'Aréopagite et surtout saint Augustin. Le grand Docteur d'Occident était entré en contact avec différentes écoles philosophiques, mais toutes l'avaient déçu. Quand la vérité de la foi chrétienne se trouva devant lui, il eut alors la force d'accomplir la conversion radicale à laquelle les philosophes rencontrés auparavant n'avaient pas réussi à l'amener. Il en donne lui-même la raison: « Préférant désormais pour cela la doctrine catholique, je sentais que, chez elle, il était demandé avec plus de mesure et sans aucun désir de tromperie, de croire ce qui n'était pas démontré — soit qu'il y ait eu démonstration, mais pour quelqu'un qui ne l'aurait pas comprise, soit qu'il n'y ait pas eu de démonstration —, alors que chez [les manichéens], tout en promettant la science de manière téméraire, on se moquait de la crédulité et qu'on imposait ensuite de croire une immensité de fables et d'absurdités, parce qu'on ne pouvait pas les démontrer ».38 Aux platoniciens eux-mêmes, à qui il se référait de manière privilégiée, Augustin reprochait, à eux qui connaissaient la fin vers laquelle il fallait tendre, d'avoir ignoré la voie qui y conduisait, le Verbe incarné.39 L'évêque d'Hippone réussit à produire la première grande synthèse de la pensée philosophique et théologique vers laquelle confluaient les courants de pensée grec et latin. Chez lui aussi, la grande unité du savoir, qui trouvait son fondement dans la pensée biblique, en vint à être confirmée et soutenue par la profondeur de la pensée spéculative. La synthèse opérée par saint Augustin restera pendant des siècles en Occident la forme la plus haute de spéculation philosophique et théologique. Fort de son histoire personnelle et soutenu par une admirable sainteté de vie, il fut aussi en mesure d'introduire dans ses œuvres de multiples éléments qui, faisant référence à l'expérience, préludaient aux futurs développements de certains courants philosophiques.

41. Diversi ergo fuerunt modi per quos Patres Orientales et Occidentales convenerunt cum scholis philosophicis. Hoc tamen non significat illos materiam nuntii eandem reddidisse ac systemata quae memorabant. Tertulliani interrogatio: « Quid ergo Athenis et Hierosolymis? Quid Academiae et Ecclesiae? », 40 evidens iudicium est conscientiae criticae, qua christiani disputatores iam ab initio quaestionem experti sunt de habitudine inter fidem et philosophiam, summatim simul aspectus considerantes sive utilitatis sive limitationis. Non erant incauti disputatores. Quoniam materiam fidei impense vivebant, altiores speculationis formas attingere sciebant. Quapropter prorsus improbum est eorum operam ad solam translationem veritatum fidei in categorias philosophicas redigere. Immo plura adhuc fecerunt! Curarunt ut in plenam lucem orirentur omnia quae adhuc manebant implicita et propedeutica in priscorum philosophorum doctrina. 41 Hi enim, uti diximus, munus habuerunt docendi methodum qua mens, externis vinculis liberata, exire poterat ab angustiis fabularum et ad modum excedentem accommodatius sese aperire. Mens igitur purgata et iusta se extollere poterat ad altiores gradus meditationis, validum tribuens fundamentum ad intellegentiam creaturarum, entis transcendentis et absoluti.|

41. C'est donc de diverses manières que les Pères d'Orient et d'Occident sont entrés en rapport avec les écoles philosophiques. Cela ne signifie pas qu'ils aient identifié le contenu de leur message avec les systèmes auxquels se référaient ces écoles. La question de Tertullien: « Qu'ont de commun Athènes et Jérusalem? L'Académie et l'Eglise? »40 est un signe clair de la conscience critique avec laquelle les penseurs chrétiens, depuis les origines, abordèrent le problème des rapports entre la foi et la philosophie, en le voyant globalement sous ses aspects positifs et avec ses limites. Ce n'étaient pas des penseurs naïfs. C'est bien parce qu'ils vivaient intensément le contenu de la foi qu'ils savaient atteindre les formes les plus profondes de la spéculation. Il est donc injuste et réducteur de ne voir dans leur œuvre que la transposition des vérités de la foi en catégories philosophiques. Ils firent beaucoup plus. Ils réussirent en effet à faire surgir en plénitude ce qui demeurait encore implicite et en germe dans la pensée des grands philosophes antiques.41 Ces derniers, comme je l'ai dit, avaient eu la mission de montrer dans quelle mesure la raison, délivrée de ses liens extérieurs, pouvait sortir de l'impasse des mythes, pour s'ouvrir de manière plus adaptée à la transcendance. Une raison purifiée et droite était donc en mesure de monter jusqu'aux degrés les plus élevés de la réflexion, en donnant un fondement solide à la perception de l'être, du transcendant et de l'absolu.

Hic vere inseritur novitas a Patribus excogitata. Illi in plenitudine acceperunt rationem apertam ad absolutum atque Revelationis divitias inseverunt in eam. Coniunctio facta est non tantum in ambitu culturarum, quarum altera alterius fascinationem passa est; illa contigit in intima animorum natura et coniunctio data est inter creaturam eiusque Creatorem. Ipsum praetergrediens finem versus quem inconscie ex natura sua tendebat, ratio summum bonum et summam veritatem in persona Verbi incarnati attingere potuit. Quod attinet ad philosophias, Patres non timuerunt agnoscere sive elementa communia sive diversitates quas illae ostendebant quod ad Revelationem. Huius confluentiae conscientia recognitionem diversitatum in eis non obscuravit.|

C'est précisément ici que se situe la nouveauté des Pères. Ils accueillirent entièrement la raison ouverte à l'absolu et ils y greffèrent la richesse provenant de la Révélation. La rencontre ne se fit pas seulement au niveau des cultures, dont l'une succomba peut-être à la fascination de l'autre; elle se fit au plus profond des âmes et ce fut la rencontre entre la créature et son Créateur. Dépassant la fin même vers laquelle elle tendait inconsciemment en vertu de sa nature, la raison put atteindre le bien suprême et la vérité suprême de la personne du Verbe incarné. Néanmoins, face aux philosophies, les Pères n'eurent pas peur de reconnaître les éléments communs aussi bien que les différences qu'elles présentaient par rapport à la Révélation. La conscience des convergences ne portait chez eux nulle atteinte à la reconnaissance des différences.

42. In theologia scholastica munus rationis ad philosophiam institutae luculentius efficitur sub impulsu Anselmianae interpretationis de intellectu fidei. Secundum sanctum Cantuariensem Archiepiscopum, primatus fidei certare non intendit cum investigatione rationis propria. Haec enim non vocatur ut iudicium ferat de materia fidei; id facere non potest, quia idoneitate caret. Potius eius munus est invenire sensum, detegere causas quae homines omnes ducere possint ad quandam fidei doctrinam intellegendam. Sanctus Anselmus lucide asserit intellectum investigare teneri quidquid diligat; quo plus diligit, eo plus cognoscere cupit. Qui pro veritate vivit protenditur ad quandam cognitionis formam quae magis magisque amore incenditur erga ea quae cognoscit, quamvis concedere teneatur se non fecisse omnia quae in suis votis fuerunt: « Ad te videndum factus sum; et nondum feci propter quod factus sum ». 42 Desiderium itaque veritatis rationem impellit ad amplius progrediendum; quae, immo, quasi obruitur conscientia propriae facultatis quae in dies latior fit quam id quod attingit. Hic tamen et nunc ratio detegere potest ubinam iter suum perficiatur: « Sufficere namque debere existimo rem incomprehensibilem indaganti, si ad hoc ratiocinando pervenerit ut eam certissime esse cognoscat; etiamsi penetrare nequeat intellectu, quomodo ita sit. [...] Quid autem tam incomprehensibile, tam ineffabile, quam id quod supra omnia est? Quapropter si ea, quae de summa essentia hactenus disputata sunt, necessariis rationibus sunt asserta, quamvis sic intellectu penetrari non possint, ut et verbis valeant explicari; nullatenus tamen certitudinis eorum nutat soliditas. Nam, si superior consideratio rationabiliter comprehendit incomprehensibile esse, quomodo eadem summa sapientia sciat ea quae fecit, [...] quis explicet quomodo sciat aut dicat seipsam, de qua aut nihil, aut vix aliquid ab homine sciri possibile est? ».43|

42. Dans la théologie scolastique, le rôle de la raison éduquée par la philosophie devient encore plus considérable, sous la poussée de l'interprétation anselmienne de l'intellectus fidei. Pour le saint archevêque de Cantorbéry, la priorité de la foi ne s'oppose pas à la recherche propre à la raison. Celle-ci, en effet, n'est pas appelée à exprimer un jugement sur le contenu de la foi; elle en serait incapable, parce qu'elle n'est pas apte à cela. Sa tâche est plutôt de savoir trouver un sens, de découvrir des raisons qui permettent à tous de parvenir à une certaine intelligence du contenu de la foi. Saint Anselme souligne le fait que l'intellect doit se mettre à la recherche de ce qu'il aime: plus il aime, plus il désire connaître. Celui qui vit pour la vérité est tendu vers une forme de connaissance qui s'enflamme toujours davantage d'amour pour ce qu'il connaît, tout en devant admettre qu'il n'a pas encore fait tout ce qu'il désirerait: « J'ai été fait pour te voir et je n'ai pas encore fait ce pour quoi j'ai été fait » (Ad te videndum factus sum, et nondum feci propter quod factus sum).42 Le désir de vérité pousse donc la raison à aller toujours au-delà; mais elle est comme accablée de constater qu'elle a une capacité toujours plus grande que ce qu'elle appréhende. A ce point, toutefois, la raison est en mesure de découvrir l'accomplissement de son chemin: « Car j'estime qu'il doit suffire à qui recherche une chose incompréhensible de parvenir en raisonnant à connaître ce qu'elle est plus que certainement, même s'il ne peut, par son intelligence, pénétrer comment elle est de la sorte [...]. Or qu'est-il d'aussi incompréhensible, d'aussi ineffable, que cela qui est au-dessus de toutes choses? Si les points qui furent jusqu'ici discutés au sujet de l'essence suréminente sont assurés par des raisons nécessaires, la solidité de leur certitude ne vacille nullement, bien que l'intelligence ne puisse les pénétrer, ni les expliquer par des paroles. Et, si une considération précédente a compris rationnellement qu'est incompréhensible (rationabiliter comprehendit incomprehensibile esse) la manière dont la sagesse suréminente sait ce qu'elle a fait, [...] qui expliquera comment elle se sait ou se dit elle-même, elle dont l'homme ne peut rien savoir ou presque? ».43

Fundamentalis concordia inter cognitionem philosophicam et fidei cognitionem iterum confirmatur: fides postulat ut obiectum suum auxilio rationis comprehendatur; ratio, culmen investigationis attingens, necessarium ducit quidquid fides ostendit.|

L'harmonie fondamentale de la connaissance philosophique et de la connaissance de la foi est confirmée une fois encore: la foi demande que son objet soit compris avec l'aide de la raison; la raison, au sommet de sa recherche, admet comme nécessaire ce que présente la foi.


Perennis sancti Thomae Aquinatis sententiarum novitas


La constante nouveauté de la pensée de saint Thomas d'Aquin


43. Locus omnino singularis hoc in longo itinere sancto Thomae reservatur, non tantum ob ea quae in eius doctrina continentur, verum etiam ob habitudinem dialogicam quam ille tunc temporis interserere scivit cum Arabica et Hebraica doctrina. Illa quidem aetate, qua christiani disputatores reperiebant veteres thesauros philosophiae, et immediatius philosophiae Aristotelicae, summum eius exstitit meritum quod eminere fecerit concordiam inter rationem et fidem. Utriusque lumen, rationis scilicet et fidei, a Deo procedit, ille ratiocinatus est, idcirco inter se opponere nequeunt.44|

43. Sur ce long chemin, saint Thomas occupe une place toute particulière, non seulement pour le contenu de sa doctrine, mais aussi pour le dialogue qu'il sut instaurer avec la pensée arabe et la pensée juive de son temps. À une époque où les penseurs chrétiens redécouvraient les trésors de la philosophie antique, et plus directement aristotélicienne, il eut le grand mérite de mettre au premier plan l'harmonie qui existe entre la raison et la foi. La lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu, expliquait-il; c'est pourquoi elles ne peuvent se contredire.44

Thomas adhuc acrius denotat naturam, obiectum proprium philosophiae, ad intellegentiam divinae revelationis conferre posse. Fides igitur rationem non metuit sed eam quaerit fiduciamque in ipsa collocat. Quemadmodum gratia supponit naturam eamque perficit, 45 ita fides supponit et perficit rationem. Quae, fidei lumine illustrata, eximitur a fragilitate et a limitatione quae ex peccati commissione proveniunt, et necessariam invenit fortitudinem, qua in cognitionem mysterii Dei Unius et Trini se sublevet. Etsi in luce vehementer ponit supernaturalem fidei indolem, Doctor Angelicus non est oblitus ipsius rationabilitatis praestantiam; immo, penitus descendere scivit et sensum illius sapientiae circumscribere. Fides quidem quodam modo est « exercitium cogitationis »; ratio hominis nec abrogatur nec minuitur, cum fidei veritatibus assentit; hae tamen veritates ex libera et conscia selectione attinguntur.46|

Plus radicalement, Thomas reconnaît que la nature, objet propre de la philosophie, peut contribuer à la compréhension de la révélation divine. La foi ne craint donc pas la raison, mais elle la recherche et elle s'y fie. De même que la grâce suppose la nature et la porte à son accomplissement, 45 ainsi la foi suppose et perfectionne la raison. Cette dernière, éclairée par la foi, est libérée des fragilités et des limites qui proviennent de la désobéissance du péché, et elle trouve la force nécessaire pour s'élever jusqu'à la connaissance du mystère de Dieu Un et Trine. Tout en soulignant avec force le caractère surnaturel de la foi, le Docteur Angélique n'a pas oublié la valeur de sa rationalité; il a su au contraire creuser plus profondément et préciser le sens de cette rationalité. En effet, la foi est en quelque sorte « un exercice de la pensée »; la raison de l'homme n'est ni anéantie ni humiliée lorsqu'elle donne son assentiment au contenu de la foi; celui-ci est toujours atteint par un choix libre et conscient.46

Hac quidem de causa iure meritoque sanctus Thomas ab Ecclesia Magister doctrinae constanter est habitus et exemplum quod ad modum theologiam tractandi. Nos iuvat in memoriam revocare ea quae Dei Servus Decessor Noster Paulus VI scripsit septimo occurrente centenario ab obitu Doctoris Angelici: « Maxima profecto fuerunt s. Thomae et audacia in veritate quaerenda, et spiritus libertas in novis tractandis quaestionibus, et illa mentis probitas, eorum propria, qui, dum nullo modo patiuntur christianam veritatem contaminari profana philosophia, hanc tamen a priori minime respuunt. Quare, in christianae doctrinae historia eius nomen in numerum refertur praecursorum, quibus novus philosophiae atque scientiae universalis cursus debetur. Caput autem et quasi cardo doctrinae, qua ipse, ut summa et quasi prophetica ingenii acie praeditus erat, quaestionem dissolvit de novis mutuis relationibus inter rationem et fidem, in eo positum est, quod mundi saecularitatem cum arduis ac severis Evangelii postulatis composuit; atque hoc modo sese subduxit ab inclinatione, naturae aliena, ad mundum eiusque bona contemnenda, neque tamen descivit a supremis et indeclinabilibus principiis supernaturalis ordinis ».47|

C'est pour ce motif que saint Thomas a toujours été proposé à juste titre par l'Eglise comme un maître de pensée et le modèle d'une façon correcte de faire de la théologie. Il me plaît de rappeler, dans ce contexte, ce qu'a écrit le Serviteur de Dieu Paul VI, mon prédécesseur, à l'occasion du septième centenaire de la mort du Docteur Angélique: « Sans aucun doute, Thomas avait au plus haut degré le courage de la vérité, la liberté d'esprit permettant d'affronter les nouveaux problèmes, l'honnêteté intellectuelle de celui qui n'admet pas la contamination du christianisme par la philosophie profane, sans pour autant refuser celle-ci a priori. C'est la raison pour laquelle il figure dans l'histoire de la pensée chrétienne comme un pionnier sur la voie nouvelle de la philosophie et de la culture universelle. Le point central, le noyau, pour ainsi dire, de la solution qu'avec son intuition prophétique et géniale il donna au problème de la confrontation nouvelle entre la raison et la foi, c'est qu'il faut concilier le caractère séculier du monde et le caractère radical de l'Evangile, échappant ainsi à cette tendance contre nature qui nie le monde et ses valeurs, sans pour autant manquer aux suprêmes et inflexibles exigences de l'ordre surnaturel ».47

44. Praecipuas inter perceptiones sancti Thomae illa est quae missionem respicit quam Spiritus Sanctus explicat cum humanam scientiam maturat in sapientia. Iam a primis paginis Summae Theologiae48 Aquinas Doctor primatum docere voluit illius sapientiae quae est donum Spiritus Sancti et quae ad divinarum rerum cognitionem ducit. Eius theologia nos docet sapientiae proprietatem in eius arta conglutinatione cum fide et cognitione divina. Illa cognoscit per connaturalitatem, fidem praesumit et efficit ut concipiatur rectum iudicium suum, initium sumens a veritate ipsius fidei: « ...sapientia quae ponitur donum differt ab ea quae ponitur virtus intellectualis acquisita. Nam illa acquiritur studio humano: haec autem est "de sursum descendens", ut dicitur Iac. 3, 15. Similiter et differt a fide. Nam fides assentit veritati divinae secundum seipsam: sed iudicium quod est secundum veritatem divinam pertinet ad donum sapientiae ».49|

44. Parmi les grandes intuitions de saint Thomas, il y a également celle qui concerne le rôle joué par l'Esprit Saint pour faire mûrir la connaissance humaine en vraie sagesse. Dès les premières pages de sa Somme théologique, 48 l'Aquinate voulut montrer le primat de la sagesse qui est don de l'Esprit Saint et qui introduit à la connaissance des réalités divines. Sa théologie permet de comprendre la particularité de la sagesse dans son lien étroit avec la foi et avec la connaissance divine. Elle connaît par connaturalité, présuppose la foi et arrive à formuler son jugement droit à partir de la vérité de la foi elle-même: « La sagesse comptée parmi les dons du Saint-Esprit est différente de celle qui est comptée comme une vertu intellectuelle acquise, car celle-ci s'acquiert par l'effort humain, et celle-là au contraire "vient d'en haut", comme le dit saint Jacques. Ainsi, elle est également distincte de la foi, car la foi donne son assentiment à la vérité divine considérée en elle-même, tandis que c'est le propre du don de sagesse de juger selon la vérité divine ».49

Primatus tamen huic sapientiae tributus non inducit Doctorem Angelicum ut duas alias additicias formas sapientiae obliviscatur: formam nempe philosophicam, quae fulcitur facultate qua intellectus, intra proprios limites, instruitur ad res investigandas; et formam theologicam, quae ex Revelatione pendet et fidei veritates scrutatur, ipsum Dei mysterium attingendo.|

La priorité reconnue à cette sagesse ne fait pourtant pas oublier au Docteur Angélique la présence de deux formes complémentaires de sagesse: la sagesse philosophique, qui se fonde sur la capacité de l'intellect à rechercher la vérité à l'intérieur des limites qui lui sont connaturelles, et la sagesse théologique, qui se fonde sur la Révélation et qui examine le contenu de la foi, atteignant le mystère même de Dieu.

Intime persuasus de eo quod « omne verum a quocumque dicatur a Spiritu Sancto est », 50 sanctus Thomas nulla adductus utilitate, veritatem dilexit. Quaesivit eam ubicumque ea exprimi potuit, universalem eius indolem quam maxime illustrando. Magisterium Ecclesiae in ipso vidit et aestimavit ardens veritatis studium; doctrina illius, eo quod universalem, obiectivam et transcendentem veritatem semper asseruit, attigit culmina « quibus attingendis impar humana intelligentia est ». 51 Merito quidem ille appellari potest « apostolus veritatis ». 52 Quoniam indubitanter ad veritatem animum attendebat, revera obiectivum eius sensum agnoscere scivit. Eius vere est philosophia essendi et non apparendi dumtaxat.|

Intimement convaincu que « omne verum a quocumque dicatur a Spiritu Sancto est » (« toute vérité dite par qui que ce soit vient de l'Esprit Saint »), 50 saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. En lui, le Magistère de l'Église a reconnu et apprécié la passion pour la vérité; sa pensée, précisément parce qu'elle s'est toujours maintenue dans la perspective de la vérité universelle, objective et transcendante, a atteint « des sommets auxquels l'intelligence humaine n'aurait jamais pu penser ».51 C'est donc avec raison qu'il peut être défini comme « apôtre de la vérité ».52 Précisément parce qu'il cherchait la vérité sans réserve, il sut, dans son réalisme, en reconnaître l'objectivité. Sa philosophie est vraiment celle de l'être et non du simple apparaître.


Seiunctae a ratione fidei tragoedia


Le drame de la séparation entre la foi et la raison


45. Primis conditis studiorum universitatibus, theologia propius cum aliis formis investigationis et scientificae cognitionis conferri potuit. Sanctus Albertus Magnus et sanctus Thomas, quamquam asserebant exsistentiam cuiusdam compagis inter theologiam et philosophiam, primi fuerunt viri docti qui necessariam agnoverunt autonomiam qua philosophia et scientiae indigebant, ut singulae argumentis propriae investigationis incumberent. Attamen, inde ab exeunte Medio Aevo legitima distinctio inter has duas cognitionis areas paulatim in nefastum discidium mutata est. Post nimiam animi rationalistarum cupiditatem, quorundam disputatorum propriam, sententiae talia posuerunt fundamenta, ut pervenirent ad philosophiam seiunctam et omnino autonomam quod ad fidei veritates. Varia inter consectaria huius seiunctionis diffidentia quaedam exstitit in dies validior quod attinet ad ipsam rationem. Quidam generalem, scepticam et agnosticam diffidentiam profiteri coeperunt, vel ad maius spatium fidei tribuendum, vel ad quamcumque evertendam de eadem mentionem rationalem.|

45. Avec la naissance des premières universités, la théologie allait se confronter plus directement avec d'autres formes de la recherche et du savoir scientifique. Saint Albert le Grand et saint Thomas, tout en maintenant un lien organique entre la théologie et la philosophie, furent les premiers à reconnaître l'autonomie dont la philosophie et la science avaient nécessairement besoin pour œuvrer efficacement dans leurs champs de recherche respectifs. A partir de la fin du Moyen Âge, toutefois, la légitime distinction entre les deux savoirs se transforma progressivement en une séparation néfaste. A cause d'un esprit excessivement rationaliste, présent chez quelques penseurs, les positions se radicalisèrent, au point d'arriver en fait à une philosophie séparée et absolument autonome vis-à-vis du contenu de la foi. Parmi les conséquences de cette séparation, il y eut également une défiance toujours plus forte à l'égard de la raison elle-même. Certains commencèrent à professer une défiance générale, sceptique et agnostique, soit pour donner plus d'espace à la foi, soit pour jeter le discrédit sur toute référence possible de la foi à la raison.

Ut breviter dicamus, quidquid doctrina Patrum doctorumque Medii Aevi cogitaverat atque exsecuta erat veluti profundam unitatem, causam cognitionis accommodatae ad altissimas speculationis formas, omnino reapse deletum est ope doctrinarum faventium defensioni cognitionis rationalis a fide seiunctae eamque substituentis.|

En somme, ce que la pensée patristique et médiévale avait conçu et mis en œuvre comme formant une unité profonde, génératrice d'une connaissance capable d'arriver aux formes les plus hautes de la spéculation, fut détruit en fait par les systèmes épousant la cause d'une connaissance rationnelle qui était séparée de la foi et s'y substituait.

46. Extremae opinationes, quae magis valent, in occidentali praesertim historia, perbene noscuntur et videntur. Nihil est immodestiae edicere philosophicam disciplinam recentioris temporis magna ex parte esse progressam a christiana Revelatione gradatim disiunctam, eo usque opposita palam attingeret. Praeterito saeculo hic motus suum fastigium attigit. Quidam « idealismi » asseclae multifarie fidem eiusque elementa, vel Iesu Christi mortem ac resurrectionem, in dialecticas structuras ratione intellegibiles immutare contenderunt. Huic opinioni variae humanismi athei species, philosophice elucubratae, obstiterunt, quae fidem reputarunt perniciosam atque progressum plenae rationalitatis prohibentem. Haud veritae sunt ipsae ne novas religiones sese exhiberent quorundam consiliorum fulcimento utentes, quae in politica ac sociali ratione, in systemata quaedam evaserunt omnia complectentia humanitati exitiosa.|

46. Les radicalisations les plus influentes sont connues et bien visibles, surtout dans l'histoire de l'Occident. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'une bonne partie de la pensée philosophique moderne s'est développée en s'éloignant progressivement de la Révélation chrétienne, au point de s'y opposer explicitement. Ce mouvement a atteint son apogée au siècle dernier. Certains représentants de l'idéalisme ont cherché de diverses manières à transformer la foi et son contenu, y compris le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, en structures dialectiques rationnellement concevables. À cette pensée se sont opposées diverses formes d'humanisme athée, philosophiquement structurées, qui ont présenté la foi comme nocive et aliénante pour le développement de la pleine rationalité. Elles n'ont pas eu peur de se faire passer pour de nouvelles religions, constituant le fondement de projets qui, sur le plan politique et social, ont abouti à des systèmes totalitaires traumatisants pour l'humanité.

In rebus scientificis vestigandis mens positivistica adolevit, quae non modo discessit ab omni significatione opinationis christianae de mundo, verum etiam, ac potissimum, omnia indicia metaphysicae moralisque rationis prolabi sivit. Inde factum est ut quidam scientiae periti, ethica mente omnino carentes, in periculo versati sint ne amplius persona eiusque tota vita medium teneret studii locum. Immo quidam illorum, de viribus technicae artis progressus plane conscii, concedere videntur sollicitationi, praeter mercatus rationes, demiurgicae potestati in naturam ac in ipsum hominem.|

Dans le cadre de la recherche scientifique, on en est venu à imposer une mentalité positiviste qui s'est non seulement éloignée de toute référence à la vision chrétienne du monde, mais qui a aussi et surtout laissé de côté toute référence à une conception métaphysique et morale. En conséquence, certains hommes de science, privés de tout repère éthique, risquent de ne plus avoir comme centres d'intérêt la personne et l'ensemble de sa vie. De plus, certains d'entre eux, conscients des potentialités intérieures au progrès technologique, semblent céder, plus qu'à la logique du marché, à la tentation d'un pouvoir démiurgique sur la nature et sur l'être humain lui-même.

Veluti consequens discriminis rationalismi tandem nihilismus crevit. Quatenus philosophia nullius rei, pro hominibus nostrae aetatis quandam suam habet pellicientem vim. Eius fautores inquisitionem putant in se ipsam conclusam, nulla data spe neque facultate adipiscendi veritatis metam. In nihilismi opinatione exsistentia dat tantum copiam quiddam sentiendi et experiendi, qua in re evanida primas agunt partes. Ex nihilismo illa opinio orta est de nullo officio definitive tenendo, quandoquidem fugacia et temporaria sunt omnia.|

Enfin, le nihilisme a pris corps comme une conséquence de la crise du rationalisme. Philosophie du néant, il réussit à exercer sa fascination sur nos contemporains. Ses adeptes font la théorie de la recherche comme fin en soi, sans espérance ni possibilité aucune d'atteindre la vérité. Dans l'interprétation nihiliste, l'existence n'est qu'une occasion pour éprouver des sensations et faire des expériences dans lesquelles le primat revient à l'éphémère. Le nihilisme est à l'origine de la mentalité répandue selon laquelle on ne doit plus prendre d'engagement définitif, parce tout est fugace et provisoire.

47. Non est obliviscendum, ceterum, in hodierna cultura philosophiae partes esse immutatas. Ex sapientia et universali scientia, in unam quamlibet e multis scientiae provinciis redacta est; immo, quibusdam ex rationibus, partes omnino supervacanae eidem dumtaxat tribuuntur. Aliae interea rationalitatis formae magis magisque increbuerunt, quae philosophicae disciplinae leve pondus manifeste tribuerunt. Pro veritatis contemplatione atque finis ultimi sensusque vitae inquisitione, formae hae rationalitatis diriguntur — vel saltem sunt convertibiles — veluti « rationes instrumentales », quae inserviant utilitatis propositis, voluptatibus vel dominationi.|

47. D'autre part, il ne faut pas oublier que, dans la culture moderne, le rôle même de la philosophie a fini par changer. De sagesse et de savoir universel qu'elle était, elle a été progressivement réduite à n'être qu'un des nombreux domaines du savoir humain, bien plus, par certains aspects, elle a été cantonnée dans un rôle totalement marginal. Entre temps, d'autres formes de rationalité se sont affirmées avec toujours plus de vigueur, mettant en évidence la marginalité du savoir philosophique. Au lieu d'être tournées vers la contemplation de la vérité et la recherche de la fin dernière et du sens de la vie, ces formes de rationalité tendent — ou au moins peuvent tendre — à être « une raison fonctionnelle » au service de fins utilitaristes, de possession ou de pouvoir.

Quam lubricum sit hanc viam decurrere inde a Nostris primis Litteris Encyclicis editis ediximus, cum scripsimus: « Nostrae aetatis homo semper urgeri videtur iis ipsis rebus, quas efficit, nempe proventu operis manuum suarum et magis etiam laboris mentis et voluntatum propensionum. Fructus huius multiformis industriae humanae obnoxii sunt — nimis celeriter quidem ac saepe tali modo, qui praevideri non possit — « alienationi », quatenus illis, qui eos protulerunt, simpliciter auferuntur: hoc non solum fieri contigit nec tanta ratione, quanta, saltem ex parte, in quodam ambitu ex eorum effectibus consequenter et oblique enato, iidem fructus contra hominem ipsum convertuntur. Haec videtur esse summa acerbissimae condicionis exsistentiae hominum nostri temporis, prout maxima et universali amplitudine patet. Quare homo maiore in dies afficitur timore. Metuit enim, ne fructus sui, non omnes quidem neque plerique, sed nonnulli et ii sane, qui singularem partem habent ingenii eius et industriae, contra se ipsum convertantur ».53|

Dès ma première encyclique, j'ai fait remarquer combien il était dangereux de présenter cette voie comme un absolu et j'ai écrit: « L'homme d'aujourd'hui semble toujours menacé par ce qu'il fabrique, c'est-à-dire par le résultat du travail de ses mains, et plus encore du travail de son intelligence, des tendances de sa volonté. D'une manière trop rapide et souvent imprévisible, les fruits de cette activité multiforme de l'homme ne sont pas seulement et pas tant objet d'"aliénation", c'est-à-dire purement et simplement enlevés à celui qui les a produits; mais, partiellement au moins, dans la ligne, même indirecte, de leurs effets, ces fruits se retournent contre l'homme lui-même; ils sont dirigés ou peuvent être dirigés contre lui. C'est en cela que semble consister le chapitre principal du drame de l'existence humaine aujourd'hui, dans sa dimension la plus large et la plus universelle. L'homme, par conséquent, vit toujours davantage dans la peur. Il craint que ses productions, pas toutes naturellement ni dans leur majeure partie, mais quelques-unes et précisément celles qui contiennent une part spéciale de son génie et de sa créativité, puissent être retournées radicalement contre lui-même ».53

His culturae immutationibus praepositis, nonnulli philosophi, veritatem ipsius causa inquirere desistentes, sibi hoc unum statuerunt ut obiectivam certitudinem practicamve utilitatem obtinerent. Proximum fuit ut vera rationis dignitas offunderetur, quae nempe facultatem amisit verum cognoscendi et absolutum vestigandi.|

A la suite de ces transformations culturelles, certains philosophes, abandonnant la recherche de la vérité pour elle-même, ont adopté comme but unique l'obtention d'une certitude subjective ou d'une utilité pratique. La conséquence en a été l'obscurcissement de la véritable dignité de la raison, qui n'était plus en état de connaître le vrai et de rechercher l'absolu.

48. Quod in postrema hac historiae philosophiae parte eminet, pertinet, igitur, ad contemplatam progredientem fidei a philosophica ratione distractionem. Omnino verum est quod, res attente cogitanti, in philosophica quoque cogitatione eorum qui operam dederunt spatio inter fidem et rationem dilatando, magni pretii germina cogitationum nonnumquam ostenduntur, quae penitus excussa et recta mente cordeque exculta, efficiunt ut veritatis iter reperiatur. Haec congitationis germina inveniri possunt, exempli gratia, in perpensis explicationibus de perceptione experientiaque, de specierum summa deque irrationali personalitate deque intersubiectivitate, de libertate bonisque, de tempore historiaque. Mortis quoque argumentum graviter unumquemquem philosophum compellare potest, ut in se ipse germanum suae vitae sensum reperiat. Id autem non sibi vult praesentem inter fidem et rationem necessitudinem subtilem iudicii conatum non postulare, quandoquidem tum ratio tum fides sunt extenuatae et sunt factae altera alteri debiles. Ratio, Revelatione nudata, devia itinera decucurrit, quae eandem in discrimen inferunt haud cernendi ultimam metam. Fides, ratione carens, animi sensum et experientiam extulit, atque sic in periculo versatur ne amplius sit universalis oblatio. Fallax est cogitare fidem, coram infirma ratione, plus posse; ipsa, contra, in grave periculum incidit ne in fabulam ac superstitionem evadat. Eodem modo ratio, quae fidei firmatae non obversatur, ad novitatem et radicalitatem ipsius « esse » contuendas non lacessitur.|

48. Ce qui ressort de cette dernière période de l'histoire de la philosophie, c'est donc la constatation d'une séparation progressive entre la foi et la raison philosophique. Il est bien vrai que, pour un observateur attentif, même dans la réflexion philosophique de ceux qui contribuèrent à élargir le fossé entre la foi et la raison, on voit parfois se manifester des germes précieux de pensée qui, approfondis et développés avec droiture d'esprit et de cœur, peuvent faire découvrir le chemin de la vérité. On trouve ces germes de pensée, par exemple, dans des analyses approfondies sur la perception et l'expérience, sur l'imaginaire et l'inconscient, sur la personnalité et l'intersubjectivité, sur la liberté et les valeurs, sur le temps et l'histoire. Même le thème de la mort peut devenir pour tout penseur un appel pressant à chercher à l'intérieur de lui-même le sens authentique de son existence. Cela n'enlève rien au fait que le rapport actuel entre foi et raison demande un effort attentif de discernement, parce que la raison et la foi se sont toutes deux appauvries et se sont affaiblies l'une en face de l'autre. La raison, privée de l'apport de la Révélation, a pris des sentiers latéraux qui risquent de lui faire perdre de vue son but final. La foi, privée de la raison, a mis l'accent sur le sentiment et l'expérience, en courant le risque de ne plus être une proposition universelle. Il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande; au contraire, elle tombe dans le grand danger d'être réduite à un mythe ou à une superstition. De la même manière, une raison qui n'a plus une foi adulte en face d'elle n'est pas incitée à s'intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l'être.

Ne importuna igitur videatur gravis firmaque Nostra compellatio, ut fides et philosophia artam illam coniunctionem redintegrent, quae eas congruas efficiat earum naturae, autonomia vicissim servata. Fidei parrhesiae respondere debet rationis audacia.|

On ne doit donc pas considérer comme hors de propos que je lance un appel fort et pressant pour que la foi et la philosophie retrouvent l'unité profonde qui les rend capables d'être en harmonie avec leur nature dans le respect de leur autonomie réciproque. A la « parrhèsia » de la foi doit correspondre l'audace de la raison.


CAPUT V - DE RE PHILOSOPHICA MAGISTERII IUDICIA


CHAPITRE V - LES INTERVENTIONS DU MAGISTÈRE DANS LE DOMAINE PHILOSOPHIQUE



Magisterii prudens discretio uti veritati praestitum officium


Le discernement du Magistère comme diaconie de la vérité


49. Suam ipsius philosophiam non exhibet Ecclesia, neque quamlibet praelegit peculiarem philosophiam aliarum damno. 54 Recondita huius temperantiae causa in eo reperitur quod philosophia, etiam cum necessitudinem instituit cum theologia, secundum suam rationem suasque regulas agere debet; nullo modo alioquin cavetur ut illa ad veritatem vergat et ad eam per cursum ratione perpendendum tendat. Levis auxilii esset quaedam philosophia quae non procederet ratione gubernante secundum sua ipsius principia peculiaresque methodologias. Quod huius rei caput est, autonomiae radix, qua philosophia fruitur, in eo invenitur quod ratio natura sua ad veritatem vergit ipsaque praeterea ad eam consequendam necessaria habet instrumenta. Philosophia huius « statuti constitutivi » sibi conscia facere non potest quin servet necessitates quoque et perspicuitates veritatis revelatae proprias.|

49. L'Eglise ne propose pas sa propre philosophie ni ne canonise une quelconque philosophie particulière au détriment des autres.54 La raison profonde de cette réserve réside dans le fait que la philosophie, même quand elle entre en relation avec la théologie, doit procéder selon ses méthodes et ses règles; autrement, il n'y aurait pas de garantie qu'elle reste tournée vers la vérité et qu'elle y tende grâce à une démarche rationnellement vérifiable. Une philosophie qui ne procéderait pas à la lumière de la raison selon ses principes propres et ses méthodes spécifiques ne serait pas d'un grand secours. En définitive, la source de l'autonomie dont jouit la philosophie est à rechercher dans le fait que la raison est, de par sa nature, orientée vers la vérité et que, en outre, elle dispose en elle-même des moyens pour y parvenir. Une philosophie consciente de son « statut constitutif » ne peut pas ne pas respecter non plus les exigences et les évidences propres à la vérité révélée.

Historia tamen demonstravit declinationes et errores in quos haud semel recentiore potissimum aetate philosophicae opinationes inciderint. Munus non est Magisterii neque officium opem ferre ad lacunas philosophicae cogitationis mancae implendas. Eius est, contra, palam et strenue obsistere, cum philosophicae sententiae dubiae periculum iniciunt ne revelatio recte intellegatur nec non cum falsae factiosaeque effunduntur opiniones, quae graves errores disseminant, exturbantes Dei populi simplicitatem et fidei sinceritatem.|

Cependant l'histoire a fait apparaître les déviations et les erreurs dans lesquelles la pensée philosophique, surtout la pensée moderne, est fréquemment tombée. Ce n'est ni la tâche ni la compétence du Magistère d'intervenir pour combler les lacunes d'un discours philosophique déficient. Il est de son devoir au contraire de réagir de manière claire et forte lorsque des thèses philosophiques discutables menacent la juste compréhension du donné révélé et quand on diffuse des théories fausses et partisanes qui répandent de graves erreurs, troublant la simplicité et la pureté de la foi du peuple de Dieu.

50. Ecclesiae ideo Magisterium, sub fidei lumine suum iudicium criticum de philosophicis opinationibus ac sententiis, quae cum doctrina christiana contendunt, ex auctoritate proferre potest ac debet. 55 Ad Magisterium in primis pertinet iudicare quae praesumptiones philosophicae et consecutiones veritati revelatae aversentur, pariterque postulata significare quae sub lumine fidei a philosophia requiruntur. In philosophicae praeterea scientiae progressu complures philosophantium scholae sunt ortae. Etiam plures hae disciplinae Magisterium compellant ad iudicium officiose enuntiandum an primigenia principia, quibus hae scholae nituntur, cum postulatis Dei verbi ac theologicae cogitationis propriis componi possint necne.|

50. Le Magistère ecclésiastique peut donc et doit exercer avec autorité, à la lumière de la foi, son propre discernement critique sur les philosophies et sur les affirmations qui sont en opposition avec la doctrine chrétienne.55 Il revient au Magistère d'indiquer avant tout quels présupposés et quelles conclusions philosophiques seraient incompatibles avec la vérité révélée, formulant par là-même les exigences qui s'imposent à la philosophie du point de vue de la foi. En outre, dans le développement du savoir philosophique, diverses écoles de pensée sont apparues. Ce pluralisme met aussi le Magistère devant sa responsabilité d'exprimer son jugement en ce qui concerne la compatibilité ou l'incompatibilité des conceptions fondamentales auxquelles ces écoles se réfèrent avec les exigences propres de la parole de Dieu et de la réflexion théologique.

Ecclesia quippe demonstrare debet id quod fidei alienum oriri potest in quadam philosophica disciplina. Complures namque philosophicae cogitationes, ut opiniones de Deo, de homine, de eius libertate deque eius ethica agendi ratione, Ecclesiam recta compellant, quandoquidem veritatem revelatam quam ipsa tuetur contingunt. Cum hoc iudicium enuntiamus, nos Episcopi « testes veritatis » esse debemus in diaconia sustinenda humili sed tenaci, quae singulis philosophis aestimanda est, in commodum « rectae rationis », rationis videlicet quae de vero congruenter cogitat.|

L'Eglise a le devoir d'indiquer ce qui, dans un système philosophique, peut paraître incompatible avec sa foi. De nombreux thèmes philosophiques en effet, tels ceux de Dieu, de l'homme, de sa liberté et de son agir moral, la mettent directement en cause, parce qu'ils concernent la vérité révélée dont elle a la garde. Quand nous effectuons ce discernement, nous, évêques, avons le devoir d'être « témoins de la vérité » dans l'exercice d'un service humble mais ferme, que tout philosophe devrait apprécier, au profit de la recta ratio, c'est-à-dire de la raison qui réfléchit correctement sur le vrai.

51. Hoc autem iudicium non quaedam infitiatio intellegi primo debet, proinde quasi Magisterium auferre vel imminuere quaslibet actiones velit. Immo eius cohortationes volunt in primis philosophicas vestigationes lacessere, promovere, incitare. Philosophi ceterum primi necessitatem percipiunt se ipsos iudicandi, errores, si qui sunt, corrigendi necnon nimis angustos fines transgrediendi in quibus eorum philosophica cogitatio gignitur. Illud praecipuum est considerandum, unam esse veritatem, quamvis eius significationes historiae vestigia exhibeant atque, insuper, e ratione humana propter peccatum sauciata et hebetata oriantur. Inde constat nullam historicam philosophiae formam legitime sibi vindicare posse facultatem totam veritatem complectendi, neque plene explanandi hominem, mundum, hominis necessitudinem cum Deo.|

51. Ce discernement ne doit donc pas être entendu premièrement dans un sens négatif, comme si l'intention du Magistère était d'éliminer ou de réduire toute médiation possible. Au contraire, ses interventions sont destinées en premier lieu à stimuler, à promouvoir et à encourager la pensée philosophique. D'autre part, les philosophes sont les premiers à comprendre l'exigence de l'autocritique et de la correction d'éventuelles erreurs, ainsi que la nécessité de dépasser les limites trop étroites dans lesquelles leur réflexion s'est forgée. De manière particulière, il faut considérer que la vérité est une, bien que ses expressions portent l'empreinte de l'histoire et, plus encore, qu'elles soient l'œuvre d'une raison humaine blessée et affaiblie par le péché. De là, il résulte qu'aucune forme historique de la philosophie ne peut légitimement prétendre embrasser la totalité de la vérité, ni être l'explication plénière de l'être humain, du monde et du rapport de l'homme avec Dieu.

Hodiernis porro temporibus, cum systemata, rationes, opinationes ac argumenta philosophica saepe minutatissime digesta multiplicentur, magis magisque sub fidei lumine acumen iudicii deposcitur. Quod iudicium est arduum, quia, si quidem iam est laboriosum ingenitas ac non alienabiles facultates rationis agnoscere, finibus constitutivis et historicis additis, multo incertius interdum erit iudicium discernendi, in singulis philosophicis notionibus, id quod, sub fidei respectu, validum et frugiferum exhibent, pro eo quod praebent falsum et periculosum. Ecclesia utique scit thesauros sapientiae et scientiae in Christo abscondi (cfr Col 2,3); quocirca operam dat ut philosophica inquisitio evolvatur, ne via intercludatur, quae ad mysterium agnoscendum ducit.|

Et aujourd'hui, à cause de la multiplication des systèmes, des méthodes, des concepts et des argumentations philosophiques souvent extrêmement détaillées, un discernement critique à la lumière de la foi s'impose avec une plus grande urgence. Ce discernement n'est pas aisé, car, s'il est déjà difficile de reconnaître les capacités natives et inaliénables de la raison, avec ses limites constitutives et historiques, il est parfois encore plus problématique de discerner ce que les propositions philosophiques particulières offrent de valable et de fécond, du point de vue de la foi, et ce que, à l'inverse, elles présentent de dangereux et d'erroné. L'Eglise sait de toute façon que les « trésors de la sagesse et de la connaissance » sont cachés dans le Christ (Col 2, 3); c'est pourquoi elle intervient en stimulant la réflexion philosophique, afin que ne se ferme pas la voie qui conduit à la reconnaissance du mystère.

52. Recentioribus non modo temporibus Ecclesiae Magisterium suam mentem de quibusdam philosophicis doctrinis patefecit. Ut quaedam supponamus exempla, sufficit ut memorentur saeculorum decursu declarationes de opinionibus quibusdam quae affirmabant animas praeexsistere, 56 itemque de variis idolatriae esoterismique superstitiosi obnoxiis formis quae in astrologicis enuntiationibus 57 continentur; ne obliviscamur scripta magis systematica adversus averroismi Latini sententias, quae christianae fidei aversantur.58|

52. Ce n'est pas seulement un fait récent que le Magistère intervienne pour exprimer sa pensée en ce qui concerne des doctrines philosophiques déterminées. A titre d'exemple, il suffit de rappeler, au cours des siècles, les déclarations à propos des théories qui soutenaient la préexistence des âmes, 56 ou encore à propos des diverses formes d'idolâtrie et d'ésotérisme superstitieux, contenues dans des thèses d'astrologie, 57 sans oublier les textes plus systématiques contre certaines thèses de l'averroïsme latin, incompatibles avec la foi chrétienne.58

Si Magisterii verbum crebrius a superiore inde saeculo exauditum est, id accidit quod illa aetate non pauci catholici suum esse officium putarunt suam philosophiam opponere opinionibus recentiorum philosophorum. Tunc autem Ecclesiae Magisterium omnino coactum est ad vigilandum ne hae philosophicae doctrinae vicissim in formas falsas et negatorias transgrederentur. Sunt idcirco censura aequabiliter affecti hinc fideismus 59 et traditionalismus radicalis,60 propter eorum diffidentiam naturalium rationis facultatum, illinc rationalismus,61 et ontologismus,62 quandoquidem rationi naturali id tribuebant, quod solummodo fidei lumine cognosci potest. Quae valida in his disceptationibus continebantur Constitutione dogmantica Dei filius recepta sunt, qua primum Concilum Oecumenicum quoddam, Vaticanum scilicet I, sollemniter inter Revelationem ac fidem necessitudinem pertractavit. Doctrina quae in documento illo continetur penitus et salubriter philosophicam complurium fidelium inquisitionem affecit atque hodiernis quoque temporibus quiddam perstat praeceptivum ad quod tendere debemus ad iustam congruentemque christianam hac de re inquisitionem consequendam.|

Si la parole du Magistère s'est fait entendre plus souvent à partir du milieu du siècle dernier, c'est parce que, au cours de cette période, de nombreux catholiques se sont reconnu le devoir d'opposer leur propre philosophie aux courants variés de la pensée moderne. À ce point, il devenait nécessaire pour le Magistère de l'Eglise de veiller à ce que ces philosophies ne dévient pas, à leur tour, dans des formes erronées et négatives. Furent ainsi censurées parallèlement: d'une part, le fidéisme59 et le traditionalisme radical,60 pour leur défiance à l'égard des capacités naturelles de la raison; d'autre part, le rationalisme61 et l'ontologisme,62 car ils attribuaient à la raison naturelle ce qui est connaissable uniquement à la lumière de la foi. Le contenu positif de ce débat fit l'objet d'un exposé organique dans la Constitution dogmatique Dei Filius, par laquelle, pour la première fois, un Concile œcuménique, Vatican I, intervenait solennellement sur les relations entre la raison et la foi. L'enseignement de ce texte donna une impulsion forte et positive à la recherche philosophique de nombreux croyants et il constitue encore aujourd'hui une référence et une norme pour une réflexion chrétienne correcte et cohérente dans ce domaine particulier.

53. Potius quam de singulis philosophorum sententiis, Magisterii effata de necessitate cognitionis naturalis atque, ideo, novissime philosophicae pro fide intellegenda tractaverunt. Concilium Vaticanum I, summatim referendo et sollemniter doctrinam confirmando quam ordinarium in modum constanterque fidelibus Magisterium pontificium ministravit, lucide edixit quam inseparabiles sint simulque plane seiunctae naturalis Dei cognitio et Revelatio, ratio et fides. Concilium ex praecipua postulatione sumpsit initium, quam ipsa Revelatio praesumebat, Deum scilicet esse naturaliter cognosci posse, rerum omnium principum et finem, 63 atque sollemni illa iam memorata enuntiatione desiit: « Duplicem esse ordinem cognitionis, non solum principio, sed obiecto etiam distinctum ».64 Asseverare ideo contra omnes rationalismi species oportebat fidei mysteria a philosophicis inventis separari, illaque haec praecedere et transcendere; altera ex parte adversus proclivia ad fidem blandimenta, necesse fuit ut veritatis unitas confirmaretur ideoque etiam efficax emolumentum quod rationalis cognitio tribuere potest ac debet fidei cognitioni: « Verum etsi fides sit supra rationem, nulla tamen umquam inter fidem et rationem vera dissensio esse potest: cum idem Deus, qui mysteria revelat et fidem infundit, animo humano rationis lumen indiderit, Deus autem negare se ipsum non possit, nec verum vero umquam contradicere ».65|

53. Les déclarations du Magistère, plus que de thèses philosophiques particulières, se sont préoccupées de la nécessité de la connaissance rationnelle et donc en dernier ressort de l'approche philosophique pour l'intelligence de la foi. Le Concile Vatican I, faisant la synthèse et réaffirmant solennellement les enseignements que, de manière ordinaire et constante, le Magistère pontifical avait proposés aux fidèles, fit ressortir qu'étaient inséparables et en même temps irréductibles la connaissance naturelle de Dieu et la Révélation, ainsi que la raison et la foi. Le Concile partait de l'exigence fondamentale, présupposée par la Révélation elle-même, de la possibilité de la connaissance naturelle de l'existence de Dieu, principe et fin de toute chose, 63 et il concluait par l'assertion solennelle déjà citée: « Il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe mais aussi par leur objet ».64 Contre toute forme de rationalisme, il fallait donc affirmer la distinction entre les mystères de la foi et les découvertes philosophiques, ainsi que la transcendance et l'antériorité des premiers par rapport aux secondes; d'autre part, contre les tentations fidéistes, il était nécessaire que soit réaffirmée l'unité de la vérité et donc aussi la contribution positive que la connaissance rationnelle peut et doit apporter à la connaissance de foi: « Mais, bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre la foi et la raison, étant donné que c'est le même Dieu qui révèle les mystères et communique la foi, et qui fait descendre dans l'esprit humain la lumière de la raison: Dieu ne pourrait se nier lui-même ni le vrai contredire jamais le vrai ».65

54. Nostro quoque saeculo, Magisterium plus quam semel hanc rem agitavit, admonens de rationalismi blanditiis. Hoc in prospectu Pii PP. X est consideranda opera, qui animadvertit modernismi fundamentum illas esse philosophicas notiones, quae phaenomenismum, agnosticismum et immanentismum redolebant.66 Neque momentum pondusve obliviscendum catholicae detrectationis marxistarum philosophiae atque communismi athei.67|

54. Dans notre siècle aussi, le Magistère est revenu à plusieurs reprises sur ce sujet, mettant en garde contre la tentation rationaliste. C'est sur cet arrière-fond que l'on doit situer les interventions du Pape saint Pie X, qui mit en relief le fait que, à la base du modernisme, il y avait des assertions philosophiques d'orientation phénoméniste, agnostique et immanentiste.66 On ne peut pas oublier non plus l'importance qu'eut le refus catholique de la philosophie marxiste et du communisme athée.67

Pius PP. XII deinceps vocem suam intendit cum, in Litteris illis Encyclicis quarum titulus Humani generis, de erratis sententiis moneret, quae cum evolutionismi, exsistentialismi et historicismi opinionibus nectebantur. Idem Pontifex clarius edixit placita haec non a theologis esse elucubrata ac prolata, sed « extra ovile Christi » 68 originem traxisse; simul addidit tales errores non simpliciter eiciendos, sed iudicio critico ponderandos: « Iamvero theologis ac philosophis catholicis, quibus grave incumbit munus divinam humanamque veritatem tuendi animisque inserendi hominum, has opinationes plus minusve e recto itinere aberrantes neque ignorare neque neglegere licet. Quin immo ipsi easdem opinationes perspectas habeant oportet, tum quia morbi non apte curantur nisi rite praecogniti fuerint, tum quia nonnumquam in falsis ipsis commentis aliquid veritatis latet, tum denique quia eadem animum provocant ad quasdam veritates, sive philosophicas sive theologicas, sollertius perscrutandas ac perpendendas ».69|

Le Pape Pie XII à son tour fit entendre sa voix quand, dans l'encyclique Humani generis, il mit en garde contre des interprétations erronées, liées aux thèses de l'évolutionnisme, de l'existentialisme et de l'historicisme. Il précisait que ces thèses n'avaient pas été élaborées et n'étaient pas proposées par des théologiens, et qu'elles avaient leur origine « en dehors du bercail du Christ »;68 il ajoutait aussi que de telles déviations n'étaient pas simplement à rejeter, mais étaient à examiner de manière critique: « Les théologiens et les philosophes catholiques, qui ont la lourde charge de défendre la vérité humaine et divine, et de la faire pénétrer dans les esprits humains, ne peuvent ni ignorer ni négliger ces systèmes qui s'écartent plus ou moins de la voie droite. Bien plus, ils doivent bien les connaître, d'abord parce que les maux ne se soignent bien que s'ils sont préalablement bien connus, ensuite parce qu'il se cache parfois dans des affirmations fausses elles-mêmes un élément de vérité, enfin parce que ces mêmes affirmations invitent l'esprit à scruter et à considérer plus soigneusement certaines vérités philosophiques et théologiques ».69

Postremo etiam Congregatio pro Doctrina Fidei, peculiare suum explens officium pro universali Romani Pontificis magisterio, 70 iterum de periculo monuit in quo versari possunt quidam theologiae liberationis theologi sumendo sine iudicii acumine principia et rationes a marxismo mutuata.71|

Plus récemment, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, accomplissant sa tâche spécifique au service du Magistère universel du Pontife romain, 70 a dû intervenir aussi pour rappeler le danger que comporte l'acceptation non critique, de la part de certains théologiens de la libération, de thèses et de méthodologies issues du marxisme.71

Superioribus igitur temporibus identidem ac diversimode de re philosophica iudicium discernendi exercuit Magisterium. Quod autem Decessores Nostri recolendae memoriae attulerunt magni pretii existimatur subsidium quod oblivione obruere haudquaquam licet.|

Dans le passé, le Magistère a donc exercé à maintes reprises et sous diverses modalités son discernement dans le domaine philosophique. Tout ce qu'ont apporté mes vénérés Prédécesseurs constitue une contribution précieuse qui ne peut pas être oubliée.

55. Si hodiernas condiciones consideramus, animadvertimus pristinas restitui quaestiones, easdemque proprietatibus novis. Non agitur tantum de quaestionibus quae singulas personas coetusve complectuntur, sed de cogitationibus inter homines serpentibus ita ut quodammodo in mentem communem iam convertantur. Talis est, exempli gratia, radicalis de ratione diffidentia, quam recentes multarum inquisitionum philosopharum explicationes ostendunt. Hac de re compluribus ex partibus audita est vox de « interitu metaphysicae »: est voluntas ut philosophia tenuioribus muneribus contenta sit, quae tantum versetur in factis intepretandis vel in vestigationibus de quibusdam certis argumentis humanae cognitionis vel eiusdem de structuris.|

55. Si nous considérons notre situation actuelle, nous voyons que les problèmes du passé reviennent, mais sous de nouvelles formes. Il ne s'agit plus seulement de questions qui intéressent des personnes particulières ou des groupes, mais de convictions diffuses dans le milieu ambiant, au point de devenir en quelque sorte une mentalité commune. Il en va ainsi, par exemple, de la défiance radicale envers la raison que révèlent les plus récents développements de nombreuses études philosophiques. De plusieurs côtés, on a entendu parler, à ce propos, de « fin de la métaphysique »: on veut que la philosophie se contente de tâches plus modestes, à savoir la seule interprétation des faits, la seule recherche sur des champs déterminés du savoir humain ou sur ses structures.

In ipsa theologia quaedam praeteriti temporis iterum emergunt sollicitationes. In nonnullis huius aetatis theologicis scholis, exempli gratia, quidam rationalismus progreditur, praesertim cum placita, quae philosophice habentur valida, praeceptiva ad theologicam inquisitionem agendam iudicantur. Id potissimum accidit cum theologus, scientiae philosophicae expers, sine iudicio sententiis iam in communem loquelam cultumque receptis, at satis rationali fundamento carentibus, temperatur.72|

Dans la théologie elle-même, les tentations du passé refont surface. Dans certaines théologies contemporaines par exemple, se développe de nouveau une forme de rationalisme, surtout quand des assertions retenues philosophiquement fondées sont considérées comme des normes pour la recherche théologique. Cela arrive avant tout quand le théologien, par manque de compétence philosophique, se laisse conditionner de manière acritique par des affirmations qui font désormais partie du langage et de la culture courants, mais dépourvues de base rationnelle suffisante.72

Neque desunt qui in fideismum periculose regrediantur, quippe qui rationalis cognitionis philosophicaeque scientiae pondus ad fidem intellegendam, immo ad ipsam facultatem possidendam in Deum credendi, non agnoscat. Hodie pervagata opinio huius fideisticae propensionis est « bliblicismus », qui Sacrarum Litterarum lectionem earumque explicationem unicum arbitratur veridicae congruentiae caput. Sic evenit ut Dei verbum cum sola Sacra Scriptura aequetur, hoc modo Ecclesiae doctrinam perimendo, quam Concilium Oecumenicum Vaticanum II palam confirmavit. Constitutio Dei Verbum postquam commonefecit simul in Sacris Libris simul in Traditione 73 inesse Dei verbum, graviter edicit: « Sacra Traditio et Sacra Scriptura unum verbi Dei sacrum depositum constituunt Ecclesiae commissum, cui inhaerens tota plebs sancta cum Pastoribus suis adunata, in doctrina Apostolorum et communione, fractione panis et orationibus iugiter perseverat (cfr Act 2,42) ».74 Non ad Sacram Scripturam dumtaxat igitur sese refert Ecclesia. Etenim « suprema fidei eius regula » 75 ex unitate oritur quam inter Sacram Traditionem, Sacram Scripturam et Ecclesiae Magisterium posuit Spiritus, quae sic mutuo implicantur, ut haec tria seiunctim nullo modo esse possint.76|

On rencontre aussi des dangers de repliement sur le fidéisme, qui ne reconnaît pas l'importance de la connaissance rationnelle et du discours philosophique pour l'intelligence de la foi, plus encore pour la possibilité même de croire en Dieu. Une expression aujourd'hui répandue de cette tendance fidéiste est le « biblicisme », qui tend à faire de la lecture de l'Ecriture Sainte ou de son exégèse l'unique point de référence véridique. Il arrive ainsi que la parole de Dieu s'identifie avec la seule Ecriture Sainte, rendant vaine de cette manière la doctrine de l'Eglise que le Concile œcuménique Vatican II a confirmée expressément. Après avoir rappelé que la parole de Dieu est présente à la fois dans les textes sacrés et dans la Tradition, 73 la Constitution Dei Verbum affirme avec force: « La sainte Tradition et la sainte Ecriture constituent un unique dépôt sacré de la parole de Dieu, confié à l'Eglise; en y adhérant, le peuple saint tout entier uni à ses pasteurs ne cesse de rester fidèlement attaché à l'enseignement des Apôtres ».74 Cependant, pour l'Eglise, la sainte Écriture n'est pas la seule référence. En effet, la « règle suprême de sa foi » 75 lui vient de l'unité que l'Esprit a réalisée entre la sainte Tradition, la sainte Écriture et le Magistère de l'Eglise, en une réciprocité telle que les trois ne peuvent pas subsister de manière indépendante.76

Non est porro subaestimandum periculum quod inest in proposito quodam Sacrae Scripturae veritatem eruendi ex una tantum adhibita methodologia, necessitate neglecta latioris exegesis, quae una cum tota Ecclesia ad textus plene intellegendos accedere sinat. Quotquot in Sacrae Scripturae studium incumbunt prae se usque ferre debent varias methodologias explanatorias in aliqua ipsas etiam inniti opinatione philosophica: est illa acumine pensitanda antequam sacris scriptis aptetur.|

En outre, il ne faut pas sous-estimer le danger inhérent à la volonté de faire découler la vérité de l'Ecriture Sainte de l'application d'une méthodologie unique, oubliant la nécessité d'une exégèse plus large qui permet d'accéder, avec toute l'Eglise, au sens plénier des textes. Ceux qui se consacrent à l'étude des saintes Ecritures doivent toujours avoir présent à l'esprit que les diverses méthodologies herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique: il convient de l'examiner avec discernement avant de l'appliquer aux textes sacrés.

Aliae absconditi fideismi formae agnosci possunt eo quod theologia speculativa parvi aestimatur ac pariter philosophia classica despicatui habetur, ex cuius notionibus sive fidei intellectus sive dogmaticae ipsae formulae verba exceperunt. Pius PP. XII, felicis recordationis, de hac traditionis philosophicae oblivione necnon de desertis translaticiis locutionibus monuit.77|

D'autres formes de fidéisme latent se reconnaissent au peu de considération accordée à la théologie spéculative, comme aussi au mépris pour la philosophie classique, aux notions desquelles l'intelligence de la foi et les formulations dogmatiques elles-mêmes ont puisé leur terminologie. Le Pape Pie XII de vénérée mémoire a mis en garde contre un tel oubli de la tradition philosophique et contre l'abandon des terminologies traditionnelles.77

56. Aliquo modo, postremo, effatis omnia complectentibus et absolutis diffidunt, ii potissimum qui arbitrantur ex consensu, non ex intellectu obiectivae realitati obnoxio depromi veritatem. Certe illud intellegi potest, in mundo qui in multas peculiaresque partes dispertitur, eum complexivum ultimumque vitae sensum difficulter agnosci, quem translaticia philosophia quaesivit. Verumtamen sub lumine fidei quae in Christo Iesu hunc ultimum sensum agnoscit, facere non possumus quin philosophos, christianos vel non christianos, incitemus ut rationis humanae facultati confidant neque metas in philosophandi arte nimis mediocres prae se ferant. Huius iam ad finem vergentis millenni historica lectio testatur hanc esse calcandam viam: oportet veritatis ultimae cupido vestigationisque desiderium non amittantur, quae cum audacia novos cursus detegendi coniunguntur. Fides ipsa rationem lacessit ad omnem secessionem deserendam et ad omnia periclitanda, ut persequatur quae pulchra, bona veraque sunt. Fides sic rationis fit certus atque suadens advocatus.|

56. En définitive, on observe une défiance fréquente envers des assertions globales et absolues, surtout de la part de ceux qui considèrent que la vérité est le résultat du consensus et non de l'adéquation de l'intelligence à la réalité objective. Il est certes compréhensible que, dans un monde où coexistent de nombreuses spécialités, il devienne difficile de reconnaître ce sens plénier et ultime de la vie que la philosophie a traditionnellement recherché. Néanmoins, à la lumière de la foi qui reconnaît en Jésus Christ ce sens ultime, je ne peux pas ne pas encourager les philosophes, chrétiens ou non, à avoir confiance dans les capacités de la raison humaine et à ne pas se fixer des buts trop modestes dans leur réflexion philosophique. La leçon de l'histoire de ce millénaire, que nous sommes sur le point d'achever, témoigne que c'est la voie à suivre: il faut ne pas perdre la passion pour la vérité ultime et l'ardeur pour la recherche, unies à l'audace pour découvrir de nouvelles voies. C'est la foi qui incite la raison à sortir de son isolement et à prendre volontiers des risques pour tout ce qui est beau, bon et vrai. La foi se fait ainsi l'avocat convaincu et convaincant de la raison.


Ecclesia philosophiae studiosa


L'intérêt de l'Eglise pour la philosophie


57. Magisterium, utcumque, in erroribus notandis doctrinisque philosophorum aberrantibus non se continuit. Pari cura praecipua principia ad germanam philosophicae cogitationis renovationem assequendam confirmavit, definita demonstrando etiam curricula, quae sunt tenenda. Hac in re, Leo PP. XIII, Litteris suis encyclicis Æterni Patris, vere historicae significationis fecit illam pro Ecclesiae vita progressionem. Id scriptum ad hoc usque tempus unum exstat documentum pontificium illius gradus, quod philosophiae totum dicatur. Concilii Vaticani I eximius ille Pontifex doctrinam de necessitudine inter fidem et rationem repetiit atque amplificavit, idemque philosophicas cogitationes fidei ac theologicae scientiae summo esse auxilio demonstravit.78 Uno plus post saeculo complura illius scripti indicia sive re sive paedagogico usu nihil amiserunt utilitatis; primum ex omnibus est id quod ad incomparabilem sancti Thomae philosophiae praestantiam spectat. Doctoris Angelici doctrina restituta Leoni PP. XIII optima videbatur semita ad illum philosophiae usum recuperandum, quem postulabat fides. Sanctus Thoma — scripsit ille — « rationem, ut par est, a fide apprime distinguens, utramque tamen amice consocians, utriusque tum iura conservavit, tum dignitati consuluit ».79|

57. En tout cas, le Magistère ne s'est pas limité seulement à relever les erreurs et les déviations des doctrines philosophiques. Avec une égale attention, il a voulu réaffirmer les principes fondamentaux pour un renouveau authentique de la pensée philosophique, indiquant aussi les voies concrètes à suivre. En ce sens, par son encyclique Æterni Patris, le Pape Léon XIII a accompli un pas d'une réelle portée historique pour la vie de l'Eglise. Jusqu'à ce jour, ce texte a été l'unique document pontifical de ce niveau consacré entièrement à la philosophie. Ce grand Pontife a repris et développé l'enseignement du Concile Vatican I sur les rapports entre la foi et la raison, montrant que la pensée philosophique est une contribution fondamentale pour la foi et pour la science théologique.78 A plus d'un siècle de distance, de nombreux éléments contenus dans ce texte n'ont rien perdu de leur intérêt du point de vue tant pratique que pédagogique; le premier entre tous est relatif à l'incomparable valeur de la philosophie de saint Thomas. Proposer à nouveau la pensée du Docteur angélique apparaissait au Pape Léon XIII comme la meilleure voie pour retrouver un usage de la philosophie conforme aux exigences de la foi. Saint Thomas, écrivait-il, « au moment même où, comme il convient, il distingue parfaitement la foi de la raison, les unit toutes deux par des liens d'amitié réciproque: il conserve à chacune ses droits propres et en sauvegarde la dignité ».79

58. Quae feliciter consecuta sit haec Pontificis invitatio omnes noverunt. Sancti Thomae de doctrina inquisitiones nec non aliorum scholasticorum auctorum novum impetum habuerunt. Historica studia valde excitata sunt et hanc ob rem mediaevalium philosophorum iterum sunt repertae divitiae, quae tunc temporis fere ignorabantur, atque novae Thomisticae scholae ortae sunt. Historica adhibita methodologia, sancti Thomae operum cognitio admodum progressa est atque innumeri fuerunt vestigatores qui animose in rerum philosophicarum theologicarumque disputationes illius aetatis thomisticam traditionem induxerunt. Catholici theologi huius saeculi auctoritate praestantiores, quorum cogitationibus et vestigationibus multum debet Concilium Oecumenicum Vaticanum II, huius renovationis philosophiae Thomisticae filii sunt. Ecclesia, saeculo vertente XX, valida philosophorum turma uti sic potuit, qui Angelici Doctoris in schola sunt instituti.|

58. On sait que cet appel pontifical a eu beaucoup d'heureuses conséquences. Les études sur la pensée de saint Thomas et des autres auteurs scolastiques en reçurent un nouvel élan. Les études historiques furent vigoureusement stimulées, avec pour corollaire la redécouverte des richesses de la pensée médiévale, jusqu'alors largement méconnues, et la constitution de nouvelles écoles thomistes. Avec l'utilisation de la méthodologie historique, la connaissance de l'œuvre de saint Thomas fit de grands progrès et nombreux furent les chercheurs qui introduisirent avec courage la tradition thomiste dans les discussions sur les problèmes philosophiques et théologiques de cette époque. Les théologiens catholiques les plus influents de ce siècle, à la réflexion et à la recherche desquels le Concile Vatican II doit beaucoup, sont fils de ce renouveau de la philosophie thomiste. Au cours du XXe siècle, l'Eglise a pu disposer ainsi d'un bon nombre de penseurs vigoureux, formés à l'école du Docteur angélique.

59. Thomistica utcumque et neothomistica renovatio, philosophicae repetitae cogitationis in cultura christianae indolis non fuit solum signum. Iam antea, atque una cum Leoniana invitatione, non pauci catholici philosophi exstiterant, qui recentioribus philosophantium cogitationibus innitentes, propria utentes methodologia, magnae auctoritatis duraturique momenti opera philosophica ediderant. Fuerunt qui sic altas summas composuerunt ut nihil ab his esset invidendum maximis idealismi commentis; alii porro ad fidem nova ratione tractandam, lumine praefulgente renovati intellectus conscientiae moralis, epistemologica fundamenta iecerunt; alii quandam induxerunt philosophiam quae, ab immanentia vestiganda sumpto initio, ad transcendentiam aditum reseravit; alii tandem in phaenomenologicae provinciam methodologiae fidei postulata inserere contenderunt. Diversis denique rationibus formae philosophicarum cogitationum sunt effectae, quae praeclaram christianae doctrinae traditionem in fidei rationisque unitate vitalem servaverunt.|

59. Quoi qu'il en soit, le renouveau thomiste et néothomiste n'a pas été l'unique signe de reprise de la pensée philosophique dans la culture d'inspiration chrétienne. Antérieurement déjà et parallèlement à l'invitation de Léon XIII, étaient apparus de nombreux philosophes catholiques qui, se rattachant à des courants de pensée plus récents, avaient produit des œuvres philosophiques de grande influence et de valeur durable, selon une méthodologie propre. Certains conçurent des synthèses d'une qualité telle qu'elles n'ont rien à envier aux grands systèmes de l'idéalisme; d'autres, en outre, posèrent les fondements épistémologiques pour une nouvelle approche de la foi à la lumière d'une compréhension renouvelée de la conscience morale; d'autres encore élaborèrent une philosophie qui, partant de l'analyse de l'immanence, ouvrait le chemin vers le transcendant; et d'autres, enfin, tentèrent de conjuguer les exigences de la foi dans la perspective de la méthodologie phénoménologique. En réalité, selon divers points de vue, on a continué à pratiquer des modèles de spéculation philosophique qui entendaient maintenir vivante la grande tradition de la pensée chrétienne dans l'unité de la foi et de la raison.

60. Concilium Oecumenicum Vaticanum II autem pro parte sua de philosophia locupletissimam ac fertilissimam exhibet doctrinam. Oblivisci non possumus, his potissimum consideratis Litteris Encyclicis, Constitutionis Gaudium et spes integrum quoddam caput anthropologiae biblicae esse quasi compendium, idemque exstare pro philosophia quoque consilii fontem. Illis in paginis de humanae personae valore agitur, quae ad imaginem Dei creata est, eius dignitatis et praestantiae prae ceteris creaturis ratio affertur atque eius rationis transcendens facultas ostenditur.80 Atheismi quoque quaestionem Gaudium et spes considerat et illius philosophicae opinationis errorum apposite afferuntur causae, non alienabili praesertim personae spectata dignitate ac libertate.81 Procul dubio altam philosophicam significationem habent illarum paginarum sententiae, quas Nos in Nostras primas Litteras Encyclicas Redemptor hominis rettulimus, quaeque veluti firmum quoddam constituunt ad quod Nostra doctrina costanter convertitur: « Reapse nonnisi in mysterio Verbi incarnati mysterium hominis vere clarescit. Adam enim, primus homo, erat figura futuri (Rom 5,14), scilicet Christi Domini. Christus, novissimus Adam, in ipsa revelatione mysterii Patris eiusque anoris, hominem ipsi homini plene manifestat eidemque altissimam eius vocationem patefacit ».82|

60. Pour sa part, le Concile œcuménique Vatican II présente un enseignement très riche et très fécond en ce qui concerne la philosophie. Je ne peux oublier, surtout dans le contexte de cette Encyclique, qu'un chapitre entier de la Constitution Gaudium et spes donne en quelque sorte un condensé d'anthropologie biblique, source d'inspiration aussi pour la philosophie. Dans ces pages, il s'agit de la valeur de la personne humaine, créée à l'image de Dieu; on y montre sa dignité et sa supériorité sur le reste de la création et on y fait apparaître la capacité transcendante de sa raison.80 Le problème de l'athéisme est aussi abordé dans Gaudium et spes et les erreurs de cette vision philosophique sont bien cernées, surtout face à l'inaliénable dignité de la personne humaine et de sa liberté. 81 L'expression culminante de ces pages revêt assurément une profonde signification philosophique; je l'ai reprise dans ma première encyclique Redemptor hominis; elle constitue un des points de référence constants de mon enseignement: « En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. En effet, Adam, le premier homme, était la figure de l'homme à venir, c'est-à-dire du Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui dévoile sa plus haute vocation ».82

Concilium de philosophia quoque discenda tractavit, cui ad sacerdotium candidati operam dare debent; quae cohortationes in universum sunt ad christianam totam institutionem convertendae. Affirmat enim Concilium: « Philosophicae disciplinae ita tradantur ut alumni imprimis ad solidam et cohaerentem hominis, mundi et Dei cognitionem acquirendam manuducantur, innixi patrimonio philosophico perenniter valido, ratione quoque habita philosophicarum investigationum progredientis aetatis ».83|

Le Concile s'est aussi préoccupé de l'enseignement de la philosophie, à l'étude de laquelle doivent se consacrer les candidats au sacerdoce; ce sont des recommandations qui peuvent s'étendre plus généralement à l'enseignement chrétien dans son ensemble. Le Concile déclare: « Les disciplines philosophiques seront enseignées de telle façon que les séminaristes soient amenés en premier lieu à acquérir une connaissance solide et cohérente de l'homme, du monde et de Dieu, en s'appuyant sur le patrimoine philosophique toujours valable, en tenant compte également des recherches philosophiques plus récentes ».83

Haec praecepta etiam atque etiam sunt confirmata nec non in aliis Magisterii documentis explicata, ut solida philosophica institutio praestetur, iis praesertim qui ad theologicas disciplinas se comparant. Ipsi autem saepenumero huius institutionis pondus ostentavimus iis qui, in pastorali vita, aliquando cum hodierni mundi necessitatibus contendere et causas aliquorum morum intellegere debebunt, prompta responsa daturi.84|

Ces directives ont été à plusieurs reprises réaffirmées et explicitées dans d'autres documents du Magistère, dans le but de garantir une solide formation philosophique, surtout à ceux qui se préparent aux études théologiques. Pour ma part, j'ai plusieurs fois souligné l'importance de cette formation philosophique pour ceux qui devront un jour, dans la vie pastorale, être affrontés aux réalités du monde contemporain et saisir les causes de certains comportements pour y répondre aisément.84

61. Si quidem compluribus temporibus necesse habuimus hanc questionem iterum attingere, cogitationum Doctoris Angelici vim confirmavimus atque ut eius philosophia comprehenderetur institimus, id ex eo ortum est quod Magisterii praescripta haud semper optanda animi promptitudine servata sunt. In catholicis scholis multis, annis post Concilium Oecumenicum Vaticanum II finitum, huius rei quaedam visa est hebetatio propterea quod minoris aestimata est non modo philosophia scholastica, verum etiam in universum tota philosophica disciplina. Mirantes ac dolentes animadvertimus haud paucos theologos esse participes huius neglegentiae philosophicae disciplinae.|

61. Si, en diverses circonstances, il a été nécessaire d'intervenir sur ce thème, en réaffirmant aussi la valeur des intuitions du Docteur Angélique et en insistant sur l'assimilation de sa pensée, cela a souvent été lié au fait que les directives du Magistère n'ont pas toujours été observées avec la disponibilité souhaitée. Dans beaucoup d'écoles catholiques, au cours des années qui suivirent le Concile Vatican II, on a pu remarquer à ce sujet un certain étiolement dû à une estime moindre, non seulement de la philosophie scolastique, mais plus généralement de l'étude même de la philosophie. Avec étonnement et à regret, je dois constater qu'un certain nombre de théologiens partagent ce désintérêt pour l'étude de la philosophie.

Diversae numerantur rationes quae alienae huic voluntati subsunt. Diffidentia de ratione apprime est referenda, quam huius aetatis philosophia magnam partem ostendit, quippe quae metaphysicam de ultimis hominis quaestionibus inquisitionem late deserat, ut proprium studium in peculiaria regionaliaque negotia convertatur, quae nonnumquam mere sunt formalia. Huic rei praeterea accedit erratum iudicium quod circa praesertim « scientias humanas » exstitit. Concilium Oecumenicum Vaticanum II saepe probandum pondus scientificae inquisitionis confirmavit, ut hominis mysterium altius intellegeretur.85 Si quidem theologi ad has scientias cognoscendas easdemque recte in suis inquisitionibus adhibendas invitantur, id tamen intellegi non debet ipsis implicite dari potestatem philosophiam segregandi vel amovendi in pastorali institutione ac « fidei praeparatione ». Oblivisci denique non potest in fidei inculturationem reciperatum studium. Vita praesertim novensilium Ecclesiarum effecit ut, una cum praeclaris cogitationis formis, intellegeretur compluras inesse popularis sapientiae manifestationes, quae verum patrimonum culturae et traditionum constituunt. Harum tamen consuetudinum inquisitio una cum philosophiae vestigatione procedere debet. Haec ipsa sinet ut probanda popularis sapientiae lineamenta exsistant, dum necessario illa cum Evangelio enuntiando coniungit.86|

Les raisons qui sont à l'origine de cette désaffection sont diverses. En premier lieu, il faut prendre en compte la défiance à l'égard de la raison que manifeste une grande partie de la philosophie contemporaine, abandonnant largement la recherche métaphysique sur les questions ultimes de l'homme, pour concentrer son attention sur des problèmes particuliers et régionaux, parfois même purement formels. En outre, il faut ajouter le malentendu qui est intervenu surtout par rapport aux « sciences humaines ». Le Concile Vatican II a plus d'une fois rappelé la valeur positive de la recherche scientifique en vue d'une connaissance plus profonde du mystère de l'homme.85 L'invitation faite aux théologiens, afin qu'ils connaissent ces sciences et, en l'occurrence, les appliquent correctement dans leurs recherches, ne doit pas, néanmoins, être interprétée comme une autorisation implicite à tenir la philosophie à l'écart ou à la remplacer dans la formation pastorale et dans la præparatio fidei. On ne peut oublier enfin l'intérêt retrouvé pour l'inculturation de la foi. De manière particulière, la vie des jeunes Eglises a permis de découvrir non seulement des formes élaborées de pensée, mais encore l'existence d'expressions multiples de sagesse populaire. Cela constitue un réel patrimoine de cultures et de traditions. Cependant, l'étude des usages traditionnels doit aller de pair avec la recherche philosophique. Cette dernière permettra de faire ressortir les traits positifs de la sagesse populaire, créant les liens nécessaires entre eux et l'annonce de l'Évangile.86

62. Firmiter confirmare placet philosophiae disciplinam praecipuum habere momentum quod abstrahi non potest in studiorum theologicorum ratione et in alumnorum apud Seminaria institutione. Haud igitur inconsiderate studiorum theologicorum curriculum antecedat temporis quoddam spatium, quo peculiare philosophiae ediscendae praevideatur opus. Electio haec, quam Concilium Lateranense V confirmavit, 87 in experientia radices agit quam Media Aetas est adepta, cum convenientia inter philosophicam et theologicam disciplinam conspicuum obtinuit locum et momentum. Haec studiorum ratio affecit, iuvit et curavit, quamvis oblique, maximam partem promotionis recentioris philosophiae. Conspicuum exemplum exhibet beneficium, quod contulerunt Francisci Suarez Disputationes metaphysicae, quae etiam in Studiorum Universitatibus Germaniae Luteranis reperiebantur. Haec autem methologia relicta sive in sacerdotali institutione sive in theologica inquisitione grave detrimentum attulit. Conspiciatur, exempli gratia, cogitationis et hodiernae culturae indiligentia, quae effecit ut omnes dialogi formae tollerentur vel omnes philosophiae sine iudicio susciperentur.|

62. Je désire rappeler avec force que l'étude de la philosophie revêt un caractère fondamental et qu'on ne peut l'éliminer de la structure des études théologiques et de la formation des candidats au sacerdoce. Ce n'est pas un hasard si le curriculum des études théologiques est précédé par un temps au cours duquel il est prévu de se consacrer spécialement à l'étude de la philosophie. Ce choix, confirmé par le Concile du Latran V, 87 s'enracine dans l'expérience qui a mûri durant le Moyen-Âge, lorsque a été mise en évidence l'importance d'une construction harmonieuse entre le savoir philosophique et le savoir théologique. Cette organisation des études a influencé, facilité et stimulé, même si c'est de manière indirecte, une bonne partie du développement de la philosophie moderne. On en a un exemple significatif dans l'influence exercée par les Disputationes metaphysicæ de Francisco Suárez, qui trouvaient leur place même dans les universités luthériennes allemandes. A l'inverse, l'absence de cette méthodologie fut la cause de graves carences dans la formation sacerdotale comme dans la recherche théologique. Il suffit de penser, par exemple, au manque d'attention envers la réflexion et la culture modernes, qui a conduit à se fermer à toute forme de dialogue ou à l'acceptation indifférenciée de toute philosophie.

Magna Nos tenet spes has difficultates sublatum iri, prudenti intercedente philosophica et theologica institutione, quae numquam in Ecclesia desinere debet.|

J'espère vivement que ces difficultés seront dépassées par une formation philosophique et théologique intelligente, qui ne doit jamais être absente dans l'Église.

63. Has propter rationes, Nobis visum est instantem esse rem, his Nostris Litteris Encyclicis, acre studium confirmare, quod philosophiae tribuit Ecclesia; immo artam coniunctionem, qua theologicum opus et philosophica inquisitio nenctuntur. Inde Magisterii officium oritur philosophicam scientiam discernendi et concitandi, quae fidei minime aversetur. Nostrum est quaedam principia et indicia exhibere, quae necessaria arbitramur, ut ordinata necessitudo et efficax inter theologiam et philosophiam instituatur. Eorum sub lumine clarius iudicari poterit an qualemve necessitudinem cum diversis philosophicis scholis opinationibusque instituere debeat theologia, quas hodiernus mundus exhibet.|

63. En vertu des motifs déjà exprimés, il m'a semblé urgent de rappeler par cette Encyclique le grand intérêt que l'Eglise accorde à la philosophie; et plus encore le lien profond qui unit le travail théologique à la recherche philosophique de la vérité. De là découle le devoir qu'a le Magistère d'indiquer et de stimuler un mode de pensée philosophique qui ne soit pas en dissonance avec la foi. Il m'incombe de proposer certains principes et certains points de référence que je considère comme nécessaires pour pouvoir instaurer une relation harmonieuse et effective entre la théologie et la philosophie. A leur lumière, il sera possible de préciser plus clairement les relations que la théologie doit entretenir avec les divers systèmes ou assertions philosophiques proposés dans le monde actuel, et de quel type de relations il s'agit.


CAPUT VI - MUTUA INTER THEOLOGIAM ET PHILOSOPHIAM ACTIO


CHAPITRE VI - INTERACTION ENTRE LA THÉOLOGIE ET LA PHILOSOPHIE



Fidei scientia atque philosophicae rationis postulata


La science de la foi et les exigences de la raison philosophique


64. Dei verbum singulis hominibus omni tempore et in omnibus terrarum orbis locis destinatur; et homo est naturaliter philosophus. Theologia autem, quatenus repercussa et scientifica elaboratio intellectus huius verbi sub fidei lumine, seu quasdam suas propter rationes seu ad peculiaria munia obeunda facere non potest quin necessitudinem cum philosophicis scholis instituat, quae reapse annorum decursu invaluerunt. Peculiaribus methodologiis theologis haud significatis, quod quidem ad Magisterium non pertinet, quaedam munia theologiae propria memorare potius volumus, in quibus ad philosophicas cogitationes ipsam propter naturam revelati Verbi est decurrendum.|

64. La parole de Dieu s'adresse à tout homme, en tout temps et sur toute la terre; et l'homme est naturellement philosophe. Pour sa part, la théologie, en tant qu'élaboration réflexive et scientifique de l'intelligence de cette parole à la lumière de la foi, ne peut pas s'abstenir d'entrer en relation avec les philosophies élaborées effectivement tout au long de l'histoire, pour certains de ses développements comme pour l'accomplissement de ses tâches spécifiques. Sans vouloir indiquer aux théologiens des méthodologies particulières, ce qui ne revient pas au Magistère, je désire plutôt évoquer certaines tâches propres à la théologie, dans lesquelles le recours à la pensée philosophique s'impose en vertu de la nature même de la Parole révélée.

65. Theologia veluti scientia fidei ordinatur duobus statutis principiis methodologicis, quae sunt: auditus fidei et intellectus fidei. Altero principio ipsa Revelationis depositum obtinet, quemadmodum id pedetemptim collustraverunt Sacra Traditio, Sacrae Litterae et vivum Ecclesiae Magisterium.88 Altero, theologia cogitationis postulatis respondere vult per speculativam ratiocinationem.|

65. La théologie s'organise comme la science de la foi, à la lumière d'un double principe méthodologique: l'auditus fidei et l'intellectus fidei. Selon le premier principe, elle s'approprie le contenu de la Révélation de la manière dont il s'est progressivement développé dans la sainte Tradition, dans les saintes Ecritures et dans le Magistère vivant de l'Eglise.88 Par le second, la théologie veut répondre aux exigences spécifiques de la pensée, en recourant à la réflexion spéculative.

De congrua auditus fidei comparatione, philosophia theologiae suam peculiarem affert opem cum cognitionis personalisque communicationis structuram considerat atque nominatim varias species et officia loquelae. Aequum pariter est pondus quod confert philosophia ut ecclesialis Traditio, Magisterii effata nec non eximiorum theologiae magistrorum sententiae aptius intellegantur: hi enim mentem suam patefaciunt saepe per cogitata formasque cogitationis, quae a certa quadam philosophica traditione mutuo suscipiuntur. Hac in re theologus rogatur ut non modo significet notiones vocabulaque, quibus Ecclesia cogitat suamque docrinam definit, verum etiam ut penitus philosophicas opinationes intellegat quae forte tam notiones quam nomina affecerint, ut ad rectas congruasque significationes perveniatur.|

En ce qui concerne la préparation à un auditus fidei correct, la philosophie apporte sa contribution originale à la théologie lorsqu'elle considère la structure de la connaissance et de la communication personnelle et, en particulier, les formes et les fonctions variées du langage. Pour une compréhension plus cohérente de la Tradition ecclésiale, des énoncés du Magistère et des sentences des grands maîtres de la théologie, l'apport de la philosophie est tout aussi important: ces différents éléments en effet s'expriment souvent avec des concepts et sous des formes de pensée empruntés à une tradition philosophique déterminée. Dans ce cas, le théologien doit non seulement exposer des concepts et des termes avec lesquels l'Église pense et élabore son enseignement, mais, pour parvenir à des interprétations correctes et cohérentes, il doit aussi connaître en profondeur les systèmes philosophiques qui ont éventuellement influencé les notions et la terminologie.

66. Si vero intellectus fidei ponderatur, animadvertendum est apprime divinam Veritatem « propositam nobis in Scripturis Sacris secundum doctrinam Ecclesiae intellectis » 89 propria fruere intellegibilitate tam logice congruenti ut proponatur veluti germana sapientia. Intellectus fidei hanc veritatem clarius recludit, non modo logicas intellectivasque structuras percipiens enuntiationum quibus Ecclesiae doctrina componitur, verum etiam, et in primis, salutis sensum extollens quam tales enuntiationes pro singulis et pro humanitate continent. Per has nimirum enuntiationes simul sumptas fidelis ad salutis historiam cognoscendam pervenit, cuius fastigium in persona Christi eiusdemque paschali mysterio reperitur. Fidei assentiendo fit ipse huius mysterii particeps.|

66. En ce qui concerne l'intellectus fidei, on doit considérer avant tout que la vérité divine, « qui nous est proposée dans les Ecritures sainement comprises selon l'enseignement de l'Eglise », 89 jouit d'une intelligibilité propre, avec une cohérence logique telle qu'elle se propose comme un authentique savoir. L'intellectus fidei explicite cette vérité, non seulement en saisissant les structures logiques et conceptuelles des propositions sur lesquelles s'articule l'enseignement de l'Eglise, mais aussi, et avant tout, en faisant apparaître la signification salvifique que de telles propositions contiennent pour les personnes et pour l'humanité. A partir de l'ensemble de ces propositions, le croyant parvient à la connaissance de l'histoire du salut, qui culmine dans la personne de Jésus Christ et dans son mystère pascal. Il participe à ce mystère par son assentiment de foi.

Theologia dogmatica, ex parte sua, facultatem possidere debet adipiscendi universalem sensum mysterii Dei Unius et Trini atque oeconomiae salutis simul per rationem narrationis, simul, potissimum per formam ratiocinationis. Id efficere debet, profecto, intellectivis adhibitis notionibus quae critico iudicio effinguntur cum omnibus communicabili. Etenim absque philosophiae adiumento res theologicae illustrari non possunt, quales exempli gratia, sermo de Deo, personales intra Trinitatem relationes, actio Dei in mundo creantis, necessitudo inter Deum et hominem, Christi identitas qui est verus Deus et verus homo. Idem in diversis theologiae moralis argumentis viget, ubi quaedam notiones immediate usurpantur, veluti lex moralis, conscientia, libertas, personalis responsalitas, culpa, et similia, quae ad philosophicae ethicae rationem definiuntur.|

Pour sa part, la théologie dogmatique doit être en mesure d'articuler le sens universel du mystère de Dieu, Un et Trine, et de l'économie du salut, soit de manière narrative, soit avant tout sous forme d'argumentation. Elle doit le faire à travers des développements conceptuels, formulés de manière critique et universellement communicables. Sans l'apport de la philosophie en effet, on ne pourrait illustrer des thèmes théologiques comme, par exemple, le langage sur Dieu, les relations personnelles à l'intérieur de la Trinité, l'action créatrice de Dieu dans le monde, le rapport entre Dieu et l'homme, l'identité du Christ, vrai Dieu et vrai homme. Les mêmes considérations valent pour divers thèmes de la théologie morale, pour laquelle est immédiat le recours à des concepts comme loi morale, conscience, liberté, responsabilité personnelle, faute, etc..., qui se définissent au niveau de l'éthique philosophique.

Necesse est ideo ut fidelis ratio naturalem habeat, veram congruentemque cognitionem de rebus creatis, de mundo et de homine, quas res etiam revelatio divina tractat; magis etiam, ipsa facultatem habere debet moderandi hanc cognitionem per modum intellectionis et argumentationis. Quapropter theologia dogmatica speculativa praesumit et complectitur philosophiam hominis, mundi atque, altius, ipsius « esse », quae quidem in obiectiva veritate innititur.|

Il est donc nécessaire que la raison du croyant ait une connaissance naturelle, vraie et cohérente des choses créées, du monde et de l'homme, qui sont aussi l'objet de la révélation divine; plus encore, la raison doit être en mesure d'articuler cette connaissance de manière conceptuelle et sous forme d'argumentation. Par conséquent, la théologie dogmatique spéculative présuppose et implique une philosophie de l'homme, du monde et plus radicalement de l'être, fondée sur la vérité objective.

67. Theologia fundamentalis, suam propter disciplinae indolem quae officium sustinet rationem fidei reddendi (cfr 1 Pt 3,15), munus in se recipere debebit comprobandi et enodandi necessitudinem inter fidem et philosophicam scientiam. Concilium iam Vaticanum I, doctrinam resumens Pauli (cfr Rom 1,19-20), in id iam animos converterat, quasdam scilicet exstare veritates quae naturaliter, ideoque phlosophice, cognosci possunt. Earum cognitio necessario anteponitur ad Dei revelationem suscipiendam. In revelatione eiusque credibilitate vestiganda una cum consentaneo fidei actu, theologia fundamentalis demonstrare debet, sub cognitionis per fidem lumine, quasdam eminere veritates, quas iam ratio suo in autonomo vestigationis itinere percipit. Iisdem plenitudinis sensum tribuit Revelatio, dum eas ad divitias dirigit mysterii revelati, in quo ultimum finem reperiunt. Cogitetur, exempli gratia, de naturali Dei cognitione, de facultate divinam revelationem ab aliis phaenomenis secernendi vel de eius credibilitate agnoscenda, de humana loquela habili, facta ad loquendum significanti veroque modo de illis etiam rebus, quae humanam experientiam praegrediuntur. Omnibus ex his veritatibus mens ducitur ad exsistentiam agnoscendam cuiusdam viae quae est fidei reapse praeparatoria, quae in revelationem accipiendam recidere potest, propriis principiis propriaque autononia haud declinatis.90|

67. En vertu de son caractère propre de discipline qui a pour tâche de rendre compte de la foi (cf. 1 P 3, 15), la théologie fondamentale devra s'employer à justifier et à expliciter la relation entre la foi et la réflexion philosophique. Reprenant l'enseignement de saint Paul (cf. Rm 1, 19-20), le Concile Vatican I avait déjà attiré l'attention sur le fait qu'il existe des vérités naturellement et donc philosophiquement connaissables. Leur connaissance constitue un présupposé nécessaire pour accueillir la révélation de Dieu. En étudiant la Révélation et sa crédibilité conjointement à l'acte de foi correspondant, la théologie fondamentale devra montrer comment, à la lumière de la connaissance par la foi, apparaissent certaines vérités que la raison saisit déjà dans sa démarche autonome de recherche. La Révélation confère à ces vérités une plénitude de sens, en les orientant vers la richesse du mystère révélé, dans lequel elles trouvent leur fin ultime. Il suffit de penser par exemple à la connaissance naturelle de Dieu, à la possibilité de distinguer la révélation divine d'autres phénomènes ou à la reconnaissance de sa crédibilité, à l'aptitude du langage humain à exprimer de manière significative et vraie même ce qui dépasse toute expérience humaine. A travers toutes ces vérités, l'esprit est conduit à reconnaître l'existence d'une voie réellement propédeutique de la foi, qui peut aboutir à l'accueil de la Révélation, sans s'opposer en rien à ses principes propres et à son autonomie spécifique.90

Simili modo theologia fundamentalis intimam convenientiam ostendere debebit inter fidem eiusque praecipuam necessitatem sese explicandi per rationem, quae maxima cum libertate consentire potest. Fides poterit hoc modo « iter plene demonstrare rationi illi, quae sincere veritatem requirit. Sic fides, Dei donum, quamvis ratione haudquaquam innitatur, nullo pacto ea carere potest; similiter exstat necessitas, ut ratio ex fide vim sumat, novosque fines consequatur, ad quos sola pervenire non potest ».91|

De la même manière, la théologie fondamentale devra démontrer la compatibilité profonde entre la foi et son exigence essentielle de l'explicitation au moyen de la raison, en vue de donner son propre assentiment en pleine liberté. Ainsi, la foi saura « montrer en plénitude la voie à une raison qui recherche sincèrement la vérité. Ainsi, la foi, don de Dieu, tout en ne se fondant pas sur la raison, ne peut certainement pas se passer de cette dernière. En même temps, apparaît le besoin que la raison se fortifie par la foi, afin de découvrir les horizons auxquels elle ne pourrait parvenir d'elle-même ».91

68. Theologia moralis fortasse etiam maiore indiget philosophiae auxilio. In Novo Foedere enim humana vita multo minus temperatur quam in Vetere Testamento. Vita in Spiritu fideles ducit ad libertatem responsalitatemque quae ipsam Legem transgrediuntur. Evangelium utcumque et apostolica scripta sive universalia christiane agendi principia ministrant sive doctrinam praeceptaque singularia. Ut eadem peculiaribus vitae individualis et socialis condicionibus accommodentur, oportet Christianus suam conscientiam funditus obstringere possit suique ratiocinii vim. Aliis verbis, id requirit ut theologia moralis recto philosophico prospectu utatur sive quod ad naturam humanam societatemque spectat sive quod ad ethicae deliberationis principia universalia.|

68. La théologie morale a peut-être un besoin encore plus grand de l'apport philosophique. En effet, dans la Nouvelle Alliance, la vie humaine est beaucoup moins réglée par des prescriptions que dans l'Ancienne Alliance. La vie dans l'Esprit conduit les croyants à une liberté et à une responsabilité qui vont au-delà de la Loi elle-même. L'Evangile et les écrits apostoliques proposent cependant soit des principes généraux de conduite chrétienne, soit des enseignements et des préceptes ponctuels. Pour les appliquer aux circonstances particulières de la vie individuelle et sociale, le chrétien doit être en mesure d'engager à fond sa conscience et la puissance de son raisonnement. En d'autres termes, cela signifie que la théologie morale doit recourir à une conception philosophique correcte tant de la nature humaine et de la société que des principes généraux d'une décision éthique.

69. Quispiam fortasse obiciat in praesenti condicione theologo esse deveniendum ut opem recipiat, potius quam a philosophia, ab aliis humanae scientiae formis quae sunt historia ac potissimum scientiae, quarum omnes homines singulares mirantur recentiores progressus. Alii autem, post auctum de necessitudine inter fidem et culturam sensum, affirmant theologiam esse convertendam potius ad translaticias sapientias quam ad philosophiam quae ex Graecia orta est quaeque Eurocentrica dicitur. Alii denique, initium ex falsa culturarum pluralismi opinatione sumentes, universale plane respuunt patrimonii philosophici bonum, quod recepit Ecclesia.|

69. On peut sans doute objecter que, dans la situation actuelle, plutôt qu'à la philosophie, le théologien devrait recourir à d'autres formes de savoir humain, telles l'histoire et surtout les sciences, dont tous admirent les récents et extraordinaires développements. D'autres personnes, en fonction d'une sensibilité croissante à la relation entre la foi et la culture, soutiennent que la théologie devrait se tourner plus vers les sagesses traditionnelles que vers une philosophie d'origine grecque et eurocentrique. D'autres encore, à partir d'une conception erronée du pluralisme des cultures, vont jusqu'à nier la valeur universelle du patrimoine philosophique accueilli par l'Eglise.

Hae aestimationes, quae ceterum in conciliari doctrina reperiuntur, 92 aliquam veritatem prae se ferunt. Eo quod ratio fit ad scientias, quae ratio compluribus in casibus utilis est quandoquidem pleniorem de obiecto vestigando cognitionem praebet, necessaria tamen non est obliviscenda pars quam agit cogitatio proprie philosophica, critica et in universalem rem vergens, quae ceterum a feraci culturarum permutatione requiritur. Illud proprie confirmare cupimus in uno certoque casu non esse consistendum, princeps munus neglegendo, ostendendi videlicet universalem indolem obiecti fidei. Hoc praeterea non est obliviscendum: quod philosophica cogitatio peculiariter confert, intellegere sinit tum in diversis vitae opinationibus tum in culturis, « non quid homines senserint, sed qualiter se habeat veritas rerum ». 93 Non variae hominum opiniones, sed veritas dumtaxat theologiae opitulari potest.|

Les éléments précédemment soulignés, déjà présentés d'ailleurs dans l'enseignement conciliaire, 92 contiennent une part de vérité. La référence aux sciences, utile dans de nombreuses circonstances parce qu'elle permet une connaissance plus complète de l'objet d'étude, ne doit cependant pas faire oublier la médiation nécessaire d'une réflexion typiquement philosophique, critique et à visée universelle, requise du reste par un échange fécond entre les cultures. Je tiens à souligner le devoir de ne pas s'arrêter aux aspects singuliers et concrets, en négligeant la tâche première qui consiste à manifester le caractère universel du contenu de la foi. On ne doit pas oublier en outre que l'apport particulier de la pensée philosophique permet de discerner, dans les diverses conceptions de la vie comme dans les cultures, « non pas ce que les hommes pensent, mais quelle est la vérité objective ».93 Ce ne sont pas les opinions humaines dans leur diversité qui peuvent être utiles à la théologie, mais seulement la vérité.

70. Peculiariter autem est ponderandum argumentum, quod convenientiam tangit inter culturas, etiamsi necessario de ea re penitus non edisseratur, propter implicationes quae inde sive in re philosophica sive in re theologica oriuntur. Quod Ecclesia convenit culturas et cum iisdem contendit, id usque ab Evangelii praedicati initio experta est Ecclesia. Christi praeceptum discipulis datum lustrandi omnia loca, « usque ad ultimum terrae » (Act 1,8), ut ab Eo revelata Veritas transmitteretur, copiam communitati christianae dedit probandi continuo nuntii universalitatem atque impedimenta ex culturarum diversitate inducta. Locus epistulae sancti Pauli ad Ephesios efficacem opem fert, ut intellegatur quemadmodum primaeva christiana communitas hoc negotium egerit. Apostolus scribit: « Nunc autem in Christo Iesu vos, qui aliquando eratis longe, facti estis prope in sanguine Christi. Ipse est enim pax nostra, qui fecit utraque unum et medium parietem maceriae solvit » (2,13-14).|

70. Le thème de la relation avec les cultures mérite ensuite une réflexion spécifique, même si elle n'est pas nécessairement exhaustive, pour les implications qui en découlent du point de vue philosophique et du point de vue théologique. Le processus de rencontre et de confrontation avec les cultures est une expérience que l'Eglise a vécue depuis les origines de la prédication de l'Evangile. Le commandement du Christ à ses disciples d'aller en tous lieux, « jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8), pour transmettre la vérité révélée par lui, a mis la communauté chrétienne en état de vérifier très rapidement l'universalité de l'annonce et les obstacles qui découlent de la diversité des cultures. Un passage de la lettre de saint Paul aux chrétiens d'Ephèse donne un bon éclairage pour comprendre comment la communauté primitive a abordé ce problème. L'Apôtre écrit: « Or voici qu'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un seul, détruisant la barrière qui les séparait » (2, 13-14).

Eiusmodi scripto ob oculos habito, nostra cogitatio latius panditur et mutationem attingit quae facta est postquam Gentiles ad fidem pervenerunt. Pro divitiis salutis, quam Christus attulit, decidunt impedimenta quae varias culturas dissociant. Dei repromissio in Christo fit nunc donatio universalis: non amplius circumscripta cuiusdam populi proprietatibus, eius sermone et moribus, sed cunctis destinatur ut patrimonium ex quo quisque haurire libere potest. Locis ex diversis ac consuetudinibus omnes in Christo ad unitatem participandam familiae filiorum Dei vocantur. Christus ipse sinit ut duo populi « unum » sint. Qui erant « longinqui », novitatis beneficio quam paschale mysterium attulit « proximi » fiunt. Iesus divisionis parietes diruit et peculiari consummatoque modo per participationem sui mysterii unitatem efficit. Haec unitas tam est alta ut cum sancto Paolo effari possit Ecclesia: « Ergo iam non estis extranei et advenae, sed estis concives sanctorum et domestici Dei » (Eph 2,19).|

A la lumière de ce texte, notre réflexion s'élargit à la transformation qui s'est produite chez les Gentils, lorsqu'ils ont accédé à la foi. Devant la richesse du salut opéré par le Christ, les barrières qui séparaient les diverses cultures tombent. La promesse de Dieu dans le Christ devient maintenant un don universel: elle n'est plus limitée à la particularité d'un peuple, de sa langue et de ses usages, mais elle est étendue à tous, comme un patrimoine dans lequel chacun peut puiser librement. Des divers lieux et des différentes traditions, tous sont appelés dans le Christ à participer à l'unité de la famille des fils de Dieu. C'est le Christ qui permet aux deux peuples de devenir « un ». Ceux qui étaient « les lointains » deviennent « les proches », grâce à la nouveauté accomplie par le mystère pascal. Jésus abat les murs de division et réalise l'unification de manière originale et suprême, par la participation à son mystère. Cette unité est tellement profonde que l'Eglise peut dire avec saint Paul: « Vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu » (Ep 2, 19).

Hac tam simplici enuntiatione luculenta veritas significatur: fidei concursus cum diversis culturis reapse effecit novam rem. Culturae, cum altius radices in natura humana agunt, testimonium secum ferunt illius apertionis ad universalitatem et transcendentiam quae propria est hominis. Ipsae ideo exhibent diversas ad veritatem accessiones, quae perutiles sunt homini, cui valores praebent qui magis magisque humanam reddere valent eius exsistentiam.94 Eo quod culturae antiquarum consuetudinum repetunt valores, ipsae secum ferunt — etiamsi implicite, sed hanc propter rationem haud minus vere — indicium, quod remittit ad Deum in natura sese manifestantem, sicut antea demonstratum est cum de sapientialibus scriptis et de sancti Pauli doctrina sermo factus est.|

Par une mention aussi simple, une grande vérité est décrite: la rencontre de la foi avec les différentes cultures a donné naissance de fait à une nouvelle réalité. Lorsqu'elles sont profondément enracinées dans l'humain, les cultures portent en elles le témoignage de l'ouverture spécifique de l'homme à l'universel et à la transcendance. Elles présentent toutefois des approches diverses de la vérité, qui se révèlent d'une indubitable utilité pour l'homme, auquel elles donnent des valeurs capables de rendre son existence toujours plus humaine.94 Du fait que les cultures se réfèrent aux valeurs des traditions antiques, elles sont par elles-mêmes — sans doute de manière implicite, mais non pour autant moins réelle — liées à la manifestation de Dieu dans la nature, comme on l'a vu précédemment en parlant des textes sapientiaux et de l'enseignement de saint Paul.

71. Culturae, quippe quae cum hominibus eorumque historia arte coniungantur, eosdem communicant cursus ad quos humanum tempus manifestatur. Immutationes ideo progressionesque recensentur, inductae a congressionibus quas homines inter se convenientes effecerunt quasque mutuae communicationes eorum vitae exemplarium pepererunt. Culturae aluntur bonorum communicatione, earumque vis vitalis ac diuturnitas pendent ex facultate patendi novitatibus suscipiendis. Quomodo hi motus explicantur? Quisque homo in quadam cultura illigatur, ex ea pendet, eandemque magnopere afficit. Ipse est simul filius perinde ac pater culturae in qua defigitur. In omnibus vitae significationibus, is aliquid secum comportat quod eum inter creaturas denotat: id est, duratura ad mysterium apertio eiusque inexplebile cognitionis desiderium. Quapropter unaquaeque cultura habet in se et patefacit inustam intentionem in aliquam consummationem. Itaque dici potest culturam habere in se facultatem suscipiendi divinam revelationem.|

71. Etant en relation étroite avec les hommes et avec leur histoire, les cultures partagent les dynamismes mêmes selon lesquels le temps humain s'exprime. On enregistre par conséquent des transformations et des progrès dus aux rencontres que les hommes développent et aux échanges qu'ils réalisent réciproquement dans leurs modes de vie. Les cultures se nourrissent de la communication des valeurs; leur vitalité et leur subsistance sont données par leur capacité de rester accueillantes à la nouveauté. Quelle est l'explication de ces dynamismes? Situé dans une culture, tout homme dépend d'elle et influe sur elle. L'homme est à la fois fils et père de la culture dans laquelle il est immergé. Dans chacune des expressions de sa vie, il porte en lui quelque chose qui le caractérise au milieu de la création: son ouverture constante au mystère et son désir inextinguible de connaissance. Par conséquent, chaque culture porte imprimée en elle et laisse transparaître la tension vers un accomplissement. On peut donc dire que la culture a en elle la possibilité d'accueillir la révélation divine.

Ratio ipsa, secundum quam Christiani suam fidem experiuntur, cultura imbuitur illius loci qui proximus est et efficit vicissim ut eiusdem natura procedente tempore effingatur. Unicuique culturae Christiani immutabilem Dei veritatem praebent, quam Ipse in populi historia et cultura revelavit. Saeculorum sic decursu ille repetitur eventus cuius testes fuerunt peregrini qui die illo Pentecostes Hierosolymis adstabant. Cum Apostolos audivissent, rogaverunt: « Nonne ecce omnes isti, qui loquuntur, Galilaei sunt? Et quomodo nos audimus unusquisque propria lingua nostra, in qua nati sumus? Parthi et Medi et Elamitae, et qui habitant Mesopotamiam, Iudaeam quoque et Cappadociam, Pontum et Asiam, Phrygiam quoque et Pamphyliam, Aegyptum et partes Libyae, quae est circa Cyrenem, et advenae Romani, Iudaei quoque et proselyti, Cretes et Arabes, audimus loquentes eos nostris linguis magnalia Dei » (Act 2,7-11). Evangelium diversis in culturis enuntiatum, dum a singulis quibus destinatur fidei adhaesionem requirit, non impedit quominus ii suam culturalem proprietatem retineant. Id nullam discretionem gignit, quandoquidem baptizatorum populus illa universalitate distinguitur, quae omnes humanos cultus recipit, progressum iuvando illius rei quae in ea implicatur, ad plenam in veritate explicationem consequendam.|

La manière dont les chrétiens vivent leur foi est, elle aussi, imprégnée par la culture du milieu ambiant et elle contribue, à son tour, à en modeler progressivement les caractéristiques. A toute culture, les chrétiens apportent la vérité immuable de Dieu, révélée par Lui dans l'histoire et dans la culture d'un peuple. Au long des siècles, l'événement dont furent témoins les pèlerins présents à Jérusalem au jour de la Pentecôte continue ainsi à se reproduire. Ecoutant les Apôtres, ils se demandaient: « Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens? Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle? Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Egypte et de la Libye proche de Cyrène, Romains résidant ici, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu » (Ac 2, 7-11). Tandis qu'elle exige des personnes destinataires l'adhésion de la foi, l'annonce de l'Evangile dans les différentes cultures ne les empêche pas de conserver une identité culturelle propre. Cela ne crée aucune division, parce que le peuple des baptisés se distingue par une universalité qui sait accueillir toute culture, favorisant le progrès de ce qui, en chacune d'elles, conduit implicitement vers la pleine explication dans la vérité.

Quapropter id quod est cultura numquam fieri potest iudicandi norma, minus ac minus norma veritatis novissima pro Dei revelatione. Huic illive culturae non aversatur Evangelium, proinde quasi, eam conveniens, id quod ad eam pertinet eripere velit eandemque cogat extrarias formas et alienas sumere. Nuntius contra, quem in mundum atque in culturas defert fidelis, vera est liberationis forma ab omni perturbatione a peccato effecta, itemque est vocatio ad plenam veritatem. Hac in conspiratione, non modo culturae nulla re exuuntur, sed concitantur potius ut sese ad veritatem evangelicam aperiant, unde incitamenta ad alios progressus assequendos nanciscantur.|

En conséquence, une culture ne peut jamais devenir le critère de jugement et encore moins le critère ultime de la vérité en ce qui concerne la révélation de Dieu. L'Evangile n'est pas opposé à telle ou telle culture, comme si, lorsqu'il la rencontre, il voulait la priver de ce qui lui appartient et l'obligeait à assumer des formes extrinsèques qui ne lui sont pas conformes. A l'inverse, l'annonce que le croyant porte dans le monde et dans les cultures est la forme réelle de la libération par rapport à tout désordre introduit par le péché et, en même temps, elle est un appel à la vérité tout entière. Dans cette rencontre, les cultures non seulement ne sont privées de rien, mais elles sont même stimulées pour s'ouvrir à la nouveauté de la vérité évangélique, pour en tirer une incitation à se développer ultérieurement.

72. Eo quod evangelizationis missio suo in cursu philosophiam Graecam primam convenit, id haudquaquam significat ceteros aditus excludi. Hodie, quotiescumque Evangelium culturae ambitus attingit ad quos christiana doctrina antea non accessit, nova exsurgunt inculturationis opera. Eaedem fere quaestiones, quas primaeva aetate enodare debuit Ecclesia, hodiernis hominibus afferuntur.|

72. Le fait que la mission évangélisatrice ait rencontré d'abord sur sa route la philosophie grecque ne constitue en aucune manière une indication qui exclurait d'autres approches. Aujourd'hui, à mesure que l'Evangile entre en contact avec des aires culturelles restées jusqu'alors hors de portée du rayonnement du christianisme, de nouvelles tâches s'ouvrent à l'inculturation. Des problèmes analogues à ceux que l'Église dut affronter dans les premiers siècles se posent à notre génération.

Cogitationes Nostrae sua sponte ad orientales plagas convertuntur, quae perantiquis pietatis philosophiaeque traditionibus locupletantur. Inter eas India conspicuum obtinet locum. Grandis spiritalis impetus Indianam impellit mentem ad eam experientiam adipiscendam, quae, temporis spatiique impedimentis animo expedito, absolutum bonum attingat. In huius liberationis exquirendae processu, praecipuae metaphysicae scholae ponuntur.|

Ma pensée se tourne spontanément vers les terres d'Orient, si riches de traditions religieuses et philosophiques très anciennes. Parmi elles, l'Inde occupe une place particulière. Un grand élan spirituel porte la pensée indienne vers la recherche d'une expérience qui, libérant l'esprit des conditionnements du temps et de l'espace, aurait valeur d'absolu. Dans le dynamisme de cette recherche de libération, s'inscrivent de grands systèmes métaphysiques.

Huius temporis Christianorum est, praesertim Indianorum, locupleti ex eiusmodi patrimonio elementa illa depromere quae cum illorum fide coniungi possunt, ita ut christiana doctrina ditior fiat. Hac in discretione agenda, quae ex conciliari Declaratione Nostrae aetate sumit consilium, quasdam iudicandi normas ii ob oculos habebunt. Prima norma est humani spiritus universalitas cuius postulata in diversissimis culturis eadem reperiuntur. Altera, quae ex prima oritur, haec est: cum Ecclesia maioris momenti convenit culturas antea haud attactas, id, quod per inculturationem Graecae et Latinae disciplinae adepta est, posthabere non potest. Talis si repudiaretur hereditas, providum Dei consilium oppugnaretur, qui per temporis historiaeque semitam suam ducit Ecclesiam. Haec, ceteroqui, iudicandi lex propria est Ecclesiae omnium aetatum, etiam subsequentis, quae se persentiet divitem factam iis ex rebus quas adepta erit per orientalium culturarum hodiernum accessum, et in hac hereditate nova indicia reperiet, ut frugifer instituatur dialogus cum culturis illis, quas humanitas iuvabit ut prosperent in suo ad futuram aetatem itinere. Tertio, cavebitur ne legitima proprietatis singularitatisque Indianae philosophiae expostulatio cum sententia illa confundetur, culturalem scilicet traditionem sua in diversitate concludi debere eamque per dissidentiam cum ceteris traditionibus emergere, quod quidem naturae humani spiritus ipsi est contrarium.|

Aux chrétiens d'aujourd'hui, avant tout à ceux de l'Inde, appartient la tâche de tirer de ce riche patrimoine les éléments compatibles avec leur foi, en sorte qu'il en résulte un enrichissement de la pensée chrétienne. Pour cette œuvre de discernement qui trouve son inspiration dans la Déclaration conciliaire Nostra ætate, les chrétiens tiendront compte d'un certain nombre de critères. Le premier est celui de l'universalité de l'esprit humain, dont les exigences fondamentales se retrouvent identiques dans les cultures les plus diverses. Le second, qui découle du premier, consiste en ceci: quand l'Eglise entre en contact avec les grandes cultures qu'elle n'a pas rencontrées auparavant, elle ne peut pas laisser derrière elle ce qu'elle a acquis par son inculturation dans la pensée gréco-latine. Refuser un tel héritage serait aller contre le dessein providentiel de Dieu, qui conduit son Eglise au long des routes du temps et de l'histoire. Du reste, ce critère vaut pour l'Eglise à toute époque, et il en sera ainsi pour celle de demain qui se sentira enrichie par les acquisitions réalisées par le rapprochement actuel avec les cultures orientales et qui trouvera dans cet héritage des éléments nouveaux pour entrer en dialogue de manière fructueuse avec les cultures que l'humanité saura faire fleurir sur son chemin vers l'avenir. En troisième lieu, on se gardera de confondre la légitime revendication de la spécificité et de l'originalité de la pensée indienne avec l'idée qu'une tradition culturelle doive se refermer sur sa différence et s'affermir par son opposition aux autres traditions, ce qui serait contraire à la nature même de l'esprit humain.

Quod de India dictum est, adscribitur patrimonio praestantium culturarum Sinensium et Iaponensium aliarumque Asiae Nationum itemque refertur thesauro culturarum Africae translaticiarum, quae verbis potissimum sunt transmissae.|

Ce qui est dit ici pour l'Inde vaut aussi pour l'héritage des grandes cultures de la Chine, du Japon et des autres pays d'Asie, de même que pour certaines richesses des cultures traditionnelles de l'Afrique, transmises surtout oralement.

73. His rebus consideratis, necessitudo quae inter theologiam et philosophiam opportune institui debet notam habebit cuiusdam circularis progressionis. Theologiae initium atque primigenius fons est Dei verbum in historia revelatum, dum ultimum propositum necessario erit ipsius intellectio quae sensim est perspecta succedentibus aetatibus. Quandoquidem autem Dei verbum est Veritas (cfr Io 17,17), fieri non potest quin ad eiusdem aptiorem intellectum opem conferat humanae veritatis inquisitio, philosophans scilicet mens, quae suis servatis legibus explicatur. Non agitur de hac vel illa notione vel parte cuiusdam systematis philosophici in theologico sermone simpliciter adhibenda; decretorium est quod fidelis ratio suae cogitationis facultatem exerceat ad verum reperiendum quendam intra motum, qui, initium ex Dei verbo sumens, consequi conatur pleniorem eiusdem comprehensionem. Omnino porro liquet, agendo has intra duas res — Dei verbum scilicet altioremque eius cognitionem — rationem paene percipi et quodammodo gubernari, ut semitas illas vitet quae extra Veritatem revelatam eandem perducant ac, tandem, simpliciter extra ipsam veritatem; immo ea incitatur ad explorandas semitas, quas sola ne suspicatur quidem se illas decurrere posse. Hoc ex circulari motu cum Dei verbo philosophia locupletior evadit, quia novos et inexspectatos attingit fines.|

73. A la lumière de ces considérations, la relation qui doit opportunément s'instaurer entre la théologie et la philosophie sera placée sous le signe de la circularité. Pour la théologie, le point de départ et la source originelle devront toujours être la parole de Dieu révélée dans l'histoire, tandis que l'objectif final ne pourra être que l'intelligence de la parole, sans cesse approfondie au fil des générations. D'autre part, puisque la parole de Dieu est la Vérité (cf. Jn 17, 17), pour mieux comprendre cette parole, on ne peut pas ne pas recourir à la recherche humaine de la vérité, à savoir la démarche philosophique, développée dans le respect des lois qui lui sont propres. Cela ne revient pas simplement à utiliser, dans le discours théologique, l'un ou l'autre concept ou telle partie d'une structure philosophique; il est essentiel que la raison du croyant exerce ses capacités de réflexion dans la recherche du vrai à l'intérieur d'un mouvement qui, partant de la parole de Dieu, s'efforce d'arriver à mieux la comprendre. Par ailleurs, il est clair que, en se mouvant entre ces deux pôles — la parole de Dieu et sa meilleure connaissance —, la raison est comme avertie, et en quelque sorte guidée, afin d'éviter des sentiers qui la conduiraient hors de la Vérité révélée et, en définitive, hors de la vérité pure et simple; elle est même invitée à explorer des voies que, seule, elle n'aurait même pas imaginé pouvoir parcourir. De cette relation de circularité avec la parole de Dieu, la philosophie sort enrichie, parce que la raison découvre des horizons nouveaux et insoupçonnés.

74. Ubertatis comprobatio huius necessitudinis exhibetur personalibus eventibus clarorum theologorum christianorum, qui ut philosophi etiam eximii enituerunt, qui scripta sic altae speculativae praestantiae reliquerunt, ut iure antiquae philosophiae aequarentur doctoribus. Id tum de Ecclesiae Patribus dici potest, inter quos saltem sanctus Gregorius Nazianzenus atque sanctus Augustinus annumerantur, tum de Doctoribus mediaevalibus, inter quos trias illa elucet quam constituunt sancti Anselmus, Bonaventura et Thomas Aquinas. Fecunda illa philosophiae verbique Dei consociatio etiam ex magnanima emergit investigatione a recentioribus doctis provecta, in quibus memorare placet ex orbe occidentali homines veluti Ioannem Henricum Newman, Antonium Rosmini, Iacobum Maritain, Stephanum Gilson, Edith Stein simulque ex orientali orbe studiosos ut Vladimirum S. Solov'ev, Paulum A. Florenskij, Petrum K. Caadaev, Vladimirum N. Lossky. Uti paret, hi cum memorantur auctores, quibuscum alia pariter proferri possunt nomina, non omnem eorum doctrinae aestimationem prodere cupimus, verum exempla quaedam praestantiora illius efferre itineris investigationum philosophicarum ad quod beneficia singularia comparatio attulit cum fidei doctrinis. De hoc autem non est ambigendum: horum doctorum spiritalis itineris contemplatio non poterit quin progredienti veritatis inquisitioni proficiat atque usui consectariorum in hominum utilitatem. Sperari oportet hanc eximiam philosophicam-theologicam traditionem nunc et futuro de tempore suos successores necnon pro Ecclesiae humanitatisque bono cultores esse inventuram.|

74. La confirmation de la fécondité d'une telle relation est offerte par l'histoire personnelle de grands théologiens chrétiens qui se révélèrent être aussi de grands philosophes, car ils ont laissé des écrits d'une si haute valeur spéculative que l'on peut à juste titre les placer aux côtés des maîtres de la philosophie antique. Cela vaut pour les Pères de l'Eglise, parmi lesquels il faut citer au moins les noms de saint Grégoire de Nazianze et de saint Augustin, comme pour les Docteurs médiévaux, parmi lesquels ressort surtout la grande triade saint Anselme, saint Bonaventure et saint Thomas d'Aquin. Le rapport fécond entre la philosophie et la parole de Dieu se manifeste aussi dans la recherche courageuse menée par des penseurs plus récents, parmi lesquels il me plaît de mentionner, en Occident, des personnalités comme John Henry Newman, Antonio Rosmini, Jacques Maritain, Etienne Gilson, Edith Stein et, en Orient, des penseurs de la stature de Vladimir S. Soloviev, Pavel A. Florenski, Petr J. Caadaev, Vladimir N. Lossky. Evidemment, en nommant ces auteurs, auprès desquels d'autres pourraient être cités, je n'entends pas avaliser tous les aspects de leur pensée, mais seulement donner des exemples significatifs d'une voie de recherche philosophique qui a tiré un grand profit de sa confrontation avec les données de la foi. Une chose est certaine: l'attention accordée à l'itinéraire spirituel de ces maîtres ne pourra que favoriser le progrès dans la recherche de la vérité et dans la mise au service de l'homme des résultats obtenus. Il faut espérer que cette grande tradition philosophico-théologique trouvera aujourd'hui et à l'avenir des personnes qui la continueront et qui la cultiveront, pour le bien de l'Eglise et de l'humanité.


De diversis philosophiae statibus


Différentes situations de la philosophie


75. Quemadmodum patet ex historia necessitudinum inter fidem et philosophiam sicut supra paucis dictum est, diversi philosophiae status prae fide christiana distingui possunt. Primus status philosophiam a Revelatione evangelica penitus distractam complectitur: philosophiae est condicio quae aetatibus illis ante Redemptorem natum historice exstitit atque post Eum in regionibus nondum ab Evangelio contactis. Hac in condicione philosophia legitime affectat se sui iuris esse inceptum, quae videlicet secundum suas ipsius leges agit, quae suis unis viribus innititur. Quamvis de gravibus limationibus conscii simus, quae ingenitae humanae debilitati adscribuntur, haec affectatio est sustentanda et roboranda. Philosophicum namque studium, prout ad veritatem intra naturalem provinciam perquirendam tendit, saltem implicite rei supernaturali patens est.|

75. Comme il résulte de l'histoire des relations entre la foi et la philosophie, brièvement rappelée précédemment, on peut distinguer diverses situations de la philosophie par rapport à la foi chrétienne. La première est celle de la philosophie totalement indépendante de la Révélation évangélique: c'est l'état de la philosophie qui s'est historiquement concrétisé dans les périodes qui ont précédé la naissance du Rédempteur et, par la suite, dans les régions non encore touchées par l'Evangile. Dans cette situation, la philosophie manifeste une légitime aspiration à être une démarche autonome, c'est-à-dire qui procède selon ses lois propres, recourant aux seules forces de la raison. Tout en tenant compte des sérieuses limites dues à la faiblesse native de la raison humaine, il convient de soutenir et de renforcer cette aspiration. En effet, l'engagement philosophique, qui est la recherche naturelle de la vérité, reste au moins implicitement ouvert au surnaturel.

Immo magis: etiam cum theologicus ipse sermo philosophicis notionibus et argumentationibus utitur, cogitationis rectae autonomiae necessitas est servanda. Etenim argumentatio, quae secundum strictas normas rationales evolvitur, effecta quaedam universaliter valida consequitur et praestat. Etiam hic viget principium, secundum quod gratia non destruit, sed perficit naturam: fidei assensus, qui tum intellectum tum voluntatem obstringit, liberum arbitrium cuiusque fidelis rem revelatam suscipientis haud dissolvit sed perficit.|

De plus, même lorsque le discours théologique lui-même utilise des concepts et des arguments philosophiques, l'exigence d'une correcte autonomie de la pensée doit être respectée. L'argumentation développée selon des critères rationnels rigoureux est, en effet, une garantie pour parvenir à des résultats universellement valables. Ici se vérifie aussi le principe selon lequel la grâce ne détruit pas mais perfectionne la nature: l'assentiment de foi, qui engage l'intelligence et la volonté, ne détruit pas mais perfectionne le libre-arbitre de tout croyant qui accueille en lui le donné révélé.

Ex hoc congruo postulato penitus opinio illa digreditur sic dictae philosophiae « seiunctae », quam complures philosophi recentiores persequuntur. Potius quam ut aequam philosophandi autonomiam affirmet, ipsa sibi arrogat ius quidlibet sua in provincia excogitandi, quod quidem, ut patet, illegitimum est: veritatis adiumenta respuere, quae ex divina revelatione oriuntur, idem est ac aditum intercludere ad altiorem veritatem cognoscendam, ipsius philosophiae detrimento contingente.|

La théorie de la philosophie appelée « séparée », adoptée par un certain nombre de philosophes modernes, s'éloigne de manière évidente de cette exigence correcte. Plus que l'affirmation de la juste autonomie de la démarche philosophique, elle constitue la revendication d'une autosuffisance de la pensée, qui se révèle clairement illégitime: refuser les apports de la vérité découlant de la révélation divine signifie en effet s'interdire l'accès à une plus profonde connaissance de la vérité, au détriment de la philosophie elle-même.

76. Alter philosophiae status locutione philosophiae christianae a multis designatur. Haec appellatio legitima est, dummodo ipsa in ambiguum ne detrahatur: id enim non significat Ecclesiam philosophiam publicam suam habere, quandoquidem fides qua talis non est philosophia. Hac locutione ars designatur christiane philosophandi, meditatio scilicet philosophica quae vitaliter cum fide coniungitur. Non agitur ideo simpliciter de philosophia quadam a christianis philosophis confecta, qui suis in inquisitionibus aliquid contra fidem dicere noluerunt. Cum de philosophia christiana sermo fit, omnes comprehendi debent praestantes illi progressus philosophicae disciplinae, qui numquam contigissent nisi opem directe vel oblique christiana fides attulisset.|

76. Une deuxième situation de la philosophie est celle que beaucoup désignent par l'expression philosophie chrétienne. La dénomination est de soi légitime, mais elle ne doit pas être équivoque: on n'entend pas par là faire allusion à une philosophie officielle de l'Eglise, puisque la foi n'est pas comme telle une philosophie. Par cette appellation, on veut plutôt indiquer une démarche philosophique chrétienne, une spéculation philosophique conçue en union étroite avec la foi. Cela ne se réfère donc pas simplement à une philosophie élaborée par des philosophes chrétiens qui, dans leur recherche, n'ont pas voulu s'opposer à la foi. Parlant de philosophie chrétienne, on entend englober tous les développements importants de la pensée philosophique qui n'auraient pu être accomplis sans l'apport, direct ou indirect, de la foi chrétienne.

Duae ergo sunt christianae philosophiae species, quarum altera est subiectiva, secundum quam fides purificat rationem. Ut theologalis virtus, ipsa rationem a nimia confidentia exsolvit, ad quam illecebram facile philosophi inclinant. Iam sanctus Paulus Ecclesiaeque Patres, atque nobis proximi philosophi veluti Pascal et Kierkegaard, censura quadam id notarunt. Humiliter animum colligit philosophus ut quasdam quaestiones tractet, quas difficulter explicare valet haud consideratis Revelationis elementis. Puta, exempli gratia, mali dolorisque quaestiones, personalem Dei identitatem atque interrogationem de vitae sensu vel, strictius, quaestionem metaphysicam radicalem: « Cur est aliquid? ».|

Il y a donc deux aspects de la philosophie chrétienne: d'abord un aspect subjectif, qui consiste dans la purification de la raison par la foi. En tant que vertu théologale, la foi libère la raison de la présomption, tentation typique à laquelle les philosophes sont facilement sujets. Déjà, saint Paul et les Pères de l'Eglise, et, plus proches de nous, des philosophes comme Pascal et Kierkegaard, l'ont stigmatisée. Par l'humilité, le philosophe acquiert aussi le courage d'affronter certaines questions qu'il pourrait difficilement résoudre sans prendre en considération les données reçues de la Révélation. Il suffit de penser par exemple aux problèmes du mal et de la souffrance, à l'identité personnelle de Dieu et à la question du sens de la vie ou, plus directement, à la question métaphysique radicale: « Pourquoi y a-t-il quelque chose? ».

Pars exinde adest obiectiva, quae ad ipsam materiam spectat: lucide quasdam exhibet veritates Revelatio, quas tametsi attingere potest ratio, nunquam tamen easdem repperisset si suis unis viribus innixa esset. Hoc in rerum prospectu quaestiones ponuntur, veluti notio Dei personalis, liberi et creatoris, quae ad philosophicae cogitationis progressum tantum pondus habuit, potissimum quod spectat ad philosophiam respicientem « esse ». Ad hanc provinciam ipsa peccati realitas quoque pertinet, quemadmodum ipsa fidei lumine manifestatur, quae quidem operam dat ut quaestio de malo congruenti ratione philosophice ponatur. Persona quoque, quae veluti spiritale quiddam consideratur, est peculiaris fidei proprietas: dignitatis christianus nuntius, aequalitatis ac libertatis hominum procul dubio vim habuit in philosophica cogitata, quae recentiores philosophi pepererunt. Ad propiora tempora accedentes, id memorare debemus quod agnitum est momentum quod induit etiam pro philosophia historicus eventus, christianae Revelationis culmen. Non casu ille cuiusdam historiae philosophiae factus est cardo, qui veluti novum veritatis humanae inquisitionis caput exhibetur.|

Il y a ensuite l'aspect objectif, concernant le contenu: la Révélation propose clairement certaines vérités qui, bien que n'étant pas naturellement inaccessibles à la raison, n'auraient peut-être jamais été découvertes par cette dernière, si elle avait été laissée à elle-même. Dans cette perspective, se trouvent des thèmes comme celui d'un Dieu personnel, libre et créateur, qui a eu une grande importance pour le développement de la pensée philosophique et, en particulier, pour la philosophie de l'être. À ce domaine appartient aussi la réalité du péché, telle qu'elle apparaît à la lumière de la foi qui aide à poser philosophiquement de manière adéquate le problème du mal. La conception de la personne comme être spirituel est aussi une originalité particulière de la foi: l'annonce chrétienne de la dignité, de l'égalité et de la liberté des hommes a certainement exercé une influence sur la réflexion philosophique que les modernes ont menée. Plus proche de nous, on peut mentionner la découverte de l'importance que revêt aussi pour la philosophie l'événement historique central de la Révélation chrétienne. Ce n'est pas par hasard qu'il est devenu l'axe d'une philosophie de l'histoire, qui se présente comme un chapitre nouveau de la recherche humaine de la vérité.

Inter obiectiva philosophiae christianae elementa necessitas quoque adnumeratur perquirendi rationalitatem nonnullarum veritatum, quae in Sacris Scripturis significantur, veluti supernaturalis vocationis hominis possibilitas atque peccatum ipsum originale. Haec munia rationem lacessunt ad agnoscendum quiddam inibi inesse veri rationalisque, longe multumque ultra illos angustos fines quibus ipsa se conclusura erat. Argumenta haec reddunt re rationis provinciam laxiorem.|

Parmi les éléments objectifs de la philosophie chrétienne, figure aussi la nécessité d'explorer la rationalité de certaines vérités exprimées par les saintes Ecritures, comme la possibilité d'une vocation surnaturelle de l'homme et aussi le péché originel lui-même. Ce sont des tâches qui incitent la raison à reconnaître qu'il y a du vrai et du rationnel bien au-delà des strictes limites dans lesquelles la raison serait tentée de s'enfermer. Ces thèmes élargissent de fait l'espace du rationnel.

Has agitantes rationes, philosophi haud facti sunt theologi, propterea quod fidei veritatem intellegere et collustrare non studuerunt sumpto initio a Revelatione. Sua in ipsorum provincia, via meraque ratione sua usi agere perrexerunt, sed suam inquisitionem ad novos veri ambitus explicaverunt. Asseverare licet quod sine hac Dei verbi acri opera, philosophiae recentioris ac recentissimae magna pars haud exsisteret. Res suum praecipuum habet momentum, quamvis christianam orthodoxiam a compluribus novissimorum horum saeculorum philosophis deseri observetur.|

Dans leur spéculation sur ces éléments, les philosophes ne sont pas devenus théologiens, dans la mesure où ils n'ont pas cherché à comprendre et à expliciter les vérités de la foi à partir de la Révélation. Ils ont continué à travailler sur leur propre terrain, avec leur propre méthodologie purement rationnelle, mais en élargissant leurs recherches à de nouveaux espaces du vrai. On peut dire que, sans l'influence stimulante de la parole de Dieu, une bonne partie de la philosophie moderne et contemporaine n'existerait pas. Le fait conserve toute sa pertinence, même devant la constatation décevante de l'abandon de l'orthodoxie chrétienne de la part d'un certain nombre de penseurs de ces derniers siècles.

77. Alius philosophiae significans status habetur cum ipsa theologia ad philosophiam provocat. Theologia reapse semper philosophico indiguit adiumento atque indiget. Cum sub fidei lumine rationis criticae sit opera, theologica inquisitio rationem cognitionibus et argumentationibus excultam et figuratam tota in sua vestigatione praesumit atque deposcit. Theologia porro philosophia indiget quacum paene dialogum instituat, ut comprobet intellegibilitatem universalemque principiorum suorum veritatem. Non casu accidit ut philosophiae non christianae susciperentur ab Ecclesiae Patribus et mediaevalibus theologis explicandi causa. Haec historica res praestantiam demonstrat autononiae quam etiam hoc in suo tertio statu servat philosophia, sed necessarias praecipuasque immutationes pariter ostendit, quas ipsa pati debet.|

77. Nous trouvons une autre situation significative de la philosophie quand la théologie elle-même fait appel à la philosophie. En réalité, la théologie a toujours eu et continue à avoir besoin de l'apport philosophique. Etant une œuvre de la raison critique à la lumière de la foi, le travail théologique présuppose et exige dans toute sa recherche une raison éduquée et formée sur le plan des concepts et des argumentations. En outre, la théologie a besoin de la philosophie comme interlocutrice pour vérifier l'intelligibilité et la vérité universelle de ses assertions. Ce n'est pas par hasard qu'il y eut des philosophes non chrétiens auxquels les Pères de l'Eglise et les théologiens médiévaux ont eu recours pour cette fonction explicative. Ce fait historique souligne la valeur de l'autonomie que garde la philosophie même dans cette troisième situation, mais, dans le même temps, cela montre les transformations nécessaires et profondes qu'elle doit subir.

Hoc ipsum propter necessarium insigneque adiumentum a Patrum usque aetate ancilla theologiae vocitata est philosophia. Nomen istud minime usurpatum est ad subiectionem servitutemque quandam significandam vel munus demonstrandum merae functionis philosophiae in theologiam collatum. Locutio potius significatione adhibita est qua usus est Aristoteles, cum de scientiis experimentalibus quasi de « ancillis primae philosophiae » dissereret. Eiusmodi locutio, quae difficulter hodie propter autonomiae principia, quemadmodum supra dictum est, adhibetur, saeculorum decursu iuvit ut necessaria inter duas scientias necessitudo significaretur earumque dissociationis impossibilitas.|

C'est précisément dans le sens d'un apport indispensable et noble que la philosophie a été appelée, depuis l'ère patristique, ancilla theologiæ. Le titre ne fut pas appliqué pour indiquer une soumission servile ou un rôle purement fonctionnel de la philosophie par rapport à la théologie. Il fut plutôt utilisé dans le sens où Aristote parlait des sciences expérimentales qui sont les « servantes » de la « philosophie première ». L'expression, aujourd'hui difficilement utilisable eu égard aux principes d'autonomie qui viennent d'être mentionnés, a servi au cours de l'histoire à montrer la nécessité du rapport entre les deux sciences et l'impossibilité de leur séparation.

Si autem theologus recusaret philosophia uti, periculum esset ne ipse inscius philosopharetur seque concluderet structuris cogitationis fidei intellegendae parum aptis. Philosophus, ex parte sua, si quodlibet excludendum esse cogitaret cum theologia commercium, per se fidei christianae principia capessere suum esse sentiret, sicut nonnullis recentioribus philosophis contigit. In utroque casu periculum exstaret ne delerentur primaria autonomiae principia, quae omnis scientia servare vult.|

Si le théologien se refusait à recourir à la philosophie, il risquerait de faire de la philosophie à son insu et de se cantonner dans des structures de pensée peu appropriées à l'intelligence de la foi. Pour sa part, le philosophe, s'il excluait tout contact avec la théologie, croirait devoir s'approprier pour son propre compte le contenu de la foi chrétienne, comme cela est arrivé pour certains philosophes modernes. Dans un cas comme dans l'autre, apparaîtrait le danger de la destruction des principes de base de l'autonomie que chaque science veut justement voir préservés.

Hic philosophiae status quem consideravimus, quandoquidem in Revelatione intellegenda implicatur, una cum theologia sub Magisterii eiusque iudicii auctoritate strictius ponitur, sicut antea demonstravimus. Ex fidei namque veritatibus quaedam necessitates derivant, quas philosophia servare debet cum necessitudinem instituit cum theologia.|

La situation de la philosophie ici considérée, en vertu des implications qu'elle comporte pour l'intelligence de la Révélation, se place plus directement, avec la théologie, sous l'autorité du Magistère et de son discernement, comme je l'ai exposé précédemment. Des vérités de la foi, en effet, découlent des exigences déterminées que la philosophie doit respecter au moment où elle entre en relation avec la théologie.

78. His praepositis cogitationibus, probe intellegitur cur subinde laudaverit Magisterium sancti Thomae philosophiae merita eundemque putaverit ductorem atque theologicae disciplinae exemplar. Nihil intererat philosophicas quasdam quaestiones complecti, neque imperare peculiares opinationes ut tenerentur. Magisterii propositum erat, atque est, significare quemadmodum sanctus Thomas germanum sit exemplar illorum qui veritatem perquirunt. Eius enim in meditatione rationis postulata et fidei vis altissimam invenerunt summam ex iis quae humana cogitatio unquam attigit, quippe qui Revelationis proprietatem radicitus tuitus sit, proprium rationis cursum numquam deprimendo.|

78. A la suite de ces réflexions, on comprend facilement pourquoi le Magistère a loué maintes fois les mérites de la pensée de saint Thomas et en a fait le guide et le modèle des études théologiques. Ce à quoi on attachait de l'importance n'était pas de prendre position sur des questions proprement philosophiques, ni d'imposer l'adhésion à des thèses particulières. L'intention du Magistère était, et est encore, de montrer que saint Thomas est un authentique modèle pour ceux qui recherchent la vérité. En effet, l'exigence de la raison et la force de la foi ont trouvé la synthèse la plus haute que la pensée ait jamais réalisée, dans la réflexion de saint Thomas, par le fait qu'il a su défendre la radicale nouveauté apportée par la Révélation sans jamais rabaisser la voie propre à la raison.

79. Clarius quae antea edixit Magisterium ostendentes, novissima hac in parte quaedam postulata enuntiare volumus, quae theologia — immo, antehac Dei verbum — philosophicae cogitationi ac recentioribus philosophicis hodie exhibet. Quemadmodum supra dictum est, ad suas regulas agere suisque principiis inniti debet philosophus; nisi una tamen esse non potest veritas. Revelatio, et quae in ea continentur, rationis inventa eiusque legitimam autonomiam numquam comprimere possunt; at ratio, ex parte sua, sese interrogandi et percontandi facultatem numquam amittere debet, sibi omnino conscia se absolutum quiddam propriumque non esse. Veritas revelata, clare id quod est collustrando sumens initium ex splendore quem efficit id quod per se Est, philosophicae cogitationis iter illuminabit. Revelatio christiana verus fit, itaque, locus ubi philosophica et theologica disciplina, mutuam necessitudinem instituentes, coniunguntur et reciprocantur. Optandum igitur est ut theologi ac philosophi a sola veritatis auctoritate temperentur ita ut philosophia cum Dei verbo congruens contexatur. Philosophia haec locus erit ubi humani cultus et christiana fides convenient, consensionis erit sedes inter fideles et non fideles. Opem feret ut fideles sibi sint altius conscii altitudinem sinceritatemque fidei iuvari dum nectitur cum cogitatione dumque eam non recusat. Patrum rursus doctrina in hanc nos persuasionem perducit: « Et ipsum credere, nihil aliud est, quam cum assensione cogitare [...] Omnis qui credit, et credendo cogitat, et cogitando credit [...] quoniam fide si non cogitatur nulla est ».95 Et etiam: « Si tollatur assensio fides tollitur, quia sine assensione nihil creditur ».96|

79. Explicitant davantage le contenu du Magistère antérieur, j'entends dans cette dernière partie montrer certaines exigences que la théologie — et même avant tout la parole de Dieu — pose aujourd'hui à la pensée philosophique et aux philosophies actuelles. Comme je l'ai déjà souligné, le philosophe doit procéder selon des règles propres et se fonder sur ses propres principes; cependant la vérité ne peut être qu'unique. La Révélation, avec son contenu, ne pourra jamais rabaisser la raison dans ses découvertes et dans sa légitime autonomie; pour sa part toutefois, la raison ne devra jamais perdre sa capacité de s'interroger et de poser des questions, en ayant conscience de ne pas pouvoir s'ériger en valeur absolue et exclusive. La vérité révélée, mettant l'être en pleine lumière à partir de la splendeur qui provient de l'Etre subsistant lui-même, éclairera le chemin de la réflexion philosophique. En somme, la révélation chrétienne devient le vrai point de rencontre et de confrontation entre la pensée philosophique et la pensée théologique dans leurs relations réciproques. Il est donc souhaitable que les théologiens et les philosophes se laissent guider par l'unique autorité de la vérité, de manière à élaborer une philosophie en affinité avec la parole de Dieu. Cette philosophie sera le terrain de rencontre entre les cultures et la foi chrétienne, le lieu d'accord entre croyants et non-croyants. Ce sera une aide pour que les chrétiens soient plus intimement convaincus que la profondeur et l'authenticité de la foi sont favorisées quand cette dernière est reliée à une pensée et qu'elle n'y renonce pas. Encore une fois, c'est la leçon des Pères de l'Eglise qui nous guide dans cette conviction: « Même croire n'est pas autre chose que penser en donnant son assentiment [...]. Quiconque croit pense, et en croyant il pense et en pensant il croit [...]. Si elle n'est pas pensée, la foi n'est rien ».95 Et encore: « Si l'on supprime l'assentiment, on supprime la foi, car sans assentiment on ne croit pas du tout ».96


CAPUT VII - POSTULATA HODIERNA ET OFFICIA


CHAPITRE VII - EXIGENCES ET TÂCHES ACTUELLES



Verbi Dei postulationes haud renuntiandae


Les exigences impératives de la parole de Dieu


80. Continent Sacrae Litterae, tam explicito quam modo implicito, complura elementa ex quibus haurire licet claram cuiusdam philosophicae crassitudinis aestimationem hominis orbisque. Gradatim conscii facti sunt Christiani iis in paginis sacris divitem concludi thesaurum. Inde quidem elucet id quod experimur non esse absolutum, non esse increatum neque ex se ipso generatum. Deus est Absolutus unus. De Bibliorum paginis praeterea manifesto apparet species hominis veluti Dei imaginis, quae certa prae se fert indicia de eius essentia ac libertate nec non animae immortalitate. Quandoquidem orbis creatus non sibi solus sufficit, omnis deceptio autonomiae, quae creaturas omnes a Deo suapte natura pendere proindeque hominem etiam negaverit, ad calamitates perducit quae rationabilem harmoniae inquisitionem sensusque humanae vitae delent.|

80. De manière explicite ou implicite, la sainte Écriture comprend une série d'éléments qui permettent de parvenir à une conception de l'homme et du monde d'une réelle densité philosophique. Les chrétiens ont pris conscience progressivement de la richesse de ces textes sacrés. Il en ressort que la réalité dont nous faisons l'expérience n'est pas l'absolu: elle n'est pas incréée, elle ne s'engendre pas non plus elle-même. Seul Dieu est l'Absolu. En outre, des pages de la Bible ressort une conception de l'homme comme imago Dei, qui inclut des données précises sur son être, sa liberté et l'immortalité de son esprit. Le monde créé n'étant pas autosuffisant, toute illusion d'une autonomie qui ignorerait la dépendance essentielle par rapport à Dieu de toute créature, y compris l'homme, conduirait à des situations dramatiques qui annihileraient la recherche rationnelle de l'harmonie et du sens de l'existence humaine.

Mali pariter moralis quaestio, quod omnium est tristissimum, in Bibliis agitatur, ubi illud dicitur haud posse ad aliquod vitium materiae debitum redigi, verum vulnus potius esse quod ex inordinata libertatis humanae affirmatione proficiscitur. Verbum Dei, denique, quaestionem providet de ipsius vitae sensu suumque praebet responsum dum ad Christum Iesum, incarnatum Dei Filium, dirigit hominem qui vitam humanam plenissime complet. Aliae similiter rationes enucleari possunt ex textus sacri lectione; attamen repudiatio inde elucet cuiuslibet formae relativismi, materialismi, pantheismi.|

Le problème du mal moral — la forme la plus tragique du mal — est également abordé dans la Bible: elle nous dit que le mal ne résulte pas de quelque déficience due à la matière, mais qu'il est une blessure qui provient de ce qu'exprime de manière désordonnée la liberté humaine. La parole de Dieu, enfin, met en évidence le problème du sens de l'existence et donne sa réponse en orientant l'homme vers Jésus Christ, le Verbe de Dieu incarné, qui accomplit en plénitude l'existence humaine. D'autres aspects pourraient être explicités à partir de la lecture du texte sacré; en tout cas, ce qui ressort, c'est le refus de toute forme de relativisme, de matérialisme ou de panthéisme.

Primaria huius »philosophiae » in Bibliis repositae persuasio haec est: humana vita et mundus ipse aliquid significant et ordinantur ad sui perfectionem quam in Christo Iesu eveniunt. Incarnationis mysterium manebit semper veluti medium punctum ad quod quis referatur ut comprehendere possit arcanum vitae humanae, orbis conditi et Dei ipsius. Hoc in mysterio extremae fiunt philosophiae provocationes, quoniam incitatur ratio humana ut suam efficiat logicam viam ad deruendos muros quibus periculum est ne ipsa circumdetur. Hic, vero, tantummodo vitae humanae sensus in summum evadit. Intima enim Dei hominisque essentia intellegibilis redditur: in Verbi Incarnati mysterio, divina natura atque humana cum suis cuiusque proprietatibus servantur simulque declaratur necessitudo singularis qua colligantur in coniunctione mutua sine permixtione.97|

La conviction fondamentale de cette « philosophie » contenue dans la Bible est que la vie humaine et le monde ont un sens et sont orientés vers leur accomplissement qui se réalise en Jésus Christ. Le mystère de l'Incarnation restera toujours le centre par rapport auquel il faut se situer pour pouvoir comprendre l'énigme de l'existence humaine, du monde créé et de Dieu lui-même. Dans ce mystère, la philosophie doit relever des défis extrêmes, parce que la raison est appelée à faire sienne une logique qui dépasse les barrières à l'intérieur desquelles elle risque de s'enfermer elle-même. Mais c'est seulement par là que l'on arrive au sommet du sens de l'existence. En effet, l'essence intime de Dieu et celle de l'homme deviennent intelligibles: dans le mystère du Verbe incarné, la nature divine et la nature humaine sont sauvegardées, chacune d'elles restant autonome; en même temps est manifesté le lien unique de leur rapport réciproque sans confusion.97

81. Animadverti oportet inter significantiora hodiernae nostrae condicionis elementa esse « discrimen significationis ». Iudicia, saepe indolis scientificae, de vita et mundo eatenus sunt multiplicata ut praebeatur nobis re vera species aliqua divisarum notitiarum. Istud efficit ut difficulter ac nonnumquam frustra sensus sive significatio rerum conquiratur. Immo vero — id quod magis animum obturbat — in hac datorum factorumque congerie quibus hodie vivitur et quae videntur condere ipsius vitae viam, sunt qui interrogent utrum adhuc interrogare attineat de ipso rerum sensu. Opinationum multitudo inter quas disputatur cui sit respondendum, aut etiam variae rationes interpretandi et contemplandi mundum hominisque vitam, nihil aliud perficiunt nisi ut exsecutam efficiant intimam hanc dubitationem quae facile in scepticismi atque indifferentiae affectionem transit vel etiam varias in nihilismi indicationes.|

81. On doit noter que l'un des aspects les plus marquants de notre condition actuelle est la « crise du sens ». Les points de vue sur la vie et sur le monde, souvent de caractère scientifique, se sont tellement multipliés que, en fait, nous assistons au développement du phénomène de la fragmentation du savoir. C'est précisément cela qui rend difficile et souvent vaine la recherche d'un sens. Et même — ce qui est encore plus dramatique —, dans cet enchevêtrement de données et de faits où l'on vit et qui paraît constituer la trame même de l'existence, plus d'un se demande si cela a encore un sens de s'interroger sur le sens. La pluralité des théories qui se disputent la réponse, ou les différentes manières de concevoir et d'interpréter le monde et la vie de l'homme, ne font qu'aiguiser ce doute radical qui amène vite à sombrer dans le scepticisme, dans l'indifférence ou dans les diverses formes de nihilisme.

Hinc autem consequitur ut hominum animus quadam forma ambiguae cogitationis occupetur, quae eo illos permovet ut magis etiam in se concludantur intra propriae immanentiae fines, nulla habita transcendentis ratione. Philosophia quae caret omni interrogatione de vitae humanae significatione magno obicitur periculo ne humana ratio in usum dumtaxat alicuius instrumenti reducatur, omni vero veritatis inquirendae studio sublato.|

La conséquence de tout cela est que l'esprit humain est souvent envahi par une forme de pensée ambiguë qui l'amène à s'enfermer encore plus en lui-même, dans les limites de sa propre immanence, sans aucune référence au transcendant. Une philosophie qui ne poserait pas la question du sens de l'existence courrait le grave risque de réduire la raison à des fonctions purement instrumentales, sans aucune passion authentique pour la recherche de la vérité.

Ut autem verbo Dei conveniat necesse in primis est philosophia suam reperiat sapientialem amplitudinem quaerendi novissimum ac omnia complectentem sensum vitae. Haec prima necessitas, si res bene ponderantur, ipsi philosophiae addit perutile incitamentum ut suae ipsius naturae accomodetur. Id agens, enim, non erit dumtaxat decretoria quaedam et critica postulatio quae diversis scientiae partibus earum fundamentum ac limitem designat, verum proponetur etiam veluti extrema facultas colligandi totam scientiam actionemque hominum, dum ad unum finem eos concurrere cogit adque sensum ultimum. Haec sapientialis amplitudo eo magis hodie poscitur quia amplior technicae humani generis potentiae auctus renovatam peracutamque petit bonorum supremorum conscientiam. Si technica haec instrumenta forma alicuius ordinationis ad finem non solum utilitatis deficiant, cito videri illa possint inhumana, immo in generis humani potentiales eversores aliquando se convertere.98|

Pour être en harmonie avec la parole de Dieu, il est avant tout nécessaire que la philosophie retrouve sa dimension sapientielle de recherche du sens ultime et global de la vie. Tout bien considéré, cette première exigence constitue un stimulant très utile pour la philosophie, afin qu'elle se conforme à sa propre nature. De cette manière, en effet, elle ne sera pas seulement l'instance critique déterminante qui montre aux divers domaines du savoir scientifique leurs fondements et leurs limites, mais elle se situera aussi comme l'instance dernière de l'unification du savoir et de l'agir humain, les amenant à converger vers un but et un sens derniers. Cette dimension sapientielle est d'autant plus indispensable aujourd'hui que l'immense accroissement du pouvoir technique de l'humanité demande une conscience vive et renouvelée des valeurs ultimes. Si ces moyens techniques ne devaient pas être ordonnés à une fin non purement utilitariste, ils pourraient vite manifester leur inhumanité et même se transformer en potentiel destructeur du genre humain.98

Ultimum hominis finem patefacit verbum Dei universalemque addit sensum ipsius actionibus in terris. Hanc ob causam philosophiam illud hortatur ut se dedat reperiendo naturali sensus huius fundamento, qui nempe religiosa cuiusque hominis constitutio est. Quaecumque philosophia negare voluerit hunc ultimum et universalem sensum reperiri posse, erit non modo impar verum etiam erronea.|

La parole de Dieu révèle la fin dernière de l'homme et donne un sens global à son agir dans le monde. C'est pourquoi elle invite la philosophie à s'engager dans la recherche du fondement naturel de ce sens, qui est l'aspiration religieuse constitutive de toute personne. Une philosophie qui voudrait refuser la possibilité d'un sens dernier et global serait non seulement inappropriée, mais erronée.

82. Ceterum hoc sapientiae munus non potest aliqua philosophia explere quae ipsa vicissim non est vera solidaque scientia, quae scilicet non tantum dirigitur ad elementa peculiaria et relativa — sive functiones tangunt sive formas vel utilitates — rerum ipsarum, sed ad totam ultimamque earum veritatem, id est ad essentiam ipsam obiectorum cognitionis. Ecce itaque secunda postulatio: ut hominis comprobetur facultas adipiscendae veritatis cognitionis; quae, ceterum, cognitio obiectivam attingat veritatem, per illam adaequationem rei et intellectus quam Scholasticae disciplinae doctores appellaverunt.99 Haec postulatio, fidei plane propria, explicatis verbis in Concilio Oecumenico Vaticano II est rursus inculcata: « Intellegentia enim non ad sola phaenomena coarctatur, sed realitatem intellegibilem cum vera certitudine adipisci valet, etiamsi, ex sequela peccati, ex parte obscuratur et debilitatur ». 100|

82. D'ailleurs, ce rôle sapientiel ne pourrait être rempli par une philosophie qui ne serait pas elle-même un savoir authentique et vrai, c'est-à-dire qui se limiterait aux aspects particuliers et relatifs du réel — qu'ils soient fonctionnels, formels ou utilitaires —, mais ne traiterait pas aussi de sa vérité totale et définitive, autrement dit de l'être même de l'objet de la connaissance. Voici donc une deuxième exigence: s'assurer de la capacité de l'homme de parvenir à la connaissance de la vérité, une connaissance qui parvient à la vérité objective à partir de l'adæquatio rei et intellectus sur laquelle s'appuient les Docteurs de la scolastique.99 Cette exigence, propre à la foi, a été explicitement réaffirmée par le Concile Vatican II: « En effet, l'intelligence ne se limite pas aux seuls phénomènes, mais elle est capable d'atteindre la réalité intelligible, avec une vraie certitude, même si, par suite du péché, elle est en partie obscurcie et affaiblie ».100

Philosophia prorsus phaenomenorum aut rerum aequivocarum haud idonea erit quae hoc suppeditet auxilium divitiis verbi Dei altius perscrutandis. Etenim, pro concesso semper Sacra Sacriptura habet hominem, licet falsitatis sit reus fallaciaeque, cognoscere tamen posse et comprehendere perlucidam semplicemque veritatem. Libris Sacris ac praesertim Novo Testamento, insunt loci et adfirmationes indolis omnino ontologicae. Veras enim declarationes potuerunt proferre auctores inspirati, quae nempe res denotarent obiectivas. Dici non potest Traditionem catholicam ullo modo erravisse cum dicta quaedam sancti Ioannis ac sancti Pauli accepit velut sententias de ipsa Christi essentia. Cum his affirmationibus et intelligendis et exponendis dat operam, theologia subsidio proinde indiget alicuius philosophiae quae facultatem cognitionis obiective verae non neget, quantumvis perfici illa possit. Hoc pariter de conscientiae moralis valet iudiciis, quae Sacrae Litterae concedunt esse posse obiective vera.101|

Une philosophie résolument phénoméniste ou relativiste se révélerait inadéquate pour aider à approfondir la richesse contenue dans la parole de Dieu. La sainte Ecriture, en effet, présuppose toujours que l'homme, même s'il est coupable de duplicité et de mensonge, est capable de connaître et de saisir la vérité limpide et simple. Dans les Livres sacrés, et dans le Nouveau Testament en particulier, se trouvent des textes et des affirmations de portée proprement ontologique. Les auteurs inspirés, en effet, ont voulu formuler des affirmations vraies, c'est-à-dire propres à exprimer la réalité objective. On ne peut dire que la tradition catholique ait commis une erreur lorsqu'elle a compris certains textes de saint Jean et de saint Paul comme des affirmations sur l'être même du Christ. La théologie, quand elle s'efforce de comprendre et d'expliquer ces affirmations, a donc besoin de l'apport d'une philosophie qui ne nie pas la possibilité d'une connaissance qui soit objectivement vraie, tout en étant toujours perfectible. Ce qui vient d'être dit vaut aussi pour les jugements de la conscience morale, dont l'Ecriture Sainte présuppose qu'ils peuvent être objectivement vrais.101

83. Priores hae postulationes tertiam secum important: opus est philosophia naturae vere metaphysicae, quae excedere nempe valeat empirica indicia ut, veritatem conquirens, ad aliquid absolutum ultimum, fundamentale pertingat. Haec postulatio iam implicita reperitur in cognitionibus indolis sapientialis tum etiam analyticae; est necessitas praesertim cognitionum de bono morali cuius extremum fundamentum est Bonum supremum, Deus ipse. Nolumus hic loqui de metaphysica re tamquam de peculiari schola aut particulari consuetudine historica. Adfirmare id dumtaxat interest realitatem ac veritatem transcendere facta et elementa empirica; refert etiam defendere hominis potestatem cuius vi hanc rationem transcendentem ac metaphysicam percipiat modo vero certoque, licet imperfecto et analogico. Ita quidem metaphysica disciplina non respicienda est tamquam anthropologiae opposita, quandoquidem metaphysica ipsa sinit solide stabiliri dignitatis personae conceptum ex eius spiritali natura. Persona, nominatim, locum constituit praecipuum ut quis congrediatur cum actu essendi ac, propterea, cum meditatione metaphysica.|

83. Les deux exigences que l'on vient d'évoquer en comportent une troisième: la nécessité d'une philosophie de portée authentiquement métaphysique, c'est-à-dire apte à transcender les données empiriques pour parvenir, dans sa recherche de la vérité, à quelque chose d'absolu, d'ultime et de fondateur. C'est là une exigence implicite tant dans la connaissance de nature sapientielle que dans la connaissance de nature analytique; en particulier, cette exigence est propre à la connaissance du bien moral, dont le fondement ultime est le souverain Bien, Dieu lui-même. Mon intention n'est pas ici de parler de la métaphysique comme d'une école précise ou d'un courant historique particulier. Je désire seulement déclarer que la réalité et la vérité transcendent le factuel et l'empirique, et je souhaite affirmer la capacité que possède l'homme de connaître cette dimension transcendante et métaphysique d'une manière véridique et certaine, même si elle est imparfaite et analogique. Dans ce sens, il ne faut pas considérer la métaphysique comme un substitut de l'anthropologie, car c'est précisément la métaphysique qui permet de fonder le concept de la dignité de la personne en raison de sa condition spirituelle. En particulier, c'est par excellence la personne même qui atteint l'être et, par conséquent, mène une réflexion métaphysique.

Ubicumque praesentem quandam appellationem ad absolutum et transcendens detegit homo, inibi ei aperitur indicatio metaphysicae rerum interpretationis: in veritate ac pulchritudine, in bonis moralibus ac personis ceteris, in esse ac in Deo. Magna manet nos provocatio hoc exeunte millennio, ut nempe transitum facere sciamus tam necessarium quam urgentem a phaenomeno ad fundamentum. Non ideo licet in sola experientia consistere; etiam quotiens haec exprimit et ostendit interiorem hominis naturam eiusque spiritalitatem, necesse est speculativa ponderatio spiritalem substantiam attingat nec non fundamentum cui innititur. Philosophica notio ideo quae omne metaphysicum spatium negaverit ex se prorsus inepta erit nec idonea ut officium congruum expleat mediationis ad Revelationem comprehendendam.|

Partout où l'homme constate un appel à l'absolu et à la transcendance, il lui est donné d'entrevoir la dimension métaphysique du réel: dans le vrai, dans le beau, dans les valeurs morales, dans la personne d'autrui, dans l'être même, en Dieu. Un grand défi qui se présente à nous au terme de ce millénaire est celui de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement. Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose. Une pensée philosophique qui refuserait toute ouverture métaphysique serait donc radicalement inadéquate pour remplir une fonction de médiation dans l'intelligence de la Révélation.

Perpetuo se verbum Dei ad ea refert quae experientiam praetergrediuntur atque etiam hominum cogitationem; at hoc « mysterium » patefieri non posset neque theologia illud quadamtenus intelligibile efficere valeret, 102 si humana cognitio artis experientiae sensuum limitibus circumscriberetur. Quocirca metaphysica exsistit tamquam quaedam intercessio praestans in theologica inquisitione. Theologia quidem, prospectu metaphysico destituta, ultra experientiae religiosae investigationem progredi non poterit neque permittere ut intellectus fidei congruenter universalem veritatis revelatae transcendentemque vim significet.|

La parole de Dieu se rapporte continuellement à ce qui dépasse l'expérience, et même la pensée de l'homme; mais ce 'mystère' ne pourrait pas être révélé, ni la théologie en donner une certaine intelligence, 102 si la connaissance humaine était rigoureusement limitée au monde de l'expérience sensible. La métaphysique se présente donc comme une médiation privilégiée dans la recherche théologique. Une théologie dépourvue de perspective métaphysique ne pourrait aller au-delà de l'analyse de l'expérience religieuse, et elle ne permettrait pas à l'intellectus fidei d'exprimer de manière cohérente la valeur universelle et transcendante de la vérité révélée.

Si metaphysicae partes tantopere extollimus, hoc ideo accidit quod persuasum Nobis habemus necessariam hanc esse viam ad statum discriminis superandum, in quo hodie philosophia magna ex parte omnino versatur, et ad quosdam improbos nostra in societate diffusos emendandos mores.|

Si j'insiste tant sur la composante métaphysique, c'est parce que je suis convaincu que c'est la voie nécessaire pour surmonter la situation de crise qui s'étend actuellement dans de larges secteurs de la philosophie et pour corriger ainsi certains comportements déviants répandus dans notre société.

84. Manifestius etiam elucet metaphysici operis pondus si progressus expenduntur quos hodie scientiae hermeneuticae iam efficiunt nec non variae sermonis humani pervestigationes. Consectaria quae his effluxerunt ex studiis utilissima esse possunt ad fidei intellectum, quatenus structuram cogitationis humanae sermocinationisque patefaciunt atque omnem sensum in sermone inclusum. Verumtamen earundem disciplinarum cultores sunt qui suis inquisitionibus eo dumtaxat adveniunt ut explicent quo pacto intellegatur et quo modo exprimatur rerum universitas, non tamen rationis humanae facultatem probant ut rerum essentia detegatur. Quomodo non dispici potest hoc in affectu confirmatio illius discriminis fiduciae, quod aetas nostra patitur, de rationis humanae potestate? Cum vero, ex praemissis quibusdam gratuitis, hae sententiae iam fidei doctrinam obscurant eiusve universalem denegant virtutem, tunc non modo rationem demittunt, verum sese ipsas omnino excludunt. Fides etenim luculenter postulat ut hominum sermo via quadam universali — etiam vocibus analogicis tamen non ideo minus significantibus — realitatem divinam ac transcendentem. 103 Res nisi ita se haberent, Dei verbum, quod semper divinum est licet lingua humana contineatur, nihil de Deo significare posset. Huius Verbi interpretatio non huc illuc ab explicatione alia in aliam explicationem conicere nos potest, ad nullam nos adducens affirmationem simpliciter veram; alioquin nulla esset Dei revelatio, sed tantummodo significatio humanarum notionum de Deo et de iis quae existimatur ille de nobis cogitare.|

84 L'importance de l'approche métaphysique devient encore plus évidente si l'on considère le développement actuel des sciences herméneutiques et des différentes analyses du langage. Les résultats obtenus par ces études peuvent être très utiles pour l'intelligence de la foi, dans la mesure où ils rendent manifestes la structure de notre pensée et de notre expression, ainsi que le sens véhiculé par le langage. Mais il y a des spécialistes de ces sciences qui, dans leurs recherches, tendent à s'en tenir à la manière dont on comprend et dont on dit la réalité, en s'abstenant de vérifier les possibilités qu'a la raison d'en découvrir l'essence. Comment ne pas voir dans cette attitude une confirmation de la crise de confiance que traverse notre époque à l'égard des capacités de la raison? Et quand, à cause de postulats aprioristes, ces thèses tendent à obscurcir le contenu de la foi ou à en dénier la validité universelle, non seulement elles rabaissent la raison, mais elles se mettent d'elles-mêmes hors jeu. En effet, la foi présuppose clairement que le langage humain est capable d'exprimer de manière universelle — même si c'est en termes analogiques, mais non moins significatifs pour autant — la réalité divine et transcendante.103 S'il n'en était pas ainsi, la parole de Dieu, qui est toujours une parole divine dans un langage humain, ne serait capable de rien exprimer sur Dieu. L'interprétation de cette parole ne peut pas nous renvoyer seulement d'une interprétation à une autre, sans jamais nous permettre de parvenir à une affirmation simplement vraie; sans quoi, il n'y aurait pas de révélation de Dieu, mais seulement l'expression de conceptions humaines sur Lui et sur ce que l'on suppose qu'Il pense de nous.

85. Probe novimus postulata haec, a philosophia ipsi Dei verbo iniuncta, videri posse ardua multis qui hodiernam investigationis philosophicae experiuntur condicionem. Hanc omnino ob causam, ea omnia Nostra facientes quae iam complures annos Summi Pontifices docere non desistunt quaeque rursus inculcavit Concilium Oecumenicum Vaticanum II, vehementer confitemur Nobis esse persuasum hominem visionem unicam et ordinatam scientiae assequi posse. Hoc unum officiorum est quod christiana cogitatio proximo quidem christianae aetatis millennio in se recipere debebit. Multiplex scientiae humanae partitio, quatenus partim tantum ad veritatem accedere sinit ideoque etiam sensum ipsum perfringit, interiorem hominis hodierni impedit unitatem. Quare de his omnibus non potest sollicitari Ecclesia? Hoc sapientiae munus in eius pastores recta via ex Evangelio defluit neque ipsi se subducere possunt officio illius muneris explendi.|

85. Je sais bien que ces exigences imposées à la philosophie par la parole de Dieu peuvent sembler rigoureuses à beaucoup de ceux qui vivent la situation actuelle de la recherche philosophique. C'est justement pour cela que, faisant mien ce que les Souverains Pontifes ne cessent d'enseigner depuis plusieurs générations et que le Concile Vatican II a lui-même redit, je désire exprimer avec force la conviction que l'homme est capable de parvenir à une conception unifiée et organique du savoir. C'est là l'une des tâches dont la pensée chrétienne devra se charger au cours du prochain millénaire de l'ère chrétienne. La fragmentation du savoir entrave l'unité intérieure de l'homme contemporain, parce qu'elle entraîne une approche parcellaire de la vérité et que, par conséquent, elle fragmente le sens. Comment l'Eglise pourrait-elle ne pas s'en inquiéter? Cette tâche d'ordre sapientiel dévolue aux Pasteurs découle pour eux directement de l'Evangile et ils ne peuvent se soustraire au devoir de l'accomplir.

Quotquot hodie veluti philosophi respondere cupiant illis postulationibus quas cogitationi humanae Dei verbum imponit, eos credimus omnino suum debere explicare sermonem secundum easdem postulationes nec non continuam cohaerentiam cum diuturna illa traditione quae, ab antiquis profecta, transit per Ecclesiae Patres atque scholasticae disciplinae magistros, ut tandem ad intellegendos cogitationis recentioris atque huius aequalis temporis praecipuos fructus adveniat. Philosophus si hanc traditionem usurpare noverit seque ex ea dirigere, certe non poterit ipse fidelem se non demonstrare ipsi necessitati autonomiae philosophicarum investigationum.|

Je considère que ceux qui veulent répondre en philosophes aux exigences que la parole de Dieu présente à la pensée humaine devraient construire leur discours en se fondant sur ces postulats et se situer de manière cohérente en continuité avec la grande tradition qui, commencée par les anciens, passe par les Pères de l'Eglise et les maîtres de la scolastique, pour aller jusqu'à intégrer les acquis essentiels de la pensée moderne et contemporaine. S'il sait puiser dans cette tradition et s'en inspirer, le philosophe ne manquera pas de se montrer fidèle à l'exigence d'autonomie de la pensée philosophique.

Hoc sensu plurimum id significat, quod nempe quidam philosophi hodiernis in adiunctis se exhibeant fautores iterum detecti pergravis ponderis traditionum ad rectam cognitionis formam. Appellatio enim ad traditionem non sola praeteriti temporis recordatio est; agnoscit potius illa patrimonium culturae quod pertinet omnes ad homines. Par immo est dicere nos ad traditionem pertinere neque licere statuere de ea uti velimus. Hinc plane, quod radices in ipsam traditionem aguntur, permittitur nobis hodie ut cogitationem aliquam primam et novam et de futuro tempore providam enuntiemus. Eadem haec appellatio magis etiam pertinet ad theologiam. Non solum quia vivam Ecclesiae Traditionem ipsa possidet tamquam primigenum rerum fontem, 104 verum etiam quod idcirco theologia posse debet tum revocare altam traditionem theologicam quae priora saecula signavit, tum perennem illius philosophiae traditionem quae novit spatii temporisque fines excedere suam ob sapientiam.|

Dans ce sens, il est tout à fait significatif que, dans le contexte d'aujourd'hui, certains philosophes se fassent les promoteurs de la redécouverte du rôle déterminant de la tradition pour un juste mode de connaissance. En effet, le recours à la tradition n'est pas un simple rappel du passé; il consiste plutôt à reconnaître la validité d'un patrimoine culturel qui appartient à toute l'humanité. On pourrait même dire que c'est nous qui relevons de la tradition et que nous ne pouvons pas en disposer à notre guise. C'est bien le fait d'aller jusqu'aux racines de la tradition qui nous permet d'exprimer aujourd'hui une pensée originale, nouvelle et tournée vers l'avenir. Un tel rappel est encore plus valable pour la théologie. Non seulement parce qu'elle a la Tradition vivante de l'Eglise comme source originelle, 104 mais aussi parce que, à cause de cela, elle doit être capable de retrouver la tradition théologique profonde qui a jalonné les époques antérieures, de même que la tradition constante de la philosophie qui, dans son authentique sagesse, a su franchir les limites de l'espace et du temps.

86. Inculcata haec necessitas solidi vinculi continuationis deliberationum philosophicarum cum inquisitionibus traditionis christianae illuc spectat ut praevertatur periculo quod quibusdam hodie latius diffusis sententiis subest. Quamquam breviter, opportunum censemus immorari iis in sententiis quarum ostendantur errores indeque pericula philosophicae industriae intenta.|

86. L'insistance sur la nécessité d'un rapport étroit de continuité entre la réflexion philosophique contemporaine et celle qu'a élaborée la tradition chrétienne tend à prévenir les risques inhérents à certains types de pensée particulièrement répandus aujourd'hui. Même si c'est sommairement, il me paraît opportun de m'arrêter à certaines de ces tendances afin de signaler leurs erreurs et les dangers qu'elles présentent pour l'activité philosophique.

Eorum quidem primum (periculum) voce eclecticismi nuncupatur, quo nomine illius hominis describitur affectio qui, in investigando, in docendo et in argumentatione theologica, singulas notiones accipere solet diversis perceptas ex philosophiis, nulla earum habita ratione cohaerentiae neque ordinatae coniunctionis nec historicae collocationis. Hoc pacto ita se praebet ut veritatis partem in aliqua notione distinguere ab aliis erratis vel imperfectis rebus nequeat. Extrema eclecticismi dispici potest forma etiam rhetorico in abusu vocabulorum philosophicorum quae aliqui theologi interdum usurpant. Non utilis est similis abusus inquisitioni veritatis neque mentem sive theologicam sive philosophicam instituit ut modo serio doctoque argumentetur. Grave et altum doctrinarum philosophicarum studium tum etiam proprii earum sermonis et contextus ex quo sunt enatae, multum adiuvat ut eclecticismi pericula vincantur permittitque aptam in earum argumentationes theologicas ingressionem.|

La première de ces tendances est celle que l'on nomme éclectisme, terme par lequel on désigne l'attitude de ceux qui, dans la recherche, dans l'enseignement et dans la discussion, même théologique, ont l'habitude d'adopter différentes idées empruntées à diverses philosophies, sans prêter attention ni à leur cohérence, ni à leur appartenance à un système, ni à leur contexte historique. On se place ainsi dans des conditions telles que l'on ne peut distinguer la part de vérité d'une pensée de ce qu'elle peut comporter d'erroné ou d'inapproprié. On rencontre aussi une forme extrême d'éclectisme dans l'usage rhétorique abusif de termes philosophiques auquel certains théologiens se laissent parfois aller. Ce genre d'exploitation ne contribue pas à la recherche de la vérité et ne prépare pas la raison — théologique ou philosophique — à argumenter de manière sérieuse et scientifique. L'étude rigoureuse et approfondie des doctrines philosophiques, de leur langage propre et du contexte où elles ont été conçues aide à surmonter les risques de l'éclectisme et permet de les intégrer de manière appropriée dans l'argumentation théologique.

87. Error ipsius methodi est eclecticismus, qui tamen in se opinationes etiam historicismi contegere potest. Recte ut praeteriti temporis comprehendatur doctrina, ea necesse est sua in historiae atque culturae inseratur adiuncta. Primaria historicismi sententia, ex contrario, ea est ut philosophiae cuiusdam veritas sustineatur natura propria sua ad aliquod certum tempus aptata aut ad definitum historicum munus. Ita quidem, saltem implicite, perennis veri virtus negatur. Id quod aliqua aetate valebat ut verum, potest cessare id esse alio tempore, uti defendet historicista. Notionum humanarum historia, demum, ad eius iudicium paulo plus est quam archeologicum inventum ex quo haurire licet ut sententiae prioris temporis demonstrentur iam maximam partem praetermissae et in praesentia omni significatione carentes. Contra, potius reminiscendum est, etiamsi ipsa veritatis formula temporibus quadamtenus et culturae formis vinciatur, veritates vel errores inibi repertos posse nihilominus agnosci et uti tales aestimari, quantumvis spatio temporeve distent.|

87. L'éclectisme est une erreur de méthode, mais il pourrait aussi receler les thèses del 'historicisme. Pour comprendre correctement une doctrine du passé, il est nécessaire que celle-ci soit replacée dans son contexte historique et culturel. La thèse fondamentale de l'historicisme, au contraire, consiste à établir la vérité d'une philosophie à partir de son adéquation à une période déterminée et à une tâche déterminée dans l'histoire. Ainsi on nie au moins implicitement la validité pérenne du vrai. L'historiciste soutient que ce qui était vrai à une époque peut ne plus l'être à une autre. En somme, il considère l'histoire de la pensée comme pas grand-chose de plus que des vestiges archéologiques auxquels on fait appel pour exposer des positions du passé désormais en grande partie révolues et sans portée pour le présent. A l'inverse, on doit tenir que, même si la formulation est dans une certaine mesure liée à l'époque et à la culture, la vérité ou l'erreur qu'exprimaient ces dernières peuvent en tout cas être reconnues et examinées comme telles, malgré la distance spatio-temporelle.

Intra theologicam meditationem plerumque se praebet historicismus quadam sub ratione « modernismi ». Dum enim quis merito studet sermonem theologicum accommodum et pervium reddere aequalibus suis, affirmationibus et dictionibus philosophicis tantummodo recentioribus utitur, criticis neglectis iudiciis quae ad traditionis lumen tandem aliquando proferenda sunt. Haec modernismi via, quoniam veritatem praesenti pro utilitate permutat, haud idonea reperitur ad veritatis satisfaciendum postulatis quibus respondeat theologia oportet.|

Dans la réflexion théologique, l'historicisme tend à se présenter tout au plus sous la forme du "modernisme". Avec la juste préoccupation de rendre le discours théologique actuel et assimilable pour les contemporains, on ne recourt qu'aux assertions et au langage philosophiques les plus récents, en négligeant les objections critiques que l'on devrait éventuellement soulever à la lumière de la tradition. Cette forme de modernisme, du fait qu'elle confond l'actualité avec la vérité, se montre incapable de satisfaire aux exigences de vérité auxquelles la théologie est appelée à répondre.

88. Aliud expendendum est periculum, nempe scientismus. Haec philosophiae notio respuit tamquam validas omnes cognitionis formas alienas iis quae sunt scientiarum positivarum propriae atque in provinciam solorum phantasmatum reicit tum religiosam et theologicam cognitionem tum ethicam et aestheticam scientiam. Praeteritis temporibus eadem notio intra positivismum et neo-positivismum declarabatur, qui sensu destitutas iudicabant affirmationes metaphysicae indolis. Censura epistemologica omnem huic sententiae abstulit fidem, sed ecce novo renascitur sub scientismi vestitu. Hoc sub prospectu, bona ad animi motuum dumtaxat effecta rediguntur atque « essendi » notio praeteritur ut aliquid spatii nudis et simplicibus tribuatur factis. Sese igitur scientia praeparat ut per technologicos progressus omnibus dominetur vitae humanae partibus. Felices qui nullo modo possunt negari successus scientificae investigationes nec non horum temporum technologiae plurimum adiuverunt ut mens scientistica disseminaretur quae nullis iam videtur finibus circumscribi, cum in varias iam intraverit culturae formas et mutationes fundamentales ibi quoque effecerit.|

88. Le scientisme est un autre danger qu'il faut prendre en considération. Cette conception philosophique se refuse à admettre comme valables des formes de connaissance différentes de celles qui sont le propre des sciences positives, renvoyant au domaine de la pure imagination la connaissance religieuse et théologique, aussi bien que le savoir éthique et esthétique. Antérieurement, cette idée s'exprimait à travers le positivisme et le néo-positivisme, qui considéraient comme dépourvues de sens les affirmations de caractère métaphysique. La critique épistémologique a discrédité cette position, mais voici qu'elle renaît sous les traits nouveaux du scientisme. Dans cette perspective, les valeurs sont réduites à de simples produits de l'affectivité et la notion d'être est écartée pour faire place à la pure et simple factualité. La science s'apprête donc à dominer tous les aspects de l'existence humaine au moyen du progrès technologique. Les succès indéniables de la recherche scientifique et de la technologie contemporaines ont contribué à répandre la mentalité scientiste, qui semble ne plus avoir de limites, étant donné la manière dont elle a pénétré les différentes cultures et les changements radicaux qu'elle y a apportés.

Pro dolor, quod ad interrogationem pertinet de vitae sensu, notandum est a fautoribus scientismi eandem haberi quaestionem tamquam propriam orbis irrationalis aut omnino ficti. Non minus autem deludit huius mentis tractatio magnis de aliis philosophiae quaesitis quae, si iam non omnino praetermittuntur, aliqua deliberatione agitantur quae similitudinibus apparentibus fulcitur, fundamento carentibus omnino rationali. Hoc humanam rerum ponderationem reddit pauperiorem, cui fundamentales quaestiones illae subtrahuntur quas rationale animal, inde suis ab initiis in terra, perpetuo sibi proposuit. Postquam, hanc secundum sententiam, criticum iudicium ex ethica aestimatione est omissum, scientistarum doctrina efficere valuit ut plures sibi persuaderent id quod technica ratione fieri possit hanc ipsam ob causam morali ratione accipi posse.|

On doit malheureusement constater que le scientisme considère comme relevant de l'irrationnel ou de l'imaginaire ce qui touche à la question du sens de la vie. Dans ce courant de pensée, on n'est pas moins déçu par son approche des grands problèmes de la philosophie qui, lorsqu'ils ne sont pas ignorés, sont abordés par des analyses appuyées sur des analogies superficielles et dépourvues de fondement rationnel. Cela amène à appauvrir la réflexion humaine, en lui retirant la possibilité d'aborder les problèmes de fond que l'animal rationale s'est constamment posés depuis le début de son existence sur la terre. Dans cette perspective, ayant écarté la critique motivée par une évaluation éthique, la mentalité scientiste a réussi à faire accepter par beaucoup l'idée que ce qui est techniquement réalisable devient par là-même moralement acceptable.

89. Haud minorum periculorum praenuntius est ipse pragmatismus, qui animi affectus ad eum maxime pertinet qui, suis in electionibus, usum recusat deliberationum theoreticarum vel existimationum ethicis principiis innitentium. Insignia sunt practica consectaria quae ab eiusmodi mentis opinatione profluxerunt. Nominatim vero eo deventum est ut popularis regiminis opinatio proferretur quae nullo modo ad fundamenta ordinis officiorum et debitorum referretur ac propterea immutabilia: honestas vel inhonestas quorundam morum secundum maioris partis suffragia in senatibus statuitur. 105 Patent autem huiusmodi iudicationis consectaria: praecipuae morales sententiae sive pronuntiationes paulatim disputationibus subduntur quorundam institutorum. Praeterea: ipsa anthropologica disciplina graviter afficitur, proposita una dumtaxat hominis visione, a qua longe absunt ethicae dubitationes nec non vitales explicationes de sensu doloris ac sacrificii, vitae et mortis.|

89. Présentant tout autant de dangers, le pragmatisme est l'attitude d'esprit de ceux qui, en opérant leurs choix, excluent le recours à la réflexion théorétique ou à des évaluations fondées sur des principes éthiques. Les conséquences pratiques de cette manière de penser sont considérables. En particulier, on en vient à défendre une conception de la démocratie qui ne prend pas en considération la référence à des fondements d'ordre axiologique et donc immuables: c'est à partir d'un vote de la majorité parlementaire que l'on décide du caractère admissible ou non d'un comportement déterminé.105 La conséquence d'une telle manière de voir apparaît clairement: les grandes décisions morales de l'homme sont en fait soumises aux délibérations peu à peu prises par les organismes institutionnels. De plus, la même anthropologie est largement dépendante du fait qu'elle propose une conception unidimensionnelle de l'être humain, dont sont exclus les grands dilemmes éthiques et les analyses existentielles sur le sens de la souffrance et du sacrifice, de la vie et de la mort.

90. Hucusque recensitae opinationes perducunt vicissim ad latiorem quandam notionem quae hodie efficere videtur communem multarum philosophiarum prospectum quae iam a sensu essendi recesserunt. Loquimur enim de interpretatione nihilista quae simul omnis fundamenti repudiationem continet omnisque veritatis obiectivae negationem. Nihilismus est humanitatis hominis ipsius negatio et eius proprietatis, prius quam adversetur postulationibus et doctrinis verbi Dei propriis. Etenim haud oblivisci licet neglectum ipsius « esse » necessario secum etiam longinquitatem adferre ab obiectiva veritate ac, proinde, ab ipso fundamento illo quod hominis sustinet dignitatem. Fieri sic potest ut de vultu hominis illae submoveantur partes et species quae similitudinem Dei patefaciunt, unde paulatim aut ad destructivam potentiae cupiditatem adducitur aut solitudinis ad desperationem. Amota enim semel hominis veritate, omnino quis decipitur se liberum illum facere contendens. Nam veritas atque libertas aut coniunguntur simul aut simul misere amittuntur.106|

90. Les thèses examinées jusqu'ici induisent, à leur tour, une conception plus générale qui paraît constituer aujourd'hui la perspective commune de nombreuses philosophies qui ont renoncé au sens de l'être. Je pense ici à la lecture nihiliste qui est à la fois le refus de tout fondement et la négation de toute vérité objective. Le nihilisme, avant même de s'opposer aux exigences et au contenu propres à la parole de Dieu, est la négation de l'humanité de l'homme et de son identité même. On ne peut oublier, en effet, que, lorsqu'on néglige la question de l'être, cela amène inévitablement à perdre le contact avec la vérité objective et, par suite, avec le fondement sur lequel repose la dignité de l'homme. On ouvre ainsi la possibilité d'effacer du visage de l'homme les traits qui manifestent sa ressemblance avec Dieu, pour l'amener progressivement à une volonté de puissance destructrice ou au désespoir de la solitude. Une fois la vérité retirée à l'homme, il est réellement illusoire de prétendre le rendre libre. Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble. 106

91. Explanantes principia sententiarum modo propositarum noluimus integram praebere descriptionem hodiernae philosophiae condicionis: ceterum difficulter redigi illa potest unicam ad aestimationem. Adseverare Nostra potius interest haereditatem scientiae ac sapientiae revera pluribus locupletari in regionibus. Satis memorare est logicam, sermonis philosophiam, epistemologiam, naturae philosophiam, anthropologiam, altiorem investigationem affectuum cognitionis, existentialem accessum ad libertatis explicationem. E contrario, principii immanentiae affirmatio, quae veluti media subiacet postulatis rationalistis, iam a priore saeculo responsiones excitavit quibus altissima dubitatio inducta est de aliis postulatis de quibus eo usque disputatum non erat. Enatae ita sunt sententiae irrationales, simulque criticum iudicium aperuit manifesto vacuam omnino postulationem absoluti dominii rationis.|

91. En commentant les courants de pensée que je viens d'évoquer, je n'avais pas l'intention de présenter un tableau complet de la situation actuelle de la philosophie: du reste, il serait difficile de la ramener à un panorama unifié. Je tiens à souligner le fait que l'héritage du savoir et de la sagesse s'est effectivement enrichi dans de nombreux domaines. Qu'il suffise de citer la logique, la philosophie du langage, l'épistémologie, la philosophie de la nature, l'anthropologie, l'analyse approfondie des modes affectifs de la connaissance, l'approche existentielle de l'analyse de la liberté. D'autre part, l'affirmation du principe d'immanence, qui est centrale pour la prétention rationaliste, a suscité, à partir du siècle dernier, des réactions qui ont porté à une remise en cause radicale de postulats considérés comme indiscutables. Ainsi sont apparus des courants irrationalistes, tandis que la critique mettait en évidence l'inanité de l'exigence d'autofondation absolue de la raison.

A quibusdam subtilioribus auctoribus aetas nostra uti tempus « post-modernum » est designata. Vocabulum istud, saepius quidem adhibitum de rebus inter se dissidentibus, indicat emergentem quandam elementorum novorum summam quae sua amplitudine et efficacitate graves manentesque perficere potuerunt mutationes. Ita verbum idem primum omnium adhibitum est de notionibus ordinis aesthetici et socialis et technologici. In provinciam deinde philosophiae est translatum, at certa semper ambiguitate signatum, tum quia iudicium de iis quae uti « post-moderna » appellantur nunc affirmans nunc negans esse potest, tum quia nulla est consensio in perdifficili quaestione de variarum aetatum historicarum terminis. Verumtamen unum illud extra omnem dubitationem invenitur: rationes et cogitationes quae ad spatium post-modernum referuntur congruam merentur ponderationem. Secundum enim quasdam earum opinationes certitudinum tempus dicitur iam sine remedio transiisse et homini ipsi iam discendum esse in rerum quodam prospectu vivere ubi nullus reperiatur sensus, sub nomine nempe rerum fugientium ac temporariarum. Omnem certitudinem iudicio suo delentes, complures auctores, necessariis neglectis distinctionibus, in dubium etiam fidei certitudines deducunt.|

Certains penseurs ont donné à notre époque le qualificatif de « post-modernité ». Ce terme, fréquemment utilisé dans des contextes très différents les uns des autres, désigne l'émergence d'un ensemble de facteurs nouveaux qui, par leur extension et leur efficacité, se sont révélés capables de provoquer des changements significatifs et durables. Ce terme a ainsi été employé d'abord au sujet de phénomènes d'ordre esthétique, social ou technologique. Ensuite, il est passé dans le domaine philosophique, mais il reste affecté d'une certaine ambiguïté, parce que le jugement sur ce que l'on qualifie de « post-moderne » est alternativement positif ou négatif, et aussi parce qu'il n'y a pas de consensus sur le problème délicat de la délimitation des différentes époques de l'histoire. Mais il ne fait pas de doute que les courants de pensée qui se réclament de la post-modernité méritent d'être attentivement considérés. Selon certains d'entre eux, en effet, le temps des certitudes serait irrémédiablement révolu, l'homme devrait désormais apprendre à vivre dans une perspective d'absence totale de sens, à l'enseigne du provisoire et de l'éphémère. De nombreux auteurs, dans leur critique destructrice de toute certitude, ignorant les distinctions nécessaires, contestent également les certitudes de la foi.

Quadamtenus confirmatur hic nihilismus in terrifica malorum experientia quibus aetas nostra est distincta. Ante calamitosum huius experimenti casum, optimismus rationalista, qui in historia deprehendebat victricem rationis progressionem, felicitatis libertatisque fontem, haud restitit ita ut iam ex maximis periculis et minis huius exeuntis saeculi invitatio sit ad desperationem.|

Ce nihilisme trouve en quelque sorte sa confirmation dans l'expérience terrible du mal qui a marqué notre époque. Devant le tragique de cette expérience, l'optimisme rationaliste qui voyait dans l'histoire l'avancée victorieuse de la raison, source de bonheur et de liberté, ne s'est pas maintenu, à tel point qu'une des plus graves menaces de cette fin de siècle est la tentation du désespoir.

Verum nihilominus est certam quandam mentem positivistam etiam nunc fidem tribuere deceptioni, cuius vi, propter reperta scientifica et technica, homo veluti demiurgus assequi ex se solo possit sibique obtinere plenum suam in fortunam dominatum.|

Il reste toutefois vrai qu'une certaine mentalité positiviste continue à accréditer l'illusion que, grâce aux conquêtes scientifiques et techniques, l'homme, en tant que démiurge, peut parvenir seul à se rendre pleinement maître de son destin.


Hodierna theologiae officia


Les tâches actuelles de la théologie


92. Quatenus est Revelationis intellegentia, variis in historiae aetatibus theologia semper cognovit sibi diversarum culturarum postulationes esse suscipiendas ut intra eas, consentanea cum doctrinae explicatione, fidei elementa tradere posset. Hodie quoque duplex ad eam pertinet munus. Altera ex parte opus explicet illa oportet quod Concilium Oecumenicum Vaticanum II suo tempore ei commisit: suas ut proprias renovaret docendi rationes quo evangelizationi efficacius inserviret. Hac in re quis recordari non potest de verbis a Summo Pontifice Ioanne XXIII prolatis dum aperiret Concilium? Dixit enim tunc: « Oportet ut, quemadmodum cuncti sinceri rei christianae, catholicae, apostolicae fautores vehementer exoptant, eadem doctrina amplius et altius cognoscatur eaque plenius animi imbuantur atque formentur; oportet ut haec doctrina certa et immutabilis, cui fidele obsequium est praestandum, ea ratione pervestigetur et exponatur quam tempora postulant nostra ». 107Ex altera vero parte oculos theologia intendat necesse est ultimam in veritatem quam ei commendat Revelatio ipsa neque sibi satis esse existimet in mediis consistere intervallis. Decet enim reminisci theologum opus suum respondere « ad vim dynamicam, quae in ipsa fide inest » suaeque inquisitionis argumentum id esse: « Veritas, Deus vivus eiusque salutis consilium per Iesum Christum revelatum ». 108 Hoc munus, quod ante omnia afficit theologiam, simul quidem philosophiam provocat. Quaestionum enim multitudo, quae hodie premunt, communem poscit operam etiamsi multiplicibus rationibus illa expletur, ut cognoscatur denuo veritas atque exprimatur. Veritas, quae Christus est, ubique auctoritate universali se imponit quae gubernat, incitat et prosperat tum theologiam tum etiam philosophiam.|

92. Aux diverses époques de l'histoire, la théologie, dans sa fonction d'intelligence de la Révélation, a toujours été amenée à recevoir les éléments des différentes cultures pour y faire entrer, par sa médiation, le contenu de la foi selon une conceptualisation cohérente. Aujourd'hui encore, une double tâche lui incombe. En effet, d'une part, elle doit remplir la mission que le Concile Vatican II lui a confiée en son temps: renouveler ses méthodes en vue de servir plus efficacement l'évangélisation. Comment ne pas rappeler, dans cette perspective, les paroles prononcées par le Souverain Pontife Jean XXIII à l'ouverture du Concile? Il dit alors: « Il faut que, répondant à la vive attente de tous ceux qui aiment la religion chrétienne, catholique et apostolique, cette doctrine soit plus largement et plus profondément connue, et que les esprits en soient plus pleinement imprégnés et formés; il faut que cette doctrine certaine et immuable, que l'on doit suivre fidèlement, soit explorée et exposée de la manière que demande notre époque ».107 D'autre part, la théologie doit porter son regard sur la vérité dernière qui lui est confiée par la Révélation, sans se contenter de s'arrêter à des stades intermédiaires. Il est bon pour le théologien de se rappeler que son travail répond « au dynamisme présent dans la foi elle-même » et que l'objet propre de sa recherche est « la Vérité, le Dieu vivant et son dessein de salut révélé en Jésus Christ ».108 Ce devoir, qui revient en premier lieu à la théologie, implique en même temps la philosophie. La somme des problèmes qui s'imposent aujourd'hui, en effet, demande un travail commun, même s'il est conduit avec des méthodes différentes, afin que la vérité soit de nouveau reconnue et exprimée. La Vérité, qui est le Christ, s'impose comme une autorité universelle qui gouverne, stimule et fait grandir (cf. Ep 4, 15) aussi bien la théologie que la philosophie.

Quod creditur veritatem ubique validam cognosci posse, haud prorsus inde oritur intollerantia; condicio contra necessaria est ad verum sincerumque inter homines dialogum. Hac sola condicione fieri potest ut discidia vincantur et iter ad unam integram veritatem percurratur secundum eas semitas quas solus Domini resuscitati Spiritus cognoscit. 109 Nunc ipsum cupimus explicare quo pacto unitatis necessitas hodie in re conformetur, inspectis praesentibus theologiae officiis.|

Croire en la possibilité de connaître une vérité universellement valable n'est pas du tout une source d'intolérance; au contraire, c'est la condition nécessaire pour un dialogue sincère et authentique entre les personnes. C'est seulement à cette condition qu'il est possible de surmonter les divisions et de parcourir ensemble le chemin qui mène à la vérité tout entière, en suivant les sentiers que seul l'Esprit du Seigneur ressuscité connaît. 109 En fonction des tâches actuelles de la théologie, je désire maintenant montrer comment l'exigence de l'unité se présente concrètement aujourd'hui.

93. Propositum princeps quod explere vult theologia in eo consistit, ut Revelationis intellectus praebeatur fideique doctrina. Media propterea ipsius pars ac veluti centrum eius deliberationum erit mysterii ipsius Dei Unius et Trini contemplatio. Huc per mysterii Incarnationis Filii Dei ponderationem acceditur: eo quod ipse factus est homo ac deinde occuccurrit passioni et morti, quod mysterium in gloriosam eius resurrectionem atque ascensionem ad dexteram Patris evasit, unde veritatis Spiritum misit suam ad constituendam et animandam Ecclesiam. Hoc in rerum prospectu principale theologiae munus fit Dei kenosis intellectus, quod magnum humanae menti restat mysterium quae vix credibile opinatur dolorem mortemque posse amorem illum declarare qui nihil vicissim expetens sese dono concedit. Hac autem in re primaria quaedam necessitas iniungitur urgensque simul locorum ipsorum intenta pervestigatio: in primis Sacrarum Litterarum, deinde eorum quibus viva Ecclesiae Traditio profertur. Hic autem hodie nonnullae emergunt quaestiones, ex parte dumtaxat novae, quibus addi non potest solutio neglectis philosophiae officiis.|

93. L'objectif principal de la théologie consiste à présenter l'intelligence de la Révélation et le contenu de la foi. Mais c'est la contemplation du mystère même de Dieu Un et Trine qui sera le véritable centre de sa réflexion. On n'y accède qu'en réfléchissant sur le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu: il s'est fait homme et par la suite est allé au-devant de sa passion et de sa mort, mystère qui aboutira à sa résurrection glorieuse et à son ascension à la droite du Père, d'où il enverra l'Esprit de vérité pour établir et animer son Église. Dans cette perspective, il apparaît que la première tâche de la théologie est l'intelligence de la kénose de Dieu, vrai et grand mystère pour l'esprit humain auquel il semble impossible de soutenir que la souffrance et la mort puissent exprimer l'amour qui se donne sans rien demander en retour. De ce point de vue, l'exigence primordiale et urgente qui s'impose est une analyse attentive des textes: en premier lieu, des textes scripturaires, puis de ceux par lesquels s'exprime la Tradition vivante de l'Eglise. À ce propos certains problèmes se posent aujourd'hui, en partie seulement nouveaux, dont la solution satisfaisante ne pourra être trouvée sans l'apport de la philosophie.

94. Respicit prima difficilis quaestio necessitudinem inter significationem et veritatem. Quemadmodum omnibus aliis in textibus accidit, ita etiam fontes, quos interpretatur theologus, ante omnia aliquam transmittunt significationem quae illuminanda est atque explananda. Nunc vero se exhibet haec significatio tamquam de Deo veritatem, quae a Deo ipso sacrum per textum traditur. Quocirca hominum in sermone incorporatur Dei sermo, qui suam veritatem communicat, ea admirabili « indulgentia » quae logicam Incarnationis rationem refert. 110 Revelationis ideo interpretans fontes oportet theologus se ipse interroget quae alta et germana sit veritas quam Scripturarum loci aperire volunt etiam intra sermonis limites.|

94. Un premier élément problématique concerne le rapport entre le signifié et la vérité. Comme tout autre texte, les sources qu'interprète le théologien transmettent d'abord un signifié, qu'il faut saisir et exposer. Or ce signifié se présente comme la vérité sur Dieu, communiquée par Dieu lui-même à travers le texte sacré. Ainsi, dans le langage humain, prend corps le langage de Dieu, qui communique sa vérité avec la « condescendance » admirable qui est conforme à la logique de l'Incarnation.110 En interprétant les sources de la Révélation, il est donc nécessaire que la théologie se demande quelle est la vérité profonde et authentique que les textes entendent communiquer, compte tenu des limites du langage.

Ad Bibliorum quod attinet locos ac praesertim Evangeliorum, minime quidem redigitur eorum veritas in eventuum dumtaxat historicorum narrationem vel in factorum nudorum patefactionem, perinde ac positivismus historicista contendit. 111 Hi ex contrario loci proponunt eventus quorum veritas ponitur ultra simplicem historiae casum: in eorum significatione in et pro salutis historia reperitur. Plene haec explicatur veritas illo ex perenni usu quem Ecclesia fecit illorum textuum saeculorum decursu, pristinam eorundem servando significationem. Pernecessarium itaque est ut etiam philosophice de necessitudinis ratione interrogetur quae inter factum eiusque significatum intercedit; haec necessitudo proprium historiae efficit sensum.|

En ce qui concerne les textes bibliques, et les Evangiles en particulier, leur vérité ne se réduit assurément pas au récit d'événements purement historiques ou à la révélation de faits neutres, comme le voudrait le positivisme historiciste.111 Au contraire, ces textes exposent des événements dont la vérité se situe au-delà du simple fait historique: elle se trouve dans leur signification dans et pour l'histoire du salut. Cette vérité reçoit sa pleine explicitation dans la lecture que l'Église poursuit au long des siècles, en gardant immuable le sens originel. Il est donc urgent que l'on s'interroge également du point de vue philosophique sur le rapport qui existe entre le fait et sa signification, rapport qui constitue le sens spécifique de l'histoire.

95. Non uni populo neque aetati uni destinatur Dei verbum. Dogmaticae similiter pronuntiationes, quantumvis temporis illius culturam referant quo eduntur, constantem tamen et decretoriam efferunt veritatem. Hinc ergo quaestio exsistit quomodo inter se concilientur absoluta universalisque veritatis indoles atque inevitabiles historiae culturaeque condiciones earum formularum quibus eadem significatur veritas. Uti superius iam diximus, historicismi opinationes haud possunt defendi. Usus autem disciplinae hermeneuticae, quae ad metaphysicae scientiae patet postulata, demonstrare valet quo pacto ex adiunctis historicis et incertis, in quibus textus sacri maturuerunt, ad veritatem transitus fiat ibidem patefactam, quae easdem illas praetergreditur condiciones.|

95. La parole de Dieu ne s'adresse pas qu'à un seul peuple ou à une seule époque. De même, les énoncés dogmatiques, tout en dépendant parfois de la culture de la période où ils ont été adoptés, formulent une vérité stable et définitive. Il faut alors se demander comment on peut concilier l'absolu et l'universalité de la vérité avec l'inéluctable conditionnement historique et culturel des formules qui l'expriment. Comme je l'ai dit plus haut, les thèses de l'historicisme ne sont pas défendables. Par contre, l'application d'une herméneutique ouverte aux exigences de la métaphysique est susceptible de montrer comment, à partir des circonstances historiques et contingentes dans lesquelles les textes ont été conçus, s'opère le passage à la vérité qu'ils expriment, vérité qui va au-delà de ces conditionnements.

Suo historico circumscriptoque sermone licet homini veritates expromere quae linguarum transcendunt usum. Etenim numquam potest nec tempore nec aliqua culturae forma coarctari veritas; intra historiam cognoscitur at historiam ipsam egreditur.|

Par son langage historique et situé, l'homme peut exprimer des vérités qui transcendent l'événement linguistique. La vérité ne peut en effet jamais être circonscrite dans le temps et dans la culture; elle est connue dans l'histoire, mais elle dépasse l'histoire elle-même.

96. Sinit, haec consideratio, nos alterius iam difficultatis providere solutionem: de perpetua agitur auctoritate et vi sermonum conceptuumque adhibitorum in conciliorum definitionibus. Venerabilis iam Noster Decessor Pius XII hanc eandem quaestionem suis Encyclicis Litteris Humani generis pertractavit. 112|

96.Cette considération permet d'entrevoir la solution d'un autre problème, celui de la validité durable du langage conceptuel utilisé dans les définitions conciliaires. Mon vénéré prédécesseur Pie XII avait déjà abordé la question dans son encyclique Humani generis.112

Hoc de argumento non facile disceptatur, quandoquidem serio animo ratio habeatur oportet ipsius significationis quam variis in culturae regionibus temporumque aetatibus verba sibi sumpserunt. Cogitationis humanae historia utcumque luculenter comprobat per progressionem varietatemque culturarum quasdam principales notiones universalem suam adservare cognoscendi vim proindeque veritatem earum affirmationum quam recludunt. 113 Res ita si non sese haberent, philosophia atque scientiae inter se haud quidquam communicare valerent neque percipi apud culturas diversas ab iis a quibus excogitatae sunt et elaboratae. Restat propterea hermeneutica quaestio, at solvi potest. Ceterum multarum notionum vera vis non prohibet quin imperfecta sit earum significatio; qua in re philosophica disceptatio multum efficere potest. Optatur, incirco, ut peculiari studio coniunctio pervestigetur inter sermonem intellectivum et veritatem, atque etiam proponantur apta itinera ad rectam eius intellegentiam.|

Réfléchir à cette question n'est pas facile, parce que l'on doit tenir compte sérieusement du sens que les mots prennent dans les différentes cultures et les différentes époques. L'histoire de la pensée montre en tout cas que, à travers l'évolution et la diversité des cultures, certains concepts de base gardent leur valeur cognitive universelle et, par conséquent, la vérité des propositions qu'ils expriment.113 S'il n'en était pas ainsi, la philosophie et les sciences ne pourraient communiquer entre elles, et elles ne pourraient pas être reçues dans des cultures différentes de celles dans lesquelles elles ont été pensées et élaborées. Le problème herméneutique existe donc, mais il est soluble. La valeur réaliste de nombreux concepts n'exclut pas d'autre part que leur signification soit souvent imparfaite. La spéculation philosophique pourrait être d'un grand secours dans ce domaine. Il est donc souhaitable qu'elle s'engage particulièrement à approfondir le rapport entre le langage conceptuel et la vérité, et qu'elle propose des manières adéquates de comprendre correctement ce rapport.

97. Si grave theologiae officium est fontium interpretatio, aliud etiam et maioris prudentiae necessitatisque est revelatae veritatis perceptio sive intellectus fidei explicatio. Sicut iam superius innuimus, intellectus fidei postulat ut philosophia essendi partes quae in primis sinant ut theologia dogmatica consentaneo modo expleat sua munia. Dogmaticus primorum annorum huius saeculi pragmatismus, ad quem fidei veritates nihil aliud quam morum normae esse dicuntur, iam redargutus est atque reiectus; 114 nihilominus semper quis allicitur ut has intellegat veritates modo plane functionali. Tunc enim res recidet in rationem quandam prorsus inopportunam, reductivam ac necessaria gravitate speculativa destitutam. Verbi causa, Christologia, quae « de basi » dumtaxat proficiscatur, quemadmodum hodie dicere consueverunt, vel ecclesiologia ad societatis civilis exemplum solummodo composita, talis reductionis periculum declinare non possent.|

97. Si l'interprétation des sources est une fonction importante de la théologie, la compréhension de la vérité révélée, ou l'élaboration de l'intellectus fidei, est ensuite pour elle une des tâches les plus délicates et les plus exigeantes. Comme il a déjà été dit, l'intellectus fidei suppose l'apport d'une philosophie de l'être qui permette avant tout à la théologie dogmatique de jouer pleinement son rôle. Le pragmatisme dogmatique du début de ce siècle, selon lequel les vérités de la foi ne seraient que des règles de conduite, a déjà été réfuté et rejeté;114 malgré cela, la tentation demeure toujours de comprendre ces vérités de manière uniquement fonctionnelle. Si tel était le cas, on en resterait à une démarche inappropriée, réductrice et dépourvue de la vigueur spéculative nécessaire. Par exemple, une christologie qui procéderait unilatéralement « d'en bas », comme on dit aujourd'hui, ou une ecclésiologie élaborée uniquement sur le modèle des sociétés civiles pourraient difficilement échapper à ce genre de réductionnisme.

Si traditionis theologicae universos complecti vult intellectus fidei thesauros, ad philosophiam essendi decurrere debet. Haec enim necessario quaestionem essendi rursus proponet secundum postulationes atque totius traditionis philosophicae etiam recentioris utilitates adlatas, omni omissa opportunitate in superatas iam philosophicas rationes futiliter recidendi. Intra metaphysicae christianae traditionis prospectum philosophia essendi est philosophia actuosa seu dynamica quae ipsis in suis ontologicis, causalibus et communicativis structuris praebet veritatem. Impetum suum ac perennem impulsum in eo reperit quod actu ipso « essendi » sustentatur, unde plena et generalis permittitur ad solidam rerum universitatem patefactio, omnibus excessis terminis ut Ille qui rebus omnibus consumationem tribuit attingatur. 115 Ea in theologia, quae sua ex Revelatione desumit principia tamquam a novo cognitionis fonte, haec omnino confirmatur indicandi ratio intimum secundum illud vinculum inter fidem et metaphysicam rationalitatem.|

Si l'intellectus fidei veut intégrer toute la richesse de la tradition théologique, il doit recourir à la philosophie de l'être. Cette dernière devra être capable de reprendre le problème de l'être en fonction des exigences et des apports de toute la tradition philosophique, y compris de la plus récente, en évitant de tomber dans la répétition stérile de schémas dépassés. La philosophie de l'être, dans le cadre de la tradition métaphysique chrétienne, est une philosophie dynamique, qui voit la réalité dans ses structures ontologiques, causales et relationnelles. Elle trouve sa force et sa pérennité dans le fait qu'elle se fonde sur l'acte même de l'être, qui permet une ouverture pleine et globale à toute la réalité, en dépassant toutes les limites jusqu'à parvenir à Celui qui mène toute chose à son accomplissement.115 Dans la théologie, qui tient ses principes de la Révélation en tant que source nouvelle de connaissance, cette perspective se trouve confirmée en vertu du rapport étroit qui relie la foi et la rationalité métaphysique.

98. Explicari similes possunt deliberationes etiam ratione habita moralis theologiae. Philosophiae redintegratio postulatur etiam ut intellegatur fides ad credentium vitam actionemque spectans. Ante oculos constitutis provocationibus hodiernis in re sociali, oeconomica, in re politica ac scientifica, ethica hominis conscientia confunditur. In Litteris Encyclicis Veritatis splendor docuimus Nos complures in orbe nostro exsistentes difficultates inde oriri quod est « crisis circa veritatem. Amissa notione veritatis universalis de bono quod ab humana mente percipi potest, necessario de conscientia opinio est immutata, quae iam suo in primigenio statu non consideratur, tamquam scilicet actus intellectus personae cuius est adhibere universalem cognitionem boni in peculiari quadam condicione et iudicium facere de honesto eligendo hic et nunc; eo tenditur ut personae conscientiae privilegium tribuatur statuendi autonoma ratione normam boni malique, indeque agendi. Mens haec arte coniungitur cum individualistica ethica, secundum quam quisque cum sua confertur veritate, quae ab aliorum veritate differt ». 116|

98. Des considérations analogues peuvent être faites également par rapport à la théologie morale. Il est urgent de revenir aussi à la philosophie dans le champ d'intelligence de la foi qui concerne l'agir des croyants. Devant les défis contemporains dans les domaines social, économique, politique et scientifique, la conscience éthique de l'homme est désorientée. Dans l'encyclique Veritatis splendor, j'ai fait remarquer que beaucoup de problèmes qui se posent dans le monde actuel découlent d'une « crise au sujet de la vérité [...]. Une fois perdue l'idée d'une vérité universelle quant au bien connaissable par la raison humaine, la conception de la conscience est, elle aussi, inévitablement modifiée: la conscience n'est plus considérée dans sa réalité originelle, c'est-à-dire comme un acte de l'intelligence de la personne, qui a pour rôle d'appliquer la connaissance universelle du bien dans une situation déterminée et d'exprimer ainsi un jugement sur la juste conduite choisir ici et maintenant; on a tendance à attribuer à la conscience individuelle le privilège de déterminer les critères du bien et du mal, de manière autonome, et d'agir en conséquence. Cette vision ne fait qu'un avec une éthique individualiste, pour laquelle chacun se trouve confronté à sa vérité, différente de la vérité des autres ».116

Totas per easdem Encyclicas Litteras praecipuas extulimus partes attinentes ad veritatem morali in provincia. Veritas haec de plerisque ethicis quaestionibus, quae magis hodie premunt, a theologia morali intentam exposcit meditationem quae eius in Dei verbo radices illuminet. Suum ut expleat hoc munus, debet ideo moralis theologia uti ethica philosophiae disciplina, quae bonorum veritatem respicit; ethica videlicet utatur oportet disciplina quae neque subiectiva sit neque utilitati soli serviat. Haec postulata ethica ratio importat atque ante flagitat philosophicam anthropologiam nec non metaphysicam bonorum tractationem. Hanc unicam rerum iudicationem adhibens, quae cum christiana vitae sanctitate virtutumque humanarum et supernaturalium exercitatione cohaeret, moralis theologia diversas sua in regione quaestiones agitare poterit — cuius generis sunt pax socialisque iustitia, familia, vitae defensio locorumque naturae custodia — multo quidem efficacius et plenius.|

Dans toute l'encyclique, j'ai clairement souligné le rôle fondamental de la vérité dans le domaine de la morale. Cette vérité, en ce qui concerne la plupart des problèmes éthiques les plus urgents, demande que la théologie morale mène une réflexion approfondie et sache faire ressortir que ses racines sont dans la parole de Dieu. Pour pouvoir remplir cette mission, la théologie morale doit recourir à une éthique philosophique portant sur la vérité du bien, et donc à une éthique ni subjectiviste ni utilitariste. L'éthique que l'on attend implique et présuppose une anthropologie philosophique et une métaphysique du bien. En s'appuyant sur cette vision unitaire, nécessairement liée à la sainteté chrétienne et à la pratique des vertus humaines et surnaturelles, la théologie morale sera en mesure d'aborder d'une manière plus appropriée et plus efficace les différents problèmes de sa compétence, tels que la paix, la justice sociale, la famille, la défense de la vie et de l'environnement naturel.

99. Theologicum Ecclesiae opus ad fidem et catechesim in primis nuntiandam deputatur. 117 Nuntiatio sive « kerygma » ad conversionem vocat, Christi proponendo veritatem quae eius consummatur paschali in Mysterio: in Christo, enim, uno veritatis agnosci potest plenitudo quae homines salvat (cfr Act 4,12; 1 Tim 2,4-6).|

99. L'œuvre théologique de l'Église est d'abord au service de l'annonce de la foi et de la catéchèse. 117 L'annonce ou kérygme appelle à la conversion, en proposant la vérité du Christ qui culmine en son Mystère pascal: en effet, il n'est possible de connaître la plénitude de la vérité qui sauve que dans le Christ (cf. Ac 4, 12; 1 Tm 2, 4-6).

Hinc probe pariter intellegitur cur praeter theologiam sibi etiam catechesis adsumat maius quoddam pondus: in se enim haec complectitur philosophica aliqua consectaria fidei sub lumine vestiganda. Doctrina intra catechesim tradita aliquid certe ad instituendam personam humanam confert. Debet catechesis, quae etiam communicatio est facta per verba, Ecclesiae Magisterium tota ex ipsius integritate praebere, 118 coniunctionem illius etiam cum credentium vita demonstrans. 119 Unicum ita efficitur doctrinam inter et vitam vinculum quod aliter attingi non potest. Non sane veritatum intellectivarum corpus in catechesi traditur, verum viventis Dei mysterium. 120|

Dans ce contexte, on comprend bien pourquoi, à côté de la théologie, la mention de la catéchèse a de l'importance: en effet, cette dernière a des implications philosophiques qu'il convient d'approfondir à la lumière de la foi. L'enseignement donné par la catéchèse a une influence dans la formation de la personne. La catéchèse, qui est aussi la communication d'un langage, doit présenter la doctrine de l'Église dans son intégralité, 118 en montrant ses rapports avec la vie des croyants.119 On parvient ainsi à unir de manière spécifique l'enseignement et la vie, ce qu'il est impossible de réaliser autrement. Ce que communique la catéchèse, en effet, ce n'est pas un corps de vérités conceptuelles, mais le mystère du Dieu vivant. 120

Plurimum aequabiliter philosophica disputatio confert ad necessitudinem collustrandam inter veritatem et vitam, inter eventum et doctrinalem veritatem ac, praesertim, rationem inter transcendentem veritatem et sermonem qui humanitus intellegi potest. 121 Mutua consociatio inter disciplinas theologicas et exitus variis ex opinationibus philosophicis perceptos exprimet, itaque, veram fecunditatem in fide communicanda altiusque in ea comprehendenda.|

La réflexion philosophique peut beaucoup contribuer à la clarification des rapports entre la vérité et la vie, entre l'événement et la vérité doctrinale, et surtout la relation entre la vérité transcendante et le langage humainement intelligible.121 Les échanges qui se créent entre disciplines théologiques et les résultats obtenus par différents courants philosophiques peuvent donc se révéler d'une réelle fécondité en vue de communiquer la foi et de la comprendre de manière plus approfondie.


CONCLUSIO


CONCLUSION


100. Quandoquidem iam transierunt plus quam centum anni cum Leonis XIII Litterae Encyclicae Æterni Patris prodierunt, quas saepenumero hoc in Nostro scripto commemoravimus, necessarium Nobis visum est de necessitudine inter fidem et philosophiam distinctius sermonem repetere. Omnino manifestum est momentum quod habet philosophica cogitatio in cultura explicanda et in personalibus socialibusque moribus temperandis. Ipsa multum potest, quod haud semper clare percipitur, etiam circa theologiam eiusdemque diversas disciplinas. Has propter causas consentaneum necessariumque esse iudicavimus vim confirmare quam philosophia pro fidei intellectu finibusque habet, quibus ipsa occurrit cum obliviscitur vel Revelationis veritates denegat. Ecclesia enim persuasissimum habet fidem et rationem « opem sibi mutuam » ferre, 122 dum utraque simul iudicium criticum et purificatorium exercet, simul stimulum admovet ad inquisitionem producendam et altius perscrutandas res.|

100. Plus de cent ans après la publication de l'encyclique Æterni Patris de Léon XIII, à laquelle je me suis référé à plusieurs reprises dans ces pages, il m'a semblé qu'il convenait de reprendre à nouveau, et de manière plus systématique, l'exposé des rapports entre la foi et la philosophie. Il est évident que la pensée philosophique a une grande importance dans le développement des cultures et dans l'orientation des comportements personnels et sociaux. Elle exerce aussi une forte influence, que l'on ne reconnaît pas toujours explicitement, sur la théologie et ses différentes disciplines. Pour ces motifs, j'ai considéré qu'il était juste et nécessaire de souligner la valeur qu'a la philosophie pour l'intelligence de la foi et les limites qu'elle rencontre lorsqu'elle oublie ou rejette les vérités de la Révélation. L'Eglise demeure en effet profondément convaincue que la foi et la raison « s'aident mutuellement », 122 exerçant l'une à l'égard de l'autre une fonction de crible purificateur ou bien de stimulant pour avancer dans la recherche et l'approfondissement.

101. Si autem opinationum historiam respicimus, in occidentali potissimum parte, commode percipiuntur divitiae quae ad hominum progressum a philosophiae et theologiae occursu atque ab earum ipsarum acquisitionum permutationibus manarunt. Theologia, quae dono apertionem recepit proprietatemque quarum vi tamquae fidei scientia exsistere valet, rationem certe lacessivit ut radicali novitati pateret, quam Dei revelatio secum fert. Hoc sine dubio philosophiae fuit utilitati, quae hoc modo novos prospectus in alias significationes comparere vidit, quae rationi altius sunt perscrutandae.|

101. Si nous portons notre regard sur l'histoire de la pensée, surtout en Occident, il est facile de découvrir la richesse de ce qu'ont produit pour le progrès de l'humanité la rencontre entre la philosophie et la théologie et la communication de leurs conquêtes respectives. La théologie, qui a reçu en partage une ouverture et une spécificité qui lui permettent d'exister comme science de la foi, a certainement incité la raison à rester ouverte à la nouveauté radicale que porte en elle la révélation de Dieu. Et cela a indubitablement été à l'avantage de la philosophie, qui a vu se déployer ainsi de nouvelles perspectives de significations inédites que la raison est appelée à approfondir.

His quidem consideratis rebus, quemadmodum confirmavimus theologiae esse sinceram cum philosophia necessitudinem redintegrare, ita similiter iterare debemus philosophiae pro cogitationis bono et progressu recuperandam esse cum theologia necessitudinem. Reperiet in ea non singulorum hominum cogitationem, quae, quamvis alta locuplesque sit, unius personae tamen limitibus et lineamentis circumscribitur, sed communis cogitationis divitias. Theologia namque in veritate perquirenda, sua natura, nota ecclesialitatis 123 sustentatur itemque Dei Populi traditione cum multiformitate sapientiae et culturarum in fidei unitate.|

C'est précisément en fonction de cette constatation que, de même que j'ai redit le devoir pour la théologie de reprendre son rapport authentique avec la philosophie, je crois devoir insister sur la convenance pour la philosophie de retrouver sa relation avec la théologie, en vue du bien et du progrès de la pensée. La philosophie trouvera dans la théologie non pas une réflexion individuelle qui, même si elle est profonde et riche, comporte toujours les limites de perspectives caractéristiques de la pensée d'une seule personne, mais la richesse d'une réflexion commune. La théologie, dans sa recherche de la vérité, est en effet soutenue, de par sa nature même, par son caractère d'ecclésialité123 et par la tradition du peuple de Dieu, grâce à son riche foisonnement de savoirs et de cultures dans l'unité de la foi.

102. In momento et philosophicae cogitationis vera magnitudine hoc modo innitens, Ecclesia tum hominis dignitatem tum evangelicum nuntium tuetur. Nihil hodie plus quam haec praeparatio instat, perducendi scilicet homines ad eorum detegendam facultatem cognoscendi verum 124 inveniendique anhelitum versus summam consummatamque exsistentiae significationen. Harum altarum rationum in prospectu, quas Deus in hominum natura inscripsit, liquidius humana apparet significatio Dei verbi, quod humaniores reddit homines. Philosophiae beneficio, quae etiam vera facta est sapientia, huius temporis homo sic agnoscet se tanto esse humaniorem quanto plus, Evangelio confidendo, Christo pateat.|

102. Par une telle insistance sur l'importance et sur les véritables dimensions de la pensée philosophique, l'Eglise promeut à la fois la défense de la dignité de l'homme et l'annonce du message évangélique. Pour accomplir ces tâches, il n'y a pas en effet de préparation plus urgente aujourd'hui que celle-ci: conduire les hommes à la découverte de leur capacité de connaître la vérité 124 et de leur désir d'aller vers le sens ultime et définitif de l'existence. Dans la perspective de ces profondes exigences, inscrites par Dieu dans la nature humaine, le sens humain et humanisant de la parole de Dieu paraît encore plus clair. Grâce à la médiation d'une philosophie devenue une vraie sagesse, l'homme contemporain parviendra ainsi à reconnaître qu'il sera d'autant plus homme qu'il s'ouvrira davantage au Christ, en mettant sa confiance dans l'Evangile.

103. Philosophia, praeterea, est tamquam speculum in quod populorum cultus repercutitur. Philosophia, quae, theologicis necessitatibus impellentibus, una cum fide concorditer progreditur, particeps est illius « culturae evangelizationis », quam Paulus VI inter praecipua evengelizationis proposita annumeravit. 125 Dum autem novae evangelizationis necessitatem iterare numquam intermittimus, philosophos compellamus, qui altius veri, boni et pulchri granditatem vestigent, quibus Dei verbum aditum patere sinit. Id magis instat, si provocationes expenduntur, quas novum millennium secum ferre videtur: ipsae peculiari ratione regiones antiquaeque traditionis christianae culturas afficiunt. Haec quoque consideratio veluti praecipuum originaleque ad novam evangelizationem persequendam habendum est adiumentum.|

103. En outre, la philosophie est comme le miroir dans lequel se reflète la culture des peuples. Une philosophie qui, sous l'impulsion des exigences de la théologie, évolue en harmonie avec la foi fait partie de l'« évangélisation de la culture » que Paul VI a indiquée comme l'un des objectifs fondamentaux de l'évangélisation. 125 Tandis que je ne me lasse pas de proclamer l'urgence d'une nouvelle évangélisation, je fais appel aux philosophes pour qu'ils sachent approfondir les dimensions du vrai, du bon et du beau, auxquelles donne accès la parole de Dieu. Cela devient plus urgent lorsque l'on considère les défis que le nouveau millénaire semble lancer et qui touchent particulièrement les régions et les cultures d'ancienne tradition chrétienne. Cette préoccupation doit aussi être considérée comme un apport fondamental et original sur la route de la nouvelle évangélisation.

104. Philosophica in disciplina saepe solummodo invenitur consensus et dialogus instituitur cum illis qui nostram fidem haud communicant. Hodiernus philosophicus motus postulat ut philosophi attente periteque fideles agant partes facultatibusque polleant ea percipiendi quae hodiernis temporibus exspectantur, recluduntur et agitantur. Dum secundum rationem eiusque regulas argumentatur, christianus philosophus, qui illo semper intellectu dirigitur quem Dei verbum subministrat, quandam ratiocinationem agere potest quae etiam ab illis, qui nondum omnem veritatem capiunt quam divina Revelatio ostendit, intellegi et sensu percipi potest. Provincia haec in qua consensus ac dialogus reperiuntur eo plus habet momenti propterea quod quaestiones quae impensius humanitati opponuntur — puta quaestionem oecologicam, pacis quaestionem vel convictum stirpium et culturarum — communi opera eaque perspicua et sincera Christianorum et asseclarum aliarum religionum expediri possunt necnon illorum quibus, quamvis nullius sint religionis, cordi est hominum renovatio. Id quidem confirmavit Concilium Oecumenicum Vaticanum II: « Desiderium talis colloquii, quod sola caritate erga veritatem ducatur, servata utique congrua prudentia, ex nostra parte neminem excludit, neque illos qui praeclara animi humani bona colunt, eorum vero Auctorem nondum agnoscunt, neque illos qui Ecclesiae opponuntur eamque variis modis persequuntur ». 126 Philosophia illa, in qua aliquid Christi veritatis splendet, qui est humanarum quaestionum una ac postrema responsio, 127 fulcimentum erit illius ethicae verae simulque omnem orbem complectentis, qua hodiernus homo indiget.|

104. La pensée philosophique est souvent l'unique terrain d'entente et de dialogue avec ceux qui ne partagent pas notre foi. Le mouvement philosophique contemporain requiert l'engagement résolu et compétent de philosophes croyants capables de reconnaître les aspirations, les ouvertures et les problématiques de ce moment de l'histoire. Par une argumentation fondée sur la raison et se conformant à ses règles, le philosophe chrétien, tout en étant toujours guidé par le supplément d'intelligence que lui donne la parole de Dieu, peut développer un raisonnement qui sera compréhensible et judicieux même pour ceux qui ne saisissent pas encore la pleine vérité que manifeste la Révélation divine. Ce terrain d'entente et de dialogue est aujourd'hui d'autant plus important que les problèmes qui se posent avec le plus d'urgence à l'humanité — que l'on pense aux problèmes de l'écologie, de la paix ou de la cohabitation des races et des cultures — peuvent être résolus grâce à une franche et honnête collaboration des chrétiens avec les fidèles d'autres religions et avec les personnes qui, tout en ne partageant pas une conviction religieuse, ont à cœur le renouveau de l'humanité. Le Concile Vatican II l'a affirmé: « Le désir d'un tel dialogue, qui soit conduit par le seul amour de la vérité, étant sauve de toute façon la prudence qui convient, n'exclut personne, pour ce qui est de nous, ni ceux qui tiennent en honneur les biens élevés de l'âme humaine, mais qui n'en reconnaissent pas encore l'auteur, ni ceux qui s'opposent à l'Eglise et la persécutent de diverses manières ».126 Une philosophie dans laquelle se reflète quelque chose de la vérité du Christ, réponse unique et définitive aux problèmes de l'homme, 127 sera un appui efficace pour l'éthique véritable et en même temps planétaire dont a besoin l'humanité aujourd'hui.

105. His Litteris encyclicis finem imponentibus, Nobis placet cumprimis ad theologos mentem Nostram postremo convertere, qui peculiari animi intentione philosophicas Dei verbi implicationes observent ac cogitationes in illa re defigant, unde speculativa ac practica scientiae theologicae granditas emergat. De ecclesiali opera iis gratias agere cupio. Artus inter sapientiam philosophicam et theologicam disciplinam nexus in singularissimis christianae traditionis divitiis de revelata veritate vestiganda ponitur. Quapropter eosdem cohortamur ut recipiant et veritatis metaphysicam rationem clarius extollant ad criticum et impellentem dialogum instituendum sive cum nostrae aetatis philosophia sive cum omni philosophica traditione, quae cum Dei verbo concinat aut dissonet. Ob oculos continenter habeant sententiam praeclari cogitationis spiritalitatisque magistri, sancti Bonaventurae scilicet, qui legentem suum in Itinerarium mentis in Deum introducens, eundem monet « ne forte credat, quod sibi sufficiat lectio sine unctione, speculatio sine devotione, investigatio sine admiratione, circumspectio sine exultatione, industria sine pietate, scientia sine caritate, intelligentia sine humilitate, studium absque divina gratia, speculum absque sapientia divinitus inspirata ». 128|

105. Je tiens à conclure cette Encyclique en m'adressant encore une fois surtout aux théologiens, afin qu'ils accordent une attention particulière aux implications philosophiques de la parole de Dieu et qu'ils mènent une réflexion qui fasse ressortir la densité spéculative et pratique de la science théologique. Je voudrais les remercier de leur service ecclésial. Le lien intime entre la sagesse théologique et le savoir philosophique est une des richesses les plus originales de la tradition chrétienne pour l'approfondissement de la vérité révélée. C'est pourquoi j'exhorte les théologiens à reprendre et à mettre en valeur le mieux possible la dimension métaphysique de la vérité afin d'entrer ainsi dans un dialogue critique et exigeant avec la pensée philosophique contemporaine comme avec toute la tradition philosophique, qu'elle soit en accord ou en opposition avec la parole de Dieu. Qu'ils aient toujours présente à l'esprit la consigne d'un grand maître de la pensée et de la spiritualité, saint Bonaventure, qui, en introduisant le lecteur à son Itinerarium mentis in Deum, l'invitait « à ne pas croire qu'on peut se satisfaire de la lecture sans componction, de la spéculation sans dévotion, de la recherche sans admiration, de la prudence sans exultation, de l'activité sans piété, de la science sans charité, de l'intelligence sans humilité, de l'étude séparée de la grâce divine, de la réflexion séparée de la sagesse inspirée par Dieu ». 128

Mens quoque Nostra ad eos dirigitur quorum est sacerdotibus institutionem tradere, tam academicam quam pastoralem, ut peculiari studio philosophicam praeparationem curent illorum qui hodiernis hominibus Evangelium enuntiare debebunt, ac magis illorum qui theologiae perquirendae et docendae operam dabunt. Ad Concilii Oecumenici Vaticani II praescripta 129 et subsequentia praecepta operari contendant, ex quibus instans officium oritur, quod a nemine posthaberi potest, quodque nos omnes alligat, ut opem sincere profundeque feramus ad fidei veritatem communicandam. Grave porro officium non est obliviscendum magistrorum antea convenienterque instituendorum, qui in Seminariis et ecclesiasticis Institutis philosophiam tradant. 130 Necesse est hoc docendi opus congruentem scientificam institutionem secum ferat, ordinatam rationem exhibeat, magnum traditionis christianae suppeditando patrimonium efficiaturque denique debito iudicio, hodiernis spectatis Ecclesiae mundique necessitatibus.|

Ma pensée se tourne aussi vers ceux qui portent la responsabilité de la formation sacerdotale, académique et pastorale, afin qu'ils assurent avec une particulière attention la formation philosophique de ceux qui auront à annoncer l'Evangile aux hommes d'aujourd'hui et, plus encore, de ceux qui devront se consacrer à l'enseignement de la théologie et à la recherche. Qu'ils s'efforcent de conduire leur travail à la lumière des prescriptions du Concile Vatican II 129 et des dispositions prises par la suite, qui mettent en relief le devoir urgent et nécessaire pour tous de contribuer à une communication authentique et profonde des vérités de la foi. Que l'on n'oublie pas que c'est une grave responsabilité d'assurer la formation préalable et adéquate du corps de professeurs destinés à l'enseignement de la philosophie dans les séminaires et dans les facultés ecclésiastiques. 130 Il est indispensable que cette formation comporte une préparation scientifique appropriée, qu'elle soit conçue de manière systématique en présentant le grand patrimoine de la tradition chrétienne, et qu'elle soit conduite avec le discernement qui convient devant les besoins actuels de l'Église et du monde.

106. Ad philosophos praeterea Nos convertimus et eos qui philosophiam docent, ut, ob oculos philosophica traditione usque probabili habita, animose repetant sincerae sapientiae veritatisque, metaphysicae etiam, philosophicae disciplinae rationes. Se illis interrogari patiantur postulationibus, quae e Dei verbo effluunt ac strenue suam ratiocinationem et argumentationem agant ut ei interrogationi respondeatur. Ad veritatem usque tendant atque ad bonum quod verum continet sint intenti. Hoc modo sinceram illam ethicam effingere poterunt, qua homines, his potissimum annis, omnino indigent. Ecclesia attente et amabiliter eorum inquisitiones spectat; pro certo ideo habeant eam iustam eorum scientiae autonomiam colere. Credentibus praesertim animum addere volumus, qui in philosophica provincia agunt, ut varios ambitus humanae industriae per rationem illam collustrent quae securior acriorque fit propter adiumentum quod fides ministrat.|

106. Mon appel s'adresse également aux philosophes et à ceux qui enseignent la philosophie, afin qu'ils aient le courage de retrouver, dans le sillage d'une tradition philosophique constante et valable, les qualités de sagesse authentique et de vérité, y compris métaphysique, de la pensée philosophique. Qu'ils se laissent interpeller par les exigences qui découlent de la parole de Dieu et qu'ils aient la force de conduire leur discours rationnel et leur argumentation en fonction de cette interpellation. Qu'ils soient toujours tendus vers la vérité et attentifs au bien que contient le vrai. Ils pourront ainsi formuler l'éthique authentique dont l'humanité a un urgent besoin, particulièrement en ces années. L'Eglise suit avec attention et avec sympathie leurs recherches; par conséquent, qu'ils soient assurés du respect qu'elle garde pour la légitime autonomie de leur science. Je voudrais encourager en particulier les croyants qui travaillent dans le domaine de la philosophie, afin qu'ils éclairent les divers champs de l'activité humaine par l'exercice d'une raison qui se fait d'autant plus sûre et perspicace qu'elle reçoit le soutien de la foi.

Facere denique non possumus quin scientiae peritos alloquamur, qui suis inquisitionibus de mundo in universum plus plusque cognitionum praebent deque incredibili varietate ipsius elementorum, tum animalium tum inanimorum, quae multiplices structuras atomicas et moleculares exhibent. Hoc potissimum saeculo ii tam progressi sunt ac tales attigerunt metas, ut admiratione nos subinde afficiamur. Dum admiramur ac simul incitamus hos scientificae inquisitionis vestigatores principes, quibus multum praesentis prosperitatis debet humanitas, eos cohortemur oportet ut suos labores usque persequantur, semper in illa sapientiae provincia manentes, in qua cum scientiae technicaeque artis fructibus bona philosophica et ethica coniunguntur, quibus peculiariter et artissimo vinculo persona humana significatur. Scientiae cultor prorsus sibi est conscius veritatis vestigationem numquam desinere, etiam cum ad quandam finitam mundi hominisve partem spectat; ad quiddam reicit enim quod locatur supra proxima studiorum obiecta, ad interrogationes scilicet quae Mysterii aditum recludunt. 131|

Je ne peux pas manquer non plus, enfin, de me tourner vers les scientifiques qui, par leurs recherches, nous apportent une connaissance croissante de l'univers dans son ensemble et de la diversité incroyablement riche de ses composantes animées et inanimées, avec leurs structures atomiques et moléculaires complexes. Sur le chemin parcouru, spécialement en ce siècle, ils ont franchi des étapes qui ne cessent de nous impressionner. En exprimant mon admiration et mes encouragements aux valeureux pionniers de la recherche scientifique, auxquels l'humanité doit une si grande part de son développement actuel, je ressens le devoir de les exhorter à poursuivre leurs efforts en demeurant toujours dans la perspective sapientielle, dans laquelle les acquis scientifiques et technologiques s'associent aux valeurs philosophiques et éthiques qui sont des manifestations spécifiques et essentielles de la personne humaine. Le scientifique a bien conscience que « la quête de la vérité, même si elle concerne la réalité finie du monde ou de l'homme, est sans fin, mais renvoie toujours à quelque chose de plus élevé que l'objet d'étude immédiat, vers des questions qui donnent accès au Mystère ». 131

107. Omnes rogamus ut penetralia contueantur hominis, quem Christus suo in amoris mysterio servavit, quique usque veritatem sensumque perquirit. Complures philosophicae scholae, eum fallentes, ei persuaserunt ipsum absolutum esse sui dominum, qui de fortuna sua deque eventura sorte per se decernere possit, sibimet ipsi suisque dumtaxat fidens viribus. Numqua haec erit hominis praestantia. Illud tantum eum efficiet quod in veritatem se inseri eligit, sub Sapientiae umbra suum struens domicilium ibique inhabitans. Hoc solummodo in veritatis prospectu intelleget plane exprimi suam libertatem ac suam ad dilectionem Deique congnitionem vocationem, veluti summam sui explicationem.|

107. A tous, je demande de considérer dans toute sa profondeur l'homme, que le Christ a sauvé par le mystère de son amour, sa recherche constante de la vérité et du sens. Divers systèmes philosophiques, faisant illusion, l'ont convaincu qu'il est le maître absolu de lui-même, qu'il peut décider de manière autonome de son destin et de son avenir en ne se fiant qu'à lui-même et à ses propres forces. La grandeur de l'homme ne pourra jamais être celle-là. Pour son accomplissement personnel, seule sera déterminante la décision d'entrer dans la vérité, en construisant sa demeure à l'ombre de la Sagesse et en l'habitant. C'est seulement dans cette perspective de vérité qu'il parviendra au plein exercice de sa liberté et de sa vocation à l'amour et à la connaissance de Dieu, suprême accomplissement de lui-même.

108. Postremam Nostram cogitationem ad Eam convertimus, quae Ecclesiae deprecatione Sedes Sapientiae invocatur. Ipsius vita vera est parabola quae collustrare poterit quae antea a Nobis dicta sunt. Etenim inter vocationem Beatae Virginis et verae philosophiae strictam consonantiam prospicere licet. Quemadmodum namque ad suam humanitatem et femininam naturam tradendam ipsa vocata est, unde Dei Verbum carnem sumere posset fieretque unus ex nobis, sic ad operam sustinendam, rationalem videlicet et criticam, vocatur philosophia, ut theologia, veluti fidei intellectio, fecunda sit et efficax. Atque sicut Maria, Gabrielis nuntio assentiendo, nihil suae verae humanitatis ac libertatis amisit, sic philosophica disciplina, in his accipiendis quae Evangelii veritas suppeditat, nihil suae autonomiae amittit, sed omnes suas inquisitiones ad summam perfectionem propelli experitur. Hanc quidem veritatem plane intellexerunt sancti antiquitatis christianae monachi, a quibus Maria « fidei mensa intellectualis » 132 appellabatur. Ipsam congruentem verae philosophiae effigiem respiciebant sibique erant conscii se debere cum Maria philosophari.|

108. Ma dernière pensée va à Celle que la prière de l'Eglise invoque comme Trône de la Sagesse. Sa vie même est une véritable parabole qui peut rayonner sa lumière sur la réflexion que j'ai faite. On peut en effet entrevoir une harmonie profonde entre la vocation de la bienheureuse Vierge et celle de la philosophie authentique. De même que la Vierge fut appelée à offrir toute son humanité et toute sa féminité afin que le Verbe de Dieu puisse prendre chair et se faire l'un de nous, de même la philosophie est appelée à exercer son œuvre rationnelle et critique afin que la théologie soit une intelligence féconde et efficace de la foi. Et comme Marie, dans l'assentiment donné à l'annonce de Gabriel, ne perdit rien de son humanité et de sa liberté authentiques, ainsi la pensée philosophique, en recevant l'appel qui lui vient de la vérité de l'Evangile, ne perd rien de son autonomie, mais se voit portée dans toute sa recherche à son plus haut accomplissement. Cette vérité, les saints moines de l'antiquité chrétienne l'avaient bien comprise, quand ils appelaient Marie « la table intellectuelle de la foi ».132 Ils voyaient en elle l'image cohérente de la vraie philosophie et ils étaient convaincus qu'ils devaient philosophari in Maria.

Sedes Sapientiae iis qui sapientiae vestigandae dependunt vitam portus sit tutus. Ad sapientiam iter, quod est postremum sincerumque omnis scientiae propositum, ab omnibus impedimentis expediat intercedendo Ea quae, Veritatem parturiens eandemque in corde servans, in sempiternum tota cum humanitate ipsam communicavit.|

Puisse le Trône de la Sagesse être le refuge sûr de ceux qui font de leur vie une recherche de la sagesse! Puisse la route de la sagesse, fin ultime et authentique de tout véritable savoir, être libre de tout obstacle, grâce à l'intercession de Celle qui, engendrant la Vérité et la conservant dans son cœur, l'a donnée en partage à toute l'humanité pour toujours!

Datum Romae, apud S. Petrum, die XIV mensis Septembris, in festo Exaltationis Sanctae Crucis, anno MCMXCVIII, Pontificatus Nostri vicesimo.|

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 14 septembre 1998, fête de la Croix glorieuse, en la vingtième année de mon Pontificat.




1 Iam primis Nostris in Litteris Encyclicis Redemptor hominis inscriptis ediximus: « Inde huius muneris Christi, prophetae, participes facti sumus et ex eodem munere cum eo servimus veritati divinae in Ecclesia. Officium circa hanc veritatem assumptum etiam idem valet atque eam amare et curare, quo penitius cognoscatur, ita ut ad eam, cum tota vi salvifica, qua pollet, cum splendore, quo nitet, cum profunditate simul et simplicitate, quibus distinguitur, propius accedamus ». N. 19: AAS 71 (1979), 306.|

1 Je l'écrivais déjà dans ma première encyclique Redemptor hominis: « Nous sommes devenus participants de cette mission du Christ prophète et, en vertu de la même mission, nous sommes avec lui au service de la vérité divine dans l'Église. La responsabilité envers cette vérité signifie aussi que nous devons l'aimer, en chercher la compréhension la plus exacte, de manière à la rendre plus accessible à nous-mêmes et aux autres dans toute sa force salvifique, dans sa splendeur, dans sa profondeur et en même temps dans sa simplicité » (n. 19: AAS 71 [1979], p. 306).

2 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 16.|

2 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 16.

3 Const. dogm. de Ecclesia Lumen gentium, 25.|

3 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n. 25.

4 N. 4: AAS 85 (1993), 1136.|

4 N. 4: AAS 85 (1993), p. 1136.

5 Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 2.|

5 Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2.

6 Cfr Const. dogm. de fide catholica Dei Filius, III: DS 3008.|

6 Cf. Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, III: DS 3008.

7 Ibid., IV: DS 3015; memoratum etiam in Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 59.|

7 Ibid., IV: DS 3015; cité aussi dans Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 59.

8 Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 2.|

8 Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2.

9 Litt. Ap. Tertio millennio adveniente (10 Novembris 1994), 10: AAS 87 (1995), 11.|

9 Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 10: AAS 87 (1995), p. 11.

10 N. 4.|

10 N. 4.

11 N. 8.|

11 N. 8.

12 N. 22.|

12 N. 22.

13 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 4.|

13 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 4.

14 Ibid., 5.|

14 Ibid., n. 5.

15 Concilium Vaticanum I, ad quod superior haec prolata refertur sententia, docet fidei oboeditionem opus postulare tum intellectus tum voluntatis: « Cum homo a Deo tamquam creatore et Domino suo totus dependeat et ratio creata increatae Veritati penitus subiecta sit, plenum revelanti Deo intellectus et voluntatis obsequium fide praestare tenemur » (Constitutio dogm. de fide catholica Dei Filius, III; DS 3008).|

15 Le premier Concile du Vatican, auquel se réfère l'affirmation rappelée ci-dessus, enseigne que l'obéissance de la foi exige l'engagement de l'intelligence et de la volonté. « Puisque l'homme dépend totalement de Dieu comme son Créateur et Seigneur et que la raison créée est complètement soumise à la Vérité incréée, nous sommes tenus de présenter par la foi à Dieu qui se révèle la soumission plénière de notre intelligence et de notre volonté »: Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, III: DS 3008.

16 Sequentia in sollemnitate Sanctissimi Corporis et Sanguinis Domini.|

16 Séquence de la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ.

17 Pensées, 789 (ed. L. Brunschvicg).|

17 Pensées, 789 (éd. L. Brunschvicg).

18 Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 22.|

18 Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 22.

19 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 2.|

19 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 2.

20 Prooemium et nn. 1. 15: PL 158, 223-224.226; 235.|

20 Préambule; 1;15: éd. M. Corbin, Paris (1986), pp. 223; 241; 266.

21 De vera religione, XXXIX, 72: CCL 32, 234.|

21 De vera religione, XXXIX, 72: CCL 32, p. 234.

22 « Ut te desiderando quaererent et inveniendo quiescerent »: Missale Romanum.|

22 Ut te semper desiderando quaererent et inveniendo quiescerent: Missel romain.

23 Aristoteles, Metaphysica, I, 1.|

23 Aristote, Métaphysique, I, 1.

24 Confessiones, X, 23, 33: CCL 27, 173.|

24 Confessions, X, 23,33: CCL 27, p. 173.

25 N. 34: AAS 85 (1993), 1160-1161.|

25 N. 34: AAS 85 (1993), p. 1161.

26 Cfr Ioannes Paulus II, Litt. Ap. Salvifici doloris (11 Februarii 1984), 9: AAS 76 (1984), 209-210.|

26 Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Salvifici doloris (11 février 1984), n. 9: AAS 76 (1984), pp. 209-210.

27 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Declaratio de Ecclesiae habitudine ad religiones non-christianas Nostra aetate, 2.|

27 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Déclaration sur les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n. 2.

28 Haec est ratiocinatio cui iam dudum studemus quamque saepius exprimimus: « Quid est homo, quis defectus, et quae est utilitas illius? Et quid est bonum, aut quid nequam illius? » (Eccli 18, 7). [...] Queste domande sono nel cuore di ogni uomo, come ben dimostra il genio poetico di ogni tempo e di ogni popolo, che, quasi profezia dell'umanità, ripropone continuamente la domanda seria che rende l'uomo veramente tale. Esse esprimono l'urgenza di trovare un perché all'esistenza, ad ogni istante, alle sue tappe salienti e decisive così come ai suoi momenti più comuni. In tali questioni è testimoniata la ragionevolezza profonda dell'esistere umano, poiché l'intelligenza e la volontà dell'uomo vi sono sollecitate a cercare liberamente la soluzione capace di offrire un senso pieno alla vita. Questi interrogativi, pertanto, costituiscono l'espressione più alta della natura dell'uomo; di conseguenza la risposta ad esse misura la profondità del suo impegno con la propria esistenza. In particolare quando il perché delle cose viene indagato con integralità alla ricerca della risposta ultima e più esauriente, allora la ragione umana tocca il suo vertice e si apre alla religiosità. In effetti, la religiosità rappresenta l'espressione più elevata della persona umana, perché è il culmine della sua natura razionale. Essa sgorga dall'aspirazione profonda dell'uomo alla verità ed è alla base della ricerca libera e personale che egli compie del divino »: Udienza Generale, 19 ottobre 1983, 1-2: Insegnamenti VI, 2 (1983), 814-815.|

28 C'est là une argumentation que je poursuis depuis longtemps et que j'ai exprimée en différentes occasions: « "Qu'est-ce que l'homme? À quoi sert-il? Quel est son bien et quel est son mal?" (Si 18, 8) [...] Ces questions sont au cœur de tout homme, comme le montre bien le génie poétique de tout temps et de tous les peuples qui, comme prophétie de l'humanité, repose continuellement la question sérieuse qui rend l'homme vraiment homme. Elles expriment l'urgence de trouver un pourquoi à l'existence à chacun de ses moments, à ses étapes importantes et décisives ainsi qu'à ses moments les plus ordinaires. Ces questions témoignent du bien-fondé profond de l'existence humaine car l'intelligence et la volonté de l'homme y sont sollicitées pour qu'elles cherchent librement la solution capable d'offrir un sens plein à la vie. Ces interrogations constituent donc l'expression la plus haute de la nature de l'homme et, par conséquent, la réponse qu'il leur donne est la mesure de la profondeur de son engagement à travers sa propre existence. En particulier, lorsqu'il cherche à connaître intégralement le pourquoi des choses et qu'il va à la recherche de la réponse ultime et la plus exhaustive, alors la raison humaine touche son sommet et s'ouvre à la religiosité. En effet, la religiosité représente l'expression la plus élevée de la personne humaine car elle est le sommet de sa nature rationnelle. Elle jaillit de l'aspiration profonde de l'homme à la vérité et elle est à la base de la recherche libre et personnelle qu'elle fait du divin » (Audience générale du 19 octobre 1983, nn. 1-2: La Documentation catholique 80 [1983], pp. 1071-1072).

29 « [Galilée] a declaré explicitement que les deux vérités, de foi et de science, ne peuvent jamais se contredire, "L'Ecriture sainte et la nature procédant également du Verbe divin, la première comme dictée par l'Esprit Saint, la seconde comme exécutrice très fidèle des ordres de Dieu", comme il l'a écrit dans sa lettre au Père Benedetto Castelli le 21 décembre 1613. Le Concile Vatican II ne s'exprime pas autrement; il reprend même des expressions semblables lorsqu'il enseigne: "Ideo inquisitio methodica in omnibus disciplinis, si... iuxta normas morales procedit, numquam fidei revera adversabitur, quia res profanae et res fidei ab eodem Deo originem ducunt" (Gaudium et spes, n. 36). Galilée ressent dans sa recherche scientifique la présence du Créateur qui le stimule, qui prévient et aide ses intuitions, en agissant au plus profond de son esprit ». Ioannes Paulus II, Discorso alla Pontificia Accademia delle Scienze, 10 Novembris 1979: Insegnamenti, II, 2 (1979), 1111-1112.|

29 « [Galilée] a déclaré explicitement que les deux vérités, de foi et de science, ne peuvent jamais se contredire, "l'Ecriture sainte et la nature procédant également du Verbe divin, la première comme dictée par l'Esprit Saint, la seconde comme exécutrice très fidèle des ordres de Dieu", comme il l'a écrit dans sa lettre au Père Benedetto Castelli le 21 décembre 1613. Le Concile Vatican II ne s'exprime pas autrement; il reprend même des expressions semblables lorsqu'il enseigne: "La recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle [...] suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu" (Gaudium et spes, n. 36). Galilée ressent dans sa recherche scientifique la présence du Créateur qui le stimule, qui prévient et aide ses intuitions, en agissant au plus profond de son esprit » (Jean-Paul II, Discours à l'Académie pontificale des sciences, 10 novembre 1979: La Documentation catholique 76 [1979], p. 1010).

30 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 4.|

30 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 4.

31 Origenes, Contra Celsum, 3, 55: SC 136, 130.|

31 Origène, Contre Celse, 3, 55: SC 136, p. 130.

32 Dialogus cum Tryphone Iudaeo, 8, 1: PG 6, 492.|

32 Dialogue avec Tryphon, 8, 1: PG 6, 492.

33 Stromata I, 18, 90, 1: SC 30, 115.|

33 Stromates I, 18, 90, 1: SC 30, p. 115.

34 Cfr ibid. I, 16, 80, 5: SC 30, 108.|

34 Cf. ibid. I, 16, 80, 5: SC 30, p. 108.

35 Cfr ibid. I, 5, 28, 1: SC 30, 65.|

35 Cf. ibid. I, 5, 28, 1: SC 30, p. 65.

36 Ibid. VI, 7, 55, 1-2: PG 9, 277.|

36 Ibid., VI, 7, 55, 1-2: PG 9, 277.

37 Ibid. I, 20, 100, 1: SC 30, 124.|

37 Ibid., I, 20, 100, 1: SC 30, p. 124.

38 S. Augustinus, Confessiones VI, 5, 7: CCL 27, 77-78.|

38 S. Augustin, Confessions VI, 5, 7: CCL 27, pp. 77-78.

39 Cfr ibid., VII, 9, 13-14: CCL 27, 101-102.|

39 Cf. ibid., VII, 9, 13-14: CCL 27, pp. 101-102.

40 De praescriptione haereticorum, VII, 9: SC 46, 98.|

40 De præscriptione hæreticorum, VII, 9: SC 46, p. 98: « Quid ergo Athenis et Hierosolymis? Quid Academiæ et Ecclesiæ? ».

41 Cfr Congregatio de Institutione Catholica, Instructio de Patrum Ecclesiae studio in sacerdotali institutione (10 Novembris 1989), 25: AAS 82 (1990), 617-618.|

41 Cf. Congrégation pour l'Education catholique, Instruction sur l'étude des Pères de l'Eglise dans la formation sacerdotale (10 novembre 1989), n. 25: AAS 82 (1990), pp. 617-618.

42 S. Anselmus, Proslogion, 1: PL 158, 226.|

42 S. Anselme, Proslogion, 1: éd. M. Corbin, Paris (1986), p. 239.

43 Id., Monologion, 64: PL 158, 210.|

43 Idem, Monologion, 64: éd. M. Corbin, Paris (1986), p. 181.

44 Cfr Summa contra Gentiles I, VII.|

44 Cf. S. Thomas d'Aquin, Somme contre les Gentils, I, VII.

45 Cfr Summa Theologiae, I, 1, 8 ad 2: « cum enim gratia non tollat naturam sed perficiat ».|

45 Cf. idem, Somme théologique, I, q. 1, a. 8, ad 2: « cum enim gratia non tollat naturam sed perficiat ».

46 Cfr Ioannes Paulus II, Allocutio ad participes IX Congressus Thomistici Internationalis (29 Septembris 1990): Insegnamenti, XIII, 2 (1990), 770-771.|

46 Cf. Jean-Paul II, Discours aux participants au IXe Congrès thomiste international (29 septembre 1990): Insegnamenti, XIII, 2 (1990), pp. 770-771.

47 Litt. Ap. Lumen Ecclesiae (20 Novembris 1974), 8: AAS 66 (1974), 680.|

47 Lettre apostolique Lumen Ecclesiæ (20 novembre 1974), n. 8: AAS 66 (1974), p. 680.

48 Cfr ibid., I, 1, 6: « Praeterea, haec doctrina per studium acquiritur. Sapientia autem per infusionem habetur, unde inter septem dona Spiritus Sancti connumeratur ».|

48 Cf. I, q. 1, a. 6: « Præterea, hæc doctrina per studium acquiritur. Sapientia autem per infusionem habetur, unde inter septem dona Spiritus Sancti connumeratur » - « De plus, cette doctrine s'acquiert par l'étude. La sagesse est possédée par infusion et elle est donc comptée parmi les sept dons du Saint-Esprit ».

49 Ibid., II, II, 45, 1 ad 2; cfr etiam II, II, 45, 2.|

49 Ibid., II-II, q. 45, a. 1, ad 2; cf. aussi II-II, q. 45, a. 2.

50 Ibid. I, II, 109, 1 ad 1 ubi notam Ambrosiastri In 1 Cor 12, 3 dictionem resumit: PL 17, 258.|

50 Ibid., I-II, q. 109, a. 1, ad 1, qui reprend la célèbre phrase de l'Ambrosiaster, In prima Cor 12,3: PL 17, 258.

51 Leo XIII, Litt. Encycl. Æterni Patris (4 Augusti 1879): ASS 11 (1878-1879), 109.|

51 Léon XIII, Encycl. ÆTERNI PATRIS (4 août 1879): ASS 11 (1878-1879), p. 109.

52 Paulus VI, Litt. Ap. Lumen Ecclesiae (20 Novembris 1974), 8: AAS 66 (1974), 683.|

52 Paul VI, Lettre apost. Lumen Ecclesiæ (20 novembre 1974), n. 8: AAS 66 (1974), p. 683.

53 Litt. Encycl. Redemptor hominis (4 Martii 1979), 15: AAS 71 (1979), 286.|

53 Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 15: AAS 71 (1979), p. 286.

54 Cfr Pius XII, Litt. Encycl. Humani generis (12 Augusti 1950): ASS 42 (1950), 566.|

54 Cf. Pie XII, Encycl. Humani generis (12 août 1950): AAS 42 (1950), p. 566.

55 Cfr Conc. Oecum. Vat. I, Const. dogm. de Ecclesia Christi Pastor aeternus: DS 3070; Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de Ecclesia Lumen gentium, 25 c.|

55 Cf. Conc. œcum. Vat. I, Première Const. dogm. sur l'Eglise du Christ Pastor æternus: DS 3070; Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n. 25.

56 Cfr Synodus Constantinopolitana, DS 403.|

56 Cf. Synode de Constantinople: DS 403.

57 Cfr Concilium Toletanum I, DS 205; Concilium Bracarense I, DS 459-460; Xystus V, Bulla Coeli et terrae Creator (5 Ianuarii 1586); Bullarium Romanum 4/4, Romae 1747, 176-179; Urbanus VIII, Inscrutabilis iudiciorum (1 Aprilis 1631): Bullarium Romanum, 6/1, Romae 1758, 268-270.|

57 Cf. Concile de Tolède I:, DS 205; Concile de Braga I, DS 459-460; Sixte V, Bulle Cæli et terræ Creator (5 janvier 1586): Bullarium Romanum 4/4, Rome (1747), pp. 176-179; Urbain VIII, Inscrutabilis iudiciorum (1er avril 1631): Bullarium Romanum 6/1, Rome (1758), pp. 268-270.

58 Cfr Conc. Oecum. Viennense, Decr. Fidei catholicae, DS 902; Conc. Oecum. Laternanese V, Bulla Apostolici regiminis, DS 1440.|

58 Cf. Conc. œcum. de Vienne, décret Fidei catholicæ: DS 902; Conc. œcum. Latran V, Bulle Apostolici regiminis: DS 1440.

59 Cfr Theses a Ludovico Eugenio Bautain iussu sui Episcopi subscriptae (8 Septembris 1840), DS, 2751-2756; Theses a Ludovico Eugenio Bautain ex mandato S. Congr. Episcoporum et Religiosorum subscriptae (26 Aprilis 1884), DS 2765-2769.|

59 Cf. Theses a Ludovico Eugenio Bautain iussu sui Episcopi subscriptæ (8 septembre 1840): DS 2751-2756; Theses a Ludovico Eugenio Bautain ex mandato S. Congr. Episcoporum et Religiosorum subscriptæ (26 avril 1844): DS 2765-2769.

60 Cfr S. Congr. Indicis, Decr. Theses contra traditionalismum Augustini Bonnetty (11 Iunii 1855), DS 2811-2814.|

60 Cf. S. Congr. Indicis, Décret Theses contra traditionalismum Augustini Bonnetty (11 juin 1855): DS 2811-2814.

61 Cfr Pius IX, Breve Eximiam tuam (15 Iunii 1857), DS 2828-2831; Breve Gravissimas inter (11 Decembris 1862) DS 2850-2861.|

61 Cf. Pie IX, Bref Eximiam tuam (15 juin 1857): DS 2828-2831; Bref Gravissimas inter (11 décembre 1862): DS 2850-2861.

62 Cfr S. Congr. S. Officii, Decr. Errores ontologistarum (18 Septembris 1861), DS 2841-2847.|

62 Cf. S. Congr. du Saint-Office, Décret Errores ontologistarum (18 septembre 1861): DS 2841-2847.

63 Cfr Conc. Oecum. Vat. I, Cost. dogm. de fide catholica Dei Filius, II: DS 3004; et can. 2,1: DS 3026.|

63 Cf. Conc. œcum. Vat. I, Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, II: DS 3004; can. 2, 1: DS 3026.

64 Ibid., IV: DS 3015, memoratum in Conc. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 59.|

64 Ibid., IV: DS 3015, cité par le Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 59.

65 Conc. Oecum. Vat. I, Const. dogm. de fide catholica Dei Filius, IV: DS 3017.|

65 Conc. œcum. Vat. I, Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, IV: DS 3017.

66 Cfr Litt. Encycl. Pascendi dominici gregis (8 Septembris 1907): ASS 40 (1907), 596-597.|

66 Cf. Encycl. Pascendi dominici gregis (8 septembre 1907): ASS 40 (1907), pp. 596-597.

67 Cfr Pius XI, Litt. Encycl. Divini Redemptoris (19 Martii 1937): AAS 29 (1937), 65-106.|

67 Cf. Pie XI, Encycl. Divini Redemptoris (19 mars 1937): AAS 29 (1937), pp. 65-106.

68 Litt. Encycl. Humani generis (12 Augusti 1950): AAS 42 (1950), 562-563.|

68 Encycl. Humani generis (12 août 1950): AAS 42 (1950), pp. 562-563.

69 Ibid., l.m., 563-564.|

69 Ibid.: l.c., pp. 563-564.

70 Cfr Ioannes Paulus II, Const. Ap. Pastor Bonus (28 Iunii 1988), artt. 48-49: AAS 80 (1988), 873: Congr. de Doctrina Fidei, Istructio de ecclesiali theologi vocatione Donum veritatis (24 Maii 1990), 18: AAS 82 (1990), 1558.|

70 Cf. Jean-Paul II, Const. apost. Pastor bonus (28 juin 1988), art. 48-49: AAS 80 (1988), p. 873; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien Donum veritatis (24 mai 1990), n. 18: AAS 82 (1990), p. 1558.

71 Cfr Instr. de quibusdam aspectibus « theologiae liberationis » Libertatis nuntius (6 Augusti 1984), VII-X: AAS 76 (1984), 890-903.|

71 Cf. Instruction sur quelques aspects de la « théologie de la libération » Libertatis nuntius (6 août 1984), VII-X: AAS 76 (1984), pp. 890-903.

72 Concilium Vaticanum I claris iam verbis et auctoritate hunc errorem iam condemnavit « Hanc vero fidem [...] Ecclesia catholica profitetur, virtutem esse supernaturalem, qua, Dei aspirante et adiuvante gratia, ab ea revelata esse credimus, non propter intrinsecam rerum veritatem naturali rationis lumine perspectam, sed propter auctoritatem ipsius Dei revelantis, qui nec falli nec fallere potest »: Const. dogm. Dei Filius, III: DS 3008, et can. 3.2: DS 3032. Ceterum idem Concilium sic iudicat: « ratio numquam idonea redditur ad ea percipienda instar veritatum, quae proprium ipsius obiectum constituunt »: ibid., IV: DS 3016. Sic haec conclusio: « Quapropter omnes christiani fideles huiusmodi opiniones, quae fidei doctrinae contrariae esse cognoscuntur, maxime si ab Ecclesia reprobatae fuerint, non solum prohibentur tamquam legitimas scientiae conclusiones defendere, sed pro erroribus potius, qui fallacem veritatis speciem prae se ferant, habere tenentur omnino »: ibid., IV: DS 3018.|

72 Par des paroles claires et exprimées avec autorité, le Concile Vatican I avait déjà condamné cette erreur, affirmant d'une part que « quant à la foi [...], l'Eglise catholique professe qu'elle est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus par Dieu et aidés par la grâce, nous croyons vraies les choses qu'il nous a révélées, non pas à cause de leur vérité intrinsèque perçue par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de Dieu même qui révèle, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper »: Const. dogmat. Dei Filius, III: DS 3008; can. 3, 2: DS 3032. D'autre part, le Concile déclarait que la raison n'est jamais « rendue capable de pénétrer [les mystères] de la même manière que les vérités qui constituent son propre objet »: ibid., IV: DS 3016. De là découlait la conclusion pratique: « Les fidèles chrétiens non seulement n'ont pas le droit de défendre comme de légitimes conclusions de la science les opinions connues comme contraires à la foi, surtout si elles ont été réprouvées par l'Eglise, mais ils sont strictement tenus de les considérer plutôt comme des erreurs parées de quelque apparence trompeuse de vérité »: ibid., IV: DS 3018.

73 Cfr nn. 9-10.|

73 Cf. nn. 9-10.

74 Ibid., 10.|

74 Ibid., n. 10.

75 Ibid., 21.|

75 Ibid., n. 21.

76 Cfr ibid., 10.|

76 Cf. ibid., n. 10.

77 Cfr Litt. Encycl. Humani generis (12 Augusti 1950): AAS 42 (1950), 565-567: 571-573.|

77 Cf. Encycl. Humani generis (12 août 1950): AAS 42 (1950), pp. 565-567; 571-573.

78 Cfr Leo XIII, Litt. Encycl. Æterni Patris (4 Augusti 1879): ASS 11 (1878-1879), 97-115.|

78 Cf. Encycl. ÆTERNI PATRIS (4 août 1879): ASS 11 (1878-1879), pp. 97-115.

79 Ibid., l.m. 109.|

79 Ibid.: l.c., p. 109.

80 Cfr nn. 14-15.|

80 Cf. nn. 14-15.

81 Cfr ibid., 20-21.|

81 Cf. ibid., nn. 20-21.

82 Ibid., 22; cfr Ioannes Paulus II, Litt. Encycl. Redemptor hominis (4 Martii 1979), 8: AAS 71 (1979), 271-272.|

82 Ibid., n. 22; cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 8: AAS 71 (1979), pp. 271-272.

83 Decr. de institutione sacerdotali Optatam totius, 15.|

83 Décret sur la formation sacerdotale Optatam totius, n. 15.

84 Cfr Ioannes Paulus II, Const. Ap. Sapientia christiana (15 Aprilis 1979), art. 79-80: AAS 71 (1979), 495-496; Adhort. Ap. postsynodalis Pastores dabo vobis (25 Martii 1992), 52: AAS 84 (1979), 750-751. Cfr quoque quaedam S. Thomae de philosophia commenta: Discorso al Pontificio Ateneo Internazionale Angelicum (17 Novembris 1979): Insegnamenti II, 2 (1979), 1177-1189; Discorso ai partecipanti dell'VIII Congresso Tomistico Internazionale (13 Septembris 1980): Insegnamenti III, 2 (1980), 604-615); Discorso ai partecipanti al Congresso Internazionale della Società « San Tommaso » sulla dottrina dell'anima in S. Tommaso (4 Ianuarii 1986): Insegnamenti IX, 1 (1986), 18-24. Praeterea S. Congr. pro Educatione Catholica, Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (6 Ianuarii 1970), 70-75: ASS 62 (1970), 366-368; Decr. Sacra Theologia (20 Ianuarii 1972): AAS 64 (1972), 583-586.|

84 Cf. Jean-Paul II, Const. apost. Sapientia christiana (15 avril 1979), art. 79-80: AAS 71 (1979), pp. 495-496; Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), n. 52: AAS 84 (1992), pp. 750-751. Voir aussi certains commentaires sur la philosophie de saint Thomas: Discours à l'Athénée pontifical international Angelicum (17 novembre 1979): La Documentation catholique 76 (1979), pp. 1067-1071; Discours aux participants du VIIIe Congrès thomiste international (13 septembre 1980): Insegnamenti III, 2 (1980), pp. 604-615; Discours aux participants au Congrès international de la Société « Saint-Thomas » sur la doctrine de l'âme chez saint Thomas (4 janvier 1986): La Documentation catholique 83 (1986), pp. 235-237; S. Congr. pour l'Education catholique, Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (6 janvier 1970), nn. 70-75: AAS 62 (1970), pp. 366-368; Décret Sacra Theologia (20 janvier 1972): AAS 64 (1972), pp. 583-586.

85 Cfr Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 57; 62.|

85 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 57; 62.

86 Cfr ibid., 44.|

86 Cf. ibid., n. 44.

87 Cfr Conc. Oecum. Lateranense V, Bulla Apostolici regiminis sollicitudo, Sessio VIII: Conc. Oecum. Decreta, 1991, 605-606.|

87 Cf. Conc. œcum. Latran V, Bulle Apostolici regimini sollicitudo, Session VIII: Conc. œcum. Decreta (1991), pp. 605-606.

88 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de Divina Revelatione Dei Verbum, 10.|

88 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 10.

89 S. Thomas Aquinas, Summa Theologiae II-II, 5, 3 ad 2.|

89 S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, II-II, q. 5, a. 3, ad 2.

90 « Eo quod condiciones perquiruntur in quibus homo per se ipse praecipuas quaestiones de vitae sensu, de fine ad eam tribuendo atque de ea re quae post mortem erit, interrogat, id pro theologia fundamentali constituit necessarium exordium, ut hodiernis quoque temporibus fides plene iter ipsi rationi ostendat, quae sincere veritatem requirit ». Ioannes Paulus PP. II, Lettera ai partecipanti al Congresso internazionale di Teologia Fondamentale a 125 anni dalla « Dei Filius » (30 Septembris 1995), 4: L'Osservatore Romano (3 Octobris 1995), p. 8.|

90 « La recherche des conditions dans lesquelles l'homme pose de lui-même les premières questions fondamentales sur le sens de la vie, sur la finalité qu'elle veut indiquer et sur ce qui l'attend après la mort, constitue pour la théologie fondamentale le nécessaire préambule pour que, aujourd'hui également, la foi puisse montrer en plénitude la voie à une raison qui recherche sincèrement la vérité »: Jean-Paul II, Lettre aux participants au Congrès de théologie fondamentale organisé pour le 125e anniversaire de la Constitution dogmatique Dei Filius (30 septembre 1995), n. 4: La Documentation catholique 92 (1995), pp. 972-973.

91 Ibid.|

91 Ibid.

92 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 15; Decr. de activitate missionali Ecclesiae Ad gentes, 22.|

92 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 15; Décret sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad gentes, n. 22.

93 S. Thomas Aquinas, De Caelo, 1, 22.|

93 S. Thomas d'Aquin, De cælo, 1, 22.

94 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 53-59.|

94 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 53-59.

95 S. Augustinus, De praedestinatione sanctorum, 2, 5: PL 44, 963.|

95 S. Augustin, De prædestinatione sanctorum, 2, 5: PL 44, 963.

96 Id., De fide, spe et caritate, 7: CCL 46, 61.|

96 Id., De fide, spe et caritate, 7: CCL 64, p. 61.

97 Cfr Conc. Oecum. Chalcedonense, Symbolum, Definitio: DS 302.|

97 Cf. Conc. œcum. de Chalcédoine, Symbole, Définition: DS 302.

98 Cfr Ioannes Paulus II, Litt. Encycl. Redemptor hominis (4 Martii 1979), 15: AAS 71 (1979), 286-289.|

98 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 15: AAS 71 (1979), pp. 286-289.

99 Cfr verbi causa S. Thomas Aquinas, Summa Theologiae, I, 16,1; S. Bonaventura, Coll. in Hex., 3,8,1.|

99 Cf. par exemple S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 16, a. 1; S. Bonaventure, Coll. in Hex., 3, 8, 1.

100 Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 15.|

100 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 15.

101 Cfr Ioannes Paulus II, Litt. Encycl. Veritatis splendor (6 Augusti 1993), 57-61: AAS 85 (1993), 1179-1182.|

101 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Veritatis splendor (6 août 1993), nn. 57-61: AAS 85 (1993), pp. 1179-1182.

102 Cfr Conc. Oecum. Vat. I, Const. dogm. de fide catholica Dei Filius, IV: DS 3016.|

102 Cf. Conc. œcum. Vat. I, Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, IV: DS 3016.

103 Cfr Conc. Oecum. Lateranense IV, De errore abbatis Ioachim, II: DS 806.|

103 Cf. Conc. œcum. Latran IV, De errore abbatis Ioachim, II: DS 806.

104 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 24; Decr. de institutione sacerdotali Optatam totius, 16.|

104 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 24; Décret sur la formation des prêtres Optatam totius, n. 16.

105 Cfr Ioannes Paulus II, Litt. Encycl. Evangelium vitae (25 Martii 1995), 69: AAS 87 (1995), 481.|

105 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 69: AAS 87 (1995), p. 481.

106 Eandem in sententiam primis Nostris in Litteris Encyclicis, cum Evangelii sancti Ioannis exponeremus dictionem « cognoscetis veritatem, et veritas liberabit vos » (8,32), sic elocuti sumus: «Haec verba principalem in se necessitatem continent simulque admonitionem: necessitatem videlicet animi honesti erga veritatem uti condicionis verae libertatis; admonitionem pariter, ut declinetur quaevis simulata tantum libertas, quaelibet levis unique tantum parti favens libertas, omnis demum libertas, quae totam veritatem de homine ac mundo non permeet. Etiam hodie, duobus annorum milibus post, Christus nobis comparet tamquam ille, qui homini libertatem in veritate innixam affert, ille, qui hominem ab omnibus liberat, quae istam libertatem coarctant, minuunt et quasi perfringunt ipsis in eius radicibus, nempe in hominis anima, corde, conscientia»: Litt. Encycl. Redemptor hominis (4 Martii 1979), 12: AAS 71 (1979), 280-281.|

106 Dans le même sens, je commentais dans ma première Encyclique l'expression de l'Evangile de saint Jean: « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (8,32): « Ces paroles contiennent une exigence fondamentale et en même temps un avertissement: l'exigence d'honnêteté vis-à-vis de la vérité comme condition d'une authentique liberté; et aussi l'avertissement d'éviter toute liberté apparente, toute liberté superficielle et unilatérale, qui n'irait pas jusqu'au fond de la vérité sur l'homme et sur le monde. Aujourd'hui encore, après deux mille ans, le Christ nous apparaît comme Celui qui apporte à l'homme la liberté fondée sur la vérité, comme Celui qui libère l'homme de ce qui limite, diminue et pour ainsi dire détruit cette liberté jusqu'aux racines mêmes, dans l'esprit de l'homme, dans son cœur, dans sa conscience »: Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 12: AAS 71 (1979), pp. 280-281.

107 Allocutio qua Concilium est inchoatum (11 Octobris 1962): AAS 54 (1962), 792.|

107 Discours à l'ouverture du Concile (11 octobre 1962): AAS 54 (1962), p. 792.

108 Congr. pro Doctrina Fidei, Instr. de vocatione ecclesiali theologi Donum veritatis (24 Maii 1990), 7-8: AAS 82 (1990), 1552-1553.|

108 Congr. pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur la Vocation ecclésiale du Théologien Donum veritatis (24 mai 1990), nn. 7-8: AAS 82 (1990), pp. 1552-1553.

109 In Litteris Encyclicis Dominum et vivificantem explicantes locum Io 16,12-13 scripsimus: « Iesus Paraclitum, Spiritum veritatis, exhibet ut eum qui "docebit et suggeret", ut eum qui ei "testimonium perhibebit"; nunc vero ait "deducet vos in omnem veritatem". Locutio "deducet vos in omnem veritatem", prout ad ea refertur, quae Apostoli "non possunt portare modo", imprimis necessario coniungitur cum exinanitione Christi, passione et Cruce peracta, quae eo tempore, quo has protulit voces, iam impendebat. Postea tamen patefit illud "deducere in omnem veritatem" necti non solum cum scandalo Crucis, sed etiam cum iis omnibus, quae Christus «fecit et docuit» (Act 1,1). Re enim vera mysterium Christi, ut totum, postulat fidem, cum haec hominem in mysterii revelati "realitatem" opportune inducat. Illud ergo "deducere in omnem veritatem" in fide et per fidem ad effectum adducitur: quod Spiritus veritatis operatur, idque ex eius actione in homine promanat. Hac in re Spiritus Sanctus est hominis summus magister, est lux spiritus humani », n. 6: AAS 78 (1986), 815-816.|

109 Commentant Jean 16,12-13, j'ai écrit dans l'Encyclique Dominum et vivificantem: « Jésus présente le Paraclet, l'Esprit de vérité, comme celui qui "enseignera" et "rappellera", comme celui qui lui "rendra témoignage"; à présent il dit: "il vous introduira dans la vérité tout entière". Ces mots "introduire dans la vérité tout entière", en rapport avec ce que les Apôtres "ne peuvent pas porter à présent", sont en lien direct avec le dépouillement du Christ par la passion et la mort en Croix qui étaient imminentes lorsqu'il prononçait ces paroles. Cependant il deviendra clair, par la suite, que les mots "introduire dans la vérité tout entière" se rattachent également, au-delà du scandalum Crucis, à tout ce que le Christ "a fait et enseigné" (Ac 1,1). En effet, le mysterium Christi dans son intégralité exige la foi, parce que c'est la foi qui introduit véritablement l'homme dans la réalité du mystère révélé. "Introduire dans la vérité tout entière", cela s'accomplit donc dans la foi et par la foi: c'est l'œuvre de l'Esprit de vérité et c'est le fruit de son action dans l'homme. En cela, l'Esprit Saint doit être le guide suprême de l'homme, la lumière de l'esprit humain »: n. 6: AAS 78 (1986), pp. 815-816.

110 Cfr Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. de divina Revelatione Dei Verbum, 13.|

110 Cf. Conc. œcum. Vat. II: Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 13.

111 Cfr Pontificia Commissio Biblica, Instr. de historica Evangeliorum veritate (21 Aprilis 1964): AAS 56 (1964), 713.|

111 Cf. Commission biblique pontificale, Instruction sur la vérité historique des Evangiles (21 avril 1964): AAS 56 (1964), p. 713.

112 « Liquet etiam Ecclesiam non cuilibet systemati philosophico, brevi temporis spatio vigenti, devinciri posse: sed ea quae communi consensu a catholicis doctoribus composita per plura saecula fuere ad aliquam dogmatis intellegentiam attingendam, tam caduco fundamento procul dubio non nituntur. Nituntur enim principiis ac notionibus ex vera rerum creatarum cognitione deductis; in quibus quidem deducendis cognitionibus humanae menti veritas divinitus revelata, quasi stella, per Ecclesiam illuxit. Quare mirum non est aliquas huiusmodi notiones a Conciliis Oecumenicis non solum adhibitas, sed etiam sancitas esse, ita ut ab eis discedere nefas sit »: Litt. Encycl. Humani generis (12 Augusti 1950): AAS 42 (1950), 566-567; cfr Commissio Theologica Internationalis, docum. Interpretationis problema (Octobre 1989): Ench. Vat. 11, nn. 2717-2811.|

112 « Il est clair également que l'Eglise ne peut se lier à n'importe quel système philosophique, dont le règne dure peu de temps; mais les expressions qui, durant plusieurs siècles, furent établies du consentement commun des Docteurs catholiques pour arriver à quelque intelligence du dogme, ne reposent assurément pas sur un fondement si fragile. Elles reposent, en effet, sur des principes et des notions déduites de la véritable connaissance des choses créées; dans la déduction de ces connaissances, la vérité révélée a éclairé comme une étoile l'esprit humain, par le moyen de l'Eglise. C'est pourquoi il n'y a pas à s'étonner si certaines de ces notions non seulement ont été employées dans les Conciles œcuméniques, mais en ont reçu une telle sanction qu'il n'est pas permis de s'en éloigner »: Encycl. Humani generis (12 août 1950): AAS 42 (1950), pp. 566-567; cf. Commission théologique internationale, Document Interpretationis problema (octobre 1989): La Documentation catholique 87 (1990), pp. 489-502.

113 « Ipse autem sensus formularum dogmaticarum semper verus ac secum constans in Ecclesia manet, etiam cum magis dilucidatur et plenius intellegitur. Christifideles ergo se avertant oportet ab opinione secundum quam [...] formulae dogmaticae (aut quaedam earum genera) non possint significare determinate veritatem, sed tantum eius commutabiles approximationes, ipsam quodammodo deformantes seu alterantes ». S. Congr. Pro Doctrina Fidei, Decl. circa Catholicam Doctrinam de Ecclesia contra nonnullos errores hodiernos tuendam Mysterium Ecclesiae (24 Iunii 1973), 5: AAS 65 (1973), 403.|

113 « Quant au sens des formules dogmatiques, il demeure toujours vrai et identique à lui-même dans l'Église, même lorsqu'il est éclairci davantage et plus entièrement compris. Les fidèles doivent donc bien se garder d'accueillir l'opinion que l'on peut résumer ainsi: tout d'abord les formules dogmatiques ou certaines catégories d'entre elles seraient incapables de signifier d'une manière déterminée la vérité, mais n'en signifieraient que des approximations changeantes, lui apportant déformation et altération »: S. Congr. pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur la doctrine catholique concernant l'Eglise Mysterium Ecclesiæ (24 juin 1973), n. 5: AAS 65 (1973), p. 403.

114 Cfr Congr. S. Officii, Decr. Lamentabili (3 Iulii 1907), 26: ASS 40 (1907), 473.|

114 Cf. Congr. du Saint-Office, Décret Lamentabili (3 juillet 1907), n. 26: ASS 40 (1907), p. 473.

115 Cfr Ioannes Paulus II, Allocutio apud Pontificium Athenaeum « Angelicum » (17 Novembris 1979), 6: Insegnamenti, II, 2 (1979), 1183-1185.|

115 Cf. Jean-Paul II, Discours à l'Athénée pontifical Angelicum (17 novembre 1979), n. 6: La Documentation catholique 76 (1979), pp. 1069-1070.

116 N. 32: AAS 85 (1993), 1159-1160.|

116 N. 32: AAS 85 (1993), pp. 1159-1160.

117 Cfr Ioannes Paulus II, Adhort. Ap. Catechesi tradendae (16 Octobris 1979), 30: AAS 71 (1979), 1302-1303; Congr. pro Doctrina Fidei, Instr. de vocatione ecclesiali theologi Donum veritatis (24 Maii 1990), 7: AAS 82 (1990), 1552-1553.|

117 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. Catechesi tradendæ (16 octobre 1979), n. 30: AAS 71 (1979), pp. 1302-1303; Congr. pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien Donum veritatis (24 mai 1990), n. 7: AAS 82 (1990), pp. 1552-1553.

118 Cfr Ioannes Paulus II, Adhort. Ap. Catechesi tradendae (16 Octobris 1979), 30: AAS 71 (1979), 1302-1303.|

118 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. Catechesi tradendæ (16 octobre 1979), n. 30: AAS 71 (1979), pp. 1302-1303.

119 Cfr ibid., 22, l.m., 1295-1296.|

119 Cf. ibid., n. 22: l.c., pp. 1295-1296.

120 Cfr ibid., 7, l.m., 1282.|

120 Cf. ibid., n. 7: l.c., p. 1282.

121 Cfr ibid., 59, l.m., 1325.|

121 Cf. ibid., n. 59: l.c., p. 1325.

122 Conc. Oecum. Vat. I, Const. dogm. de fide catholica Dei Filius, IV: DS 3019.|

122 Conc. œcum. Vat. I, Const. dogm. sur la foi catholique Dei Filius, IV: DS 3019.

123 « Nemini idcirco licet theologiam tractare, quasi de quibusdam agatur notionum eius collectaneis: sed quivis sciat oportet se arcte coniunctum esse debere cum hoc munere docendi, cum hoc munere veritatem docendi, quod Ecclesiae ipsi incumbat ». Ioannes Paulus II, Litt. Encycl. Redemptor hominis (4 Martii 1979), 19: AAS 71 (1979), 308.|

123 « Personne ne peut faire de la théologie comme si elle consistait simplement à faire un exposé de ses idées personnelles; mais chacun doit être conscient de demeurer en union étroite avec la mission d'enseigner la vérité, dont l'Église est responsable »: Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 19: AAS 71 (1979), p. 308.

124 Cfr. Conc. Oecum. Vat. II, Declaratio de libertate religiosa Dignitatis humanae, 1-3.|

124 Cf. Conc. œcum. Vat. II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ, nn. 1-3.

125 Cfr Adhort. Ap. Evangelii nuntiandi (8 Decembris 1975), 20: AAS 68 (1976), 18-19.|

125 Cf. Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. 20: AAS 68 (1976), pp. 18-19.

126 Const. past. de Ecclesia in mundo huius temporis Gaudium et spes, 92.|

126 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 92.

127 Cfr ibid., 10.|

127 Cf. ibid., n. 10.

128 Prologus, 4: Opera omnia, Firenze 1891, t. V, 296.|

128 Prologue, 4: Opera omnia, Florence (1891), t. V, p. 296.

129 Cfr Decr. de institutione sacerdotali Optatum totius, 15.|

129 Cf. Décret sur la formation sacerdotale Optatam totius, n. 15.

130 Cfr Ioannes Paulus II, Const. Ap. Sapientia christiana (15 Aprilis 1979), artt. 67-68: AAS 71 (1979), 491-492.|

130 Cf. Jean-Paul II, Const. apost. Sapientia christiana (15 avril 1979), art. 67-68: AAS 71 (1979), pp. 491-492.

131 Ioannes Paulus II, Discorso all'Università di Cracovia per 600o anniversario dell'Alma Mater Jagellonica (8 Iunii 1997), 4: L'Osservatore Romano, 9-10 Iunii 1997, p. 12.|

131 Jean-Paul II, Discours pour le 600e anniversaire de l'Université jagellone de Cracovie (8 juin 1997), n. 4: La Documentation catholique, 94 (1997), p. 677.

132 «he noerà tés písteos trápeza»: S.P.N. EPHIFANIUS, Homilia in laudes Sanctae Mariae Deiparae: PG 43, 493.|

132 « E noerà tes pìsteos tràpeza »: pseudo Epiphane, Homélie en l'honneur de Sainte Marie Mère de Dieu: PG 43, 493.